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Franz LISZT, Eine Faust-Symphonie, S 108, Choeur Pro Arte, Ernst HÄFLIGER, OSR, Ernest ANSERMET, mercredi 5 avril 1967

5 avril 1967
RSR resp. RTSR
René Gagnaux

La Faust-Symphonie - «Eine Faust-Symphonie in drei Charakterbildern nach Johann Wolfgang von Goethe», soit «Une symphonie Faust en trois études de caractère d'après Johann Wolfgang von Goethe» -, S. 108, fut écrite en majeure partie à Weimar au cours de l'été 1854, et terminée en octobre suivant. La version originale n'utilisait que des vents, des cors et des cordes; elle fut ensuite révisée, avec quelques modifications majeures et un «Chorus Mysticus» ajouté à la fin, dans lequel des extraits du Second Faust sont chantés par un choeur masculin et un ténor solo. La première audition fut donnée à Weimar le 5 février 1857 sous la direction du compositeur, à l'occasion d'une inauguration du monument de Goethe et de Schiller.

Il en existe une transcription pour deux pianos, que Liszt réalisa en 1856, puis révisa en 1860. Son élève Carl Tausig est l'auteur d'une réduction pour piano seul.

Pour une analyse détaillée de l'oeuvre, voir ce dossier pdf de Dominique Sourisse, réalisé en 1998.

Ernest ANSERMET semble avoir dirigé cette oeuvre pour la première fois lors de ce concert du 11 mars 1922, au Victoria-Hall. Cité de la brochure-programme de ce concert:

"[...] Sur la signification de Liszt symphoniste, on consulterait avec fruit les articles que M. Robert Godet lui a consacrés dans la Musique en Suisse (année 1902), auxquels sont empruntées quelques unes des phrases qui précèdent. C'est encore des notes que M. Godet a bien voulu nous confier que nous nous inspirerons pour essayer de définir dans ses traits principaux la Faust-Symphonie - en priant le lecteur de ne pas attribuer à notre source les insuffisances d'un exposé aussi succinct que possible.

On pourrait donner comme motto à la Faust-Symphonie ce vers du poème de Goethe: Zwei Seelen, ach! wohnen in meiner Brust (deux âmes, hélas, habitent ma poitrine). Ces deux âmes dont le conflit et tour à tour l'accord forment tout l'essentiel du drame faustien, ce sont elles, dans Liszt, que caractérise la musique, sans souci de l'anecdote où Goethe poète est obligé de recourir. Cette musique ne comporte donc aucun programme et n'illustre pas non plus, à proprement parler, des physionomies distinctes. Faust contient Méphistophélès et Marguerite, comme le Purgatoire de Dante participe du ciel et de l'enfer.

On ne saurait d'ailleurs enfermer dans une formule comme «enfer» et «ciel», par exemple, le sens de deux éléments de l'âme humaine. L'élément méphistophélique, lorsqu'il prend le dessus, se réduit sans doute à l'esprit destructeur, mais plus généralement il est le «doute», tour à tour désespéré et fécond, l'esprit d'analyse, qui n'est point irrémédiablement voué a la stérilité, puisqu'il trouve un chemin de foi - par l'action. Marguerite, c'est pour Faust la révélation de cette force éternelle et féconde qui attire et élève la nature humaine, le pressentiment d'un vouloir cosmique qui ne s'incarne pas uniquement dans la femme mais revêt en elle, pour Faust, sa forme la plus immédiatement convaincante, suggérant avec le plus de grâce et d'éloquence l'idée de l'amour partout en travail dans la nature vivante. L'élément qu'elle éveille en l'âme de Faust est donc un élément de «foi», le positif, l'intuitif de sa nature.

L'introduction de l'oeuvre musicale pose d'emblée l'opposition et le conflit de ces deux éléments, incarnés dans deux motifs essentiels qui alimenteront toutes les parties de la symphonie (élément «doute»: motif 1; élément «foi»: motif 2):

Mais ce conflit ne sera fécond que mis en oeuvre dans une âme vivante. Et c'est l'expression d'une âme individuelle, en proie à ses passions essentielles, qui va se manifester, l'introduction achevée, dans une forme-sonate aux vastes proportions. Le premier groupe thématique fait se succéder un thème (aux cordes) auquel le rythme et le chromatisme confèrent un caractère de passion et de recherche ardente, un motif, tristanesque avant la lettre, qui trahit l'inspiration et le désir, un motif mélodique descendant, déclamé largement aux bois, puis aux basses où s'exprime une sorte de soumission à une loi divine ou naturelle. Et alors, après une transition recueillie comme une suspension d'armes, l'amour répond, dans un deuxième groupe thématique, à ces premiers mouvements de l'âme faustienne - forme chantante, expressive du motif 2, toute fraîcheur, toute féminité. Mais l'agitation reprend, un nouvel élément s'énonce encore :

«Am Anlang war die That» dit le poème; c'est bien, semble-t-il, la loi d'action qui s'impose à Faust et s'exprime par ce motif énergétique.

Ainsi tous les éléments de l'oeuvre sont exposés, l'«exposition» de la forme-sonate est achevée. Son développement permettra de faire sentir le conflit des éléments «action»et «doute», et plus tard, dans un andante mesto, des éléments «amour» et «doute». Mais Faust retourne à sa recherche passionnée - c'est la réexposition - de nouveau la voix de l'amour se fait entendre, avec plus de confiance, semble-t-il, et c'est aussi plus persuasif, plus individuel que sonne, monodiqueinent, à la trompette le motif «action» (3) qui semble s'élargir ensuite dans un appel plus général. Alors un nouvel agilato aboutira à la proclamation solennelle (aux trombones) de ce motif (3), répercuté en échos lointains, comme si cet élément «action» dominait momentanément les éléments antagonistes de l'âme faustienne. C'est la «coda» de ce premier mouvement. Elle lait apparaître la parenté secrète du motif 3 et du motif 1, la face «doute» de cette loi d'«action» mise à l'épreuve, et en fin de compte (motif 2), l'âme déçue reconnaît qu elle ne se satisfera pas à moins d'étreindre le Dieu qui est l'amour.

Le second mouvement de la symphonie, Gretchen, est un lied fondé sur deux éléments qui lui sont propres. Le premier est de nature purement mélodique (énoncé d'abord par le hautbois), élément linéaire où se dessine la figure de Marguerite, au rythme égal du rouet des violons. C'est cette mélodie qui reviendra, plus solennelle, dans la bouche du ténor, quand le rêve d'amour individuel se muera en manière d'hymne cosmique à l'«éternel féminin». Le second élément (annoncé déjà dans les quelques mesures d'introduction de cette partie) est une homophonie des cordes, musique détachée de toute matérialité, qui semble émaner du souflle de l'âme éprise. La vie symphonique du morceau ramène la plupart des éléments du premier mouvement transfigurés par l'amour et la foi, le «positif» remplaçant le «doute». Une esquisse de marche funèbre, seule allusion anecdotique au poème de Goethe, est l'heureux prétexte à leur exposé, où l'on reconnaîtra une forme plus sereine du motif de «soumission», une apparition quasi-fantastique du thème d'«amour», venant comme d'outre-tombe, plus fort que la mort, et une géniale métamorphose du premier thème du premier mouvement, où l' activité passionnée de Faust s'est apaisée, et tout empreinte de suavité et de fraîcheur. C'est encore un doux rappel du motif d'«action» (3) qui termine l'oeuvre, comme pour ramener cette rêverie à la réalité.

Le troisième mouvement de la symphonie, Méphistophélès, est aussi le plus complexe, le plus riche d'invention, de nouveauté, de génialité. Disons, en gros, qu'il reproduit â peu près le plan de composition du premier, avec les mêmes éléments, mais transfigurés de nouveau, devenus cinglants, heurtés, déchiquetés. Ce n'est pourtant pas seulement une sorte de caricature de Faust. La seule considération de l 'élément sarcastique appliqué tout au long du premier mouvement ne suffit pas à expliquer l'intérêt de ce morceau. Une pensée plus riche a sollicité le sens créateur de Liszt. Certes, l'introduction à ce mouvement annonce bien l'esprit destructeur. Mais sitôt que cette vie d'homme figurée dans le premier mouvement va être refondue tout entière, comme dans une bouteille de magie moyenâgeuse, au souffle de l'esprit méphistophélique, que d'éléments divers - efforts, douleurs - vont s'y manifester!

Le premier thème (la passion faustienne) y est haletant, mais la joie du savoir s'y fait sentir, comme dans une danse de Zarathoustra; et lorsque Faust méphistophélique martèle le thème d'amour, n'est-ce pas pour enfoncer des clous dans sa chair même? Ce même thème d'amour, transformé en fugue - sorte d'élaboration scientifique du sentiment - conduit au thème d'action (3) où éclate la joie d'un Nibelung dans sa forge, d'où sortira le glaive! - De fait, chaque nouvelle apparition du thème d'action, dans l'effort incessant de cet esprit d'analyse, le montre moins neutre, plus coloré, plus affiné aussi, serant de plus près le thème d'amour.

Et après une longue progression, le thème d'amour (2) éclate triomphant, dans un rythme de marche grandiose, comme si Méphistophélès s'était mué en Prométhée, faisant jaillir la lumière. Le conflit qui était dans l'âme de Faut ne s'est pas résolu par la victoire d'un des éléments sur l'autre, mais par leur accord dans l'action. Alors, une traînée d'harmonies mystérieuses élargit le chant individuel vers le chant collectif; le choeur, dominé par le ténor solo, soutenu par l'orchestre et l'orgue, va résumer la pensée du poète. Sur le rythme du motif 1, il entonne ces paroles:

Alles vergängliches

Ist nur ein Gleichniss,

Das Unzulängliche,

Hier wird's Ereigniss.

Das Unbeschreibliche

Hier wird es gethan.

Das ewig weibliche

Zieht uns hinan.

que l'on pourrait transcrire en français à peu près ainsi:

Tout l'éphémère n'est qu'un symbole

Ce qui n'était qu'ébauche, ici prend figure.

Ce qui passait les mots, ici s'accomplit:

C'est l'éternel attrait du féminin mystère, qui nous soulève de terre.

Autour des dernières paroles du choeur, le motif 3 («action») sonne comme des cloches pour la péroraison de l'oeuvre. [...]" cité de la brochure-programme du concert du 11 mars 1922

Un montage d'extraits de la revue Radio Je vois tout TV du 30 mars 1967, No 13, pages 82-83

L'interprétation proposée ici est celle du dernier concert d'abonnement dirigé par Ernest ANSERMET en tant que chef titulaire de l'Orchestre de la Suisse Romande, le 5 avril 1967:

"[...] Une date de notre vie musicale - Le dernier concert d'abonnement d'Ernest Ansermet en tant que chef titulaire de l'OSR

L'élévation triomphante du superbe choeur final de la Faust-Symphonie, mieux encore que les fleurs et les longues ovations qui retinrent Ernest Ansermet à son pupitre, étaient un symbole très émouvant de ce que représentait ce dernier concert de l'abonnement de la saison, dernier aussi d'une saison humaine d'un demi-siècle.

Même si nous savons que la retraite du chef de l'OSR n'est que formelle, on ne peut manquer à cette occasion de jeter un regard ému et impressionné sur la longue histoire de ces concerts d'abonnement liés si étroitement au nom d'Ansermet et qui aujourd'hui encore restent, contre vents et marées, l'épine dorsale de notre vie musicale. Au reste, notre grand chef avait, par une sorte de coquetterie, et alors qu'il est accaparé encore par les répétitions de la Tempête au Grand Théâtre, mis à son programme une oeuvre véritablement écrasante: la Faust-Symphonie de Liszt. Occasion extraordinaire, d'ailleurs, de montrer, à travers la plus grande économie de moyens, les pouvoirs centrifuges des forces de l'esprit. Magnifiquement charpentée, ordonnée, cette oeuvre bouillonnante atteignit à cette éloquence naturelle qui lui permet en quelque sorte de s'excuser elle-même de ses excès.

Certes tout ce qu'il y a de désuet dans son esthétique, dans sa dialectique, dans ses dimensions, est trop facile à démontrer pour que l'on ne s'attache pas à y redécouvrir les envolées d'une flamme qui n'est pas qu'agitation, les séductions d'une émotion qui n'est pas que naïveté et même les surprises de découvertes dont l'originalité reste frappante.

La première partie du concert était réservée à l'admirable cantate No 55 - Ich armer Mensch - de J.-S. Bach dont l'interprétation bénéficiait de l'apport de la voix si riche d'Ernst Häfliger. Voix riche, en effet, généreuse, expressive à laquelle le chanteur conféra cependant une expression un peu bien constamment véhémente pour exprimer les sentiments de contrition de cette oeuvre. Du moins son interprétation contrastait-elle exagérément avec le contexte orchestral tout de retenue que lui proposait Ernest Ansermet. Dans l'épisode final de la symphonie de Liszt, en revanche, l'intervention d'Ernst Häfliger fut parfaite, s'élevant avec noblesse au-dessus du choeur d'hommes, choeur préparé une fois de plus excellemment par André Charlet, comme l'était également l'ensemble mixte de la cantate de Bach (Choeur Pro Arte de Lausanne). [...]" compte-rendu de Franz WALTER publié dans le Journal de Genève du 6 avril 1967 en page 14.

Le concert fut retransmis en direct sur Sottens, dans le cadre du traditionnel concert du mercredi soir (ref).

Ernest ANSERMET, date ??, Fotostudio Altaffer Zürich

L' enregistrement que vous écoutez...

Franz Liszt, «Eine Faust-Symphonie in drei Charakterbildern nach Johann Wolfgang von Goethe» pour ténor, choeur et orchestre, S 108, Choeur de la Radio Suisse Romande, Choeur Pro Arte, Chef des choeurs: André Charlet, Ernst Häfliger, Orchestre de la Suisse Romande, Ernest Ansermet, 5 avril 1967, Victoria Hall, Genève

  • 1. Faust 24:38 (-> 24:38)
  • 2. Gretchen 15:02 (-> 39:40)
  • 3. Mephistopheles 22:55 (-> 62:35)

Provenance: Radiodiffusion, Archives RSR resp. RTSR

Un demi-siècle de direction d'orchestre entre ces deux portraits (1909 et 1963)

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