L’arrivée de Benno Besson à Genève: un tohu-bohu flamboyant Repérage

9 juin 2011
Gilles Anex
Bertrand Theubet

L'arrivée de Benno Besson à Genève: un tohu-bohu flamboyant

Par Gilles Anex

Trente ans après avoir été nommé à la tête de la Comédie de Genève, feu Benno Besson (1922-2006) est à l'affiche du Grand Théâtre pour un opéra tiré d'une fable de Carlo Gozzi, l'auteur qui lui assura d'emblée un succès immédiat. Petit saut dans le temps.

Voilà trente ans, maintenant, en janvier 1981, que la toute fraiche émoulue Fondation d'Art Dramatique annonçait la nomination de Benno Besson à la tête de la Comédie de Genève, en remplacement de Richard Vachoux.

Arrivée fracassante. Car Besson, metteur en scène d'envergure européenne, nimbé de la légende brechtienne - dont il se révéla d'ailleurs un très libre penseur - et de ses nombreuses années passées à Berlin-Est prit rapidement les édiles de court, la profession à contre-pied et certains à rebrousse-poil, bousculant habitudes et horizons du théâtre genevois, ouvrant grand portes et fenêtres.

A l'évidence la FAD, constituée deux ans auparavant sous la présidence d'un avocat - afin de parer aux récents déboires financiers du Théâtre des Philosophes -, n'avait pas mesuré, ni même imaginé qu'un saltimbanque, fût-il de renommée internationale, pût à ce point secouer le cocotier de la République des Arts, faire craquer les coutures de procédures administratives étriquées et éclater, avec un style déconcertant et flamboyant, les codes établis du dialogue entre culture vivante et Cité.

On prêtait à l'époque au Conseiller Administratif à la Culture l'expression de « petite clique » pour qualifier les relations de complicité artistique entre Giorgio Strehler, Mathias Langhoff et Benno Besson, trois metteurs en scène majeurs qui dominaient alors la scène européenne. Le décalage était flagrant.

Rappelons-nous les clivages assez simples qui structuraient le paysage dans le prolongement des années 70 : d'un côté des théâtres municipaux, à peine sortis de contrats permanents qui les liaient aux Galas Karsenty, tentaient des incursions, encore passablement convenues, dans un répertoire littéraire de « classiques modernes » ; plus intempestifs et avec le sérieux des convictions juvéniles, quelques metteurs en scène indépendants visaient à des entreprises plus radicales - parfois ardues - avec des relectures de romantiques allemands ou des écritures contemporaines mêlant expérimentations langagières et volontarisme politique ; alors que bourgeonnaient ici et là des entreprises plus marginales: dans le sillage des Tréteaux Libres et du Théâtre Mobile, le Festival de la Bâtie faisait ses premiers pas au Bois du même nom, comme le Théâtre du Loup ou les Montreurs d'Images… Chacun, y compris les indépendants ou le Théâtre Jeune Public, avait sa place, plus ou moins confortable, jouait son rôle.

Au lieu d'un Heiner Müller décapant ou d'un Shakespeare revisité, le metteur en scène venu de l'Est proposa, en ouverture de sa première saison et là où personne ne l'attendait, une pièce d'un certain Carlo Gozzi, mal connu, sinon des historiens du théâtre, vague cousin italien de Molière. Spectacle truculent, succès immédiat et fulgurant.

Ce n'est pas à partir d'une posture, ni en jouant de son aura (toute relative dans le contexte local : qui savait vraiment ici, hormis quelques initiés, ce qu'était le Berliner Ensemble ou la Volksbühne ?) que Benno Besson mit sens dessus dessous le paysage théâtral genevois et, de proche en proche, romand.
Mais bien à partir de son formidable art de la scène, de son classicisme iconoclaste, qui d'emblée enchanta le public et fit de son premier spectacle à la Comédie un succès hors catégorie, appelé à des tournées internationales totalement inimaginables jusqu'alors, aussi bien chez les gestionnaires que... chez les comédiens.

Et puis, Besson bénéficiait d'un avantage : ceux qui l'avaient fait venir ne connaissaient guère cet homme de théâtre accompli au sens politique aigu, à la fois direct et subtil, entier et généreux, artisan parfois un peu « soupe au lait » quand la situation l'exigeait. Par contre, lui connaissait bien la Suisse Romande : parti loin, il était né tout à côté, à Yverdon, où il avait monté dans les années 1940 ses premier spectacles avec sa Troupe des Ecoliers, avant de rencontrer Jean-Marie Serreau, puis de suivre Bertolt Brecht…
Du canton de Vaud, il avait gardé un bon sens ironique ainsi qu'une indépendance frondeuse à l'endroit des notables et des idées toute faites.

Gilles Anex

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Bertrand Theubet
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9 juin 2011
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