14. La mort de l'écrivain

Fondation Maurice Zermatten

Durant les dernières années de sa vie, l'idée de la mort était très présente dans les écrits de Maurice Zermatten. Il en parlait souvent, avec inquiétude, comme dans cette prière :

Prière

Déjà, Seigneur, mon être s'incline
Vers les ombres de la mort
À peine éloigné du port
Je vois les signes
Que me font les oiseaux noirs
De la mer, Seigneur

Mon oeuvre n'est pas achevée,
Mon oeuvre, mon trésor.
Sourds grelots de la mort
Le feu baisse à ma cheminée.
Laissez à mon âme incertaine
Le temps des moissons prochaines
Seigneur !

Je porterai la grappe de ma treille
Au pressoir de votre maison d'or
La graine en est verte encore,
Vide est ma corbeille.
Retardez la froide échéance
Retirez de ma chair votre lance
Qui déjà me point l'âme et le corps
Retenez le temps de ma mort
Seigneur !

Maurice Zermatten s'est éteint le 11 février 2001. Il avait 90 ans.
C'était un jour de plein hiver, contrairement à ce qu'il aurait souhaité :
" Je voudrais que ce soit un jour de l'été…. Tous ceux qui m'aimaient auraient eu le temps de venirIls se seraient penchés sur moi et je verrais dans le contre-jour leurs visages chagrinés… J'aurais aimé leur dire encore ne pleurez pas, mon temps est venu de rejoindre le grand peuple des morts… Non ne pleurez pas car nous serons à nouveau ensemble avant le soir…."

Il est enterré dans le cimetière de Sion où il vécut toute sa vie, cette ville qu'il a tant aimée et chantée dans de nombreux ouvrages.

Le premier, Sion, ville aristocratique et paysanne date de 1944 et fait aujourd'hui encore référence*.*

Citons-en les première lignes, l'arrivée à Sion ;

"...Sous un ciel invariablement bleu, une fine église de pierre nue, portée très haut au-dessus de la plaine par le rocher gris, semble née de ce rocher comme la fleur naît de la tige. Jamais l'accord fut plus parfait entre un socle et son monument, jamais un paysage ne mérita si bien la couronne d'une oeuvre d'art."

En avril 2007, Hélène le rejoignit et ils reposent tous deux en face de la Maya, cette montagne que Maurice Zermatten aimait beaucoup,au point de l'appeler "ma" Maya, et à laquelle il a dédié ce poème :

MAYA

Mère, oublieuse du Temps, dont le cœur bat dans l'absence des heures.
Maya, berceuse des saisons.
Maya la Belle, cierge rose qui doucement dessine le visage des journées,
Qui donc t'inventa fileuse, sur les hauteurs de pierre ?
Ecoutez le chant de la fileuse : il mesure le temps.
Frémissement de lumière à l'horizon,
C'est toi, Maya la Belle qui efface les étoiles.
Voyageuse, d'où viens-tu, de quel infini s'échappe ta présence ?
Depuis le fond des temps, frères humains,
C'est vers toi qu'ils regardent, les habitants, fascinés par la glace, la neige et le roc.

La Maya

"J'écris pour mes arrière-petits-enfants" a dit l'écrivain.
Qu'ils soient nombreux à lire et apprécier son oeuvre et se souviennent de lui, comme il le souhaite dans ce pastiche de Villon :

Complainte

Frères humains qui après moi vivrez
M'avez-vous déjà oublié ?
Je ne serai pas le premier à me plaindre
Villon implorait des vivants
Une larme de tendresse
Née d'une rime suspendue à la branche d'un poème.

Vivant, c'est de vous que je parlais;
Je disais vos peines et vos joies
Qui étaient aussi les miennes
Vous m'aimiez un peu, quand je savais transcrire
Les mouvements de votre coeur.
Et maintenant, de vous à moi
N'y aurait-il plus que l'espace du silence ?

SI je vous rappelais le prénom dont ma mère m'affubla
Diriez-vous que jamais il n'arriva à vos oreilles.
Le vent l'aura dispersé
Dans les ombres des forêts profondes.
Et me voici déjà comme si je n'avais jamais été.

J'aurais tant aimé, scribe vaniteux,
Que tant de mots par ma patience assemblés
Entrent dans la mémoire d'un peuple fraternel.
Que les enfants apprennent dans les écoles
La louange que j'avais offerte à la terre maternelle.

À ses champs couchés sur leurs murailles
À ses neiges à Noël
Aux clochers de ses églises,
Chalets de mélèze, berceaux d'arolle
Fontaines chantantes aux quatre coins de nos villages.

Et vous, peuple fidèle,
Femmes pieuses, filles en fleurs
Le sang de nos morts coule dans nos veines
J'ai compté les flèches légères de nos chapelles.

Relisons pour terminer les derniers mots de l'oraison de Micha Grin, prononcée dans la cathédrale de Sion, le 14 février 2001 : « Alors, aujourd'hui, Zermatten, vous l'Homme aux herbes, aux semelles de bise sur les sentiers du bisse, ce n'est qu'une pause, même si nous la ressentons si cruelle dans notre douleur charnelle, une pause, un arrêt, car, n'est-ce pas, Poète, c'est vous qui me l'avez dit : « Le miracle, c'est que tout recommence toujours demain ». Et demain, Maurice Zermatten, vous serez alors enfin, à votre ressemblance essentielle - celle de l'immortalité. »

Au revoir Hélène et Maurice Zermatten

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  • Martine Desarzens

    Merci pour ces magnifiques lignes... J'aime tant les lignes qui expriment le souhait de Maurice Zermatten de mourir en été; c'est beau et joyeux ! Merci merci pour ce beau partage.

12 septembre 2012
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