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L’Histoire de Pertit

13 novembre 2012
Henriette Haas
Henriette Haas

Les origines de Pertit au Moyen-Age

Pertit ? Jamais entendu ce nom. Mais si vous vous êtes arrêtés sur l'aire de repos de l'autoroute A9 avant le tunnel de Glion, vous avez peut-être déjà remarqué le hameau sis en dessous.

Aux siècles passés, le Pertit a connu deux événements dramatiques liés au développement technologique. Quelle était alors l'image de cette région avant la construction de l'autoroute ? En été 2011 quelques anciens et nouveaux Pertuisiens se sont réunis pour créer l'exposition sur l'histoire de Pertit.

L'archéologue Werner Stöckli écrit en 1977[1] : « Le hameau de Pertit consiste en une quinzaine de maisons, très homogènes en ce qui concerne les volumes et leur expression architecturale. A l'exception d'une maison, elles n'ont pas été modifiées après le milieu du 19ème siècle. Le groupe de maisons très harmonieux est digne d'être protégé intégralement. » Selon lui, les plus anciennes des maisons trahissent l'origine médiévale par leur plan étroit et allongé, par leur portes en accolade, par l'âge de leurs poutres, ainsi que par leur originalité intérieure. La maison Borcard, par exemple, contient des poutres de 1585. Il apparaît que les deux premiers étages seulement aient été habités.

Le hameau, autrefois avec les graphies « Pertuys » et « Pertyt », porte un nom traditionnel désignant une particularité topographique. Selon Le Robert, le mot vient du latin médiéval « pertusium » pour « trou ». L'ancien verbe patois « pertuisier » signifie « faire un trou ». A la fin du 12e siècle il a désigné un trou servant de passage pour les eaux dans une montagne.

Alfred Monnet, l'ainé de Clément Monnet (alors Gouverneur de Pertit),[2] écrit en 1926 : « Les Archives de la ville de Sion possèdent un document de 1250, indiquant les fiefs que l'Évêque de Sion fait surveiller par son vidome à Montreux et dans le voisinage. » Il y en a onze fiefs décrits, dont l'un est celui de Pertit. Ceci est probablement la première mention du hameau, qui formait aussi une seigneurie particulière. Le manuscrit d'André de Joffrey 1660[3] mentionne « la famille noble de Pertit, et dit qu'en 1232 Pierre de Pertit loue une pièce de son fief du consentement de sa mère »[4]. Toujours selon ce chercheur[5], la famille de Pertit est éteinte depuis le 17e ou le 18e siècle.

Le toponyme de « Pertuys » figure ensuite dans un terrier de 1441, établi par Jean de Gingins pendant les années de la construction du Châtelard[6]. Selon la « Grosse Deburgo » de 1498[7] nous avons en « Pertyt » les familles suivantes : Buticaz, Borcard, de Pertuys, Vincent et Dubochet.

Presque rien n'est connu des habitants de Pertit au Moyen-Age. On est amené à croire qu'il s'agissait d'une vie rurale, similaire à celle que d'anciens habitants de Pertit ont encore connu pendant leur enfance.

Pertit - où le temps est en suspension

Ceux qui voient Pertit pour la première fois ont l'impression que le temps s'y est arrêté depuis des siècles. Or, en ce qui concerne l'époque d'avant la construction de l'autoroute cette impression ne trompe pas complètement. Selon les témoignages des membres de la famille Monnet[8], les agriculteurs de Pertit avaient pour la plupart un chalet aux flancs du Cubly et vers les Avants, où ils montaient le bétail durant l'été, cultivaient le foin et abattaient du bois pour l'hiver. Le travail sur les pentes raides n'était jamais aisé et tous les enfants devaient aider à la ferme. Jusqu'aux années 1960, le moyen de transport - à part les pieds - c'était les chevaux, les mulets et les bœufs. On descendait le foin avec des luges. La famille Félix était la première - et longtemps la seule - à posséder une voiture. La fameuse Land-Rover (dite « Jeep ») des Félix est visible sur plusieurs photos. Les vignerons de la région montreusienne ont du produire dans des circonstances assez difficiles. Ils ont cultivé des petites parcelles sur de nombreuses terrasses, parfois mal entretenues faute de moyens financiers. Ils étaient en concurrence avec ceux du Lavaux, alors que leurs récoltes étaient en moyenne plus faibles et les prix obtenus inférieurs de 30% à 40% à ceux de St. Saphorin et du Dézaley[9].

Le passé s'est inscrit aussi dans les mots utilisés encore aujourd'hui par les Pertuisiens de longue date. Le mot « châble » est un terme, utilisé fréquemment à Pertit, mais inconnu de nos jours dans les villes. Quid de l'étymologie de ce mot, est-ce du patois ? Chabler, issue du grec katabolein (prononcé « katabolein »), et plus tard du latin populaire, signifie « abattre », « faire tomber ». Par conséquent, le terme patois « châble » est d'origine romaine. Par contre, les chemins qui portent ce nom, ne sont pas forcément aussi d'origine romaine.

Pourquoi le Pertit est-il complètement inconnu ? La réponse à cette question se trouve dans les profondeurs des Archives de Montreux[10] : Pertit est parmi les plus humbles des villages de Montreux depuis que l'on fait des statistiques. Selon le recensement de 1907, Chernex avait 485 habitants, Brent en avait 314, Pertit avait 186, les Vuarennes 178, et Planchamp-Dessous avait seulement 158 habitants. Comparativement à d'autres villages (Brent, Chernex), Pertit n'avait pas besoin d'investir dans des infrastructures autonomes à cause de sa proximité à Vernex et au quartier des Planches. Il était considéré comme la « banlieue » de Montreux, un terme utilisé par la Gazette de Lausanne du 2 mars 1897.

La Belle-Epoque et la catastrophe de Sonzier 1888

Le Pertit au tournant du siècle - à l'apogée de la Belle-Epoque - était manifestement un village très bien entretenu. Sur les cartes postales on voit les châbles (chemins pavés), les façades et toits qui se trouvaient dans un état impeccable.

Or, dans l'euphorie pour l'expansion économique et technologique qui régnait pendant la Belle Epoque, les responsables n'ont pas voulu penser aux risques. En 1886 on a installé la centrale électrique de Taulan. Elle assure l'éclairage public de la région à partir de 1887 et fournit en courant le tramway, reliant Vevey à Chillon. Dès son origine des fissures s'y sont produites. Une expertise avait établi qu'il serait dangereux de le remplir à plus de la moitié de sa capacité. Le 6 novembre 1888 à 5 heures du matin le réservoir de Sonzier était rempli jusqu'à une hauteur de 8.3 mètres, ce qui correspondait à un volume de 6.3 millions litres d'eau : « Au petit matin du mardi, 6 novembre 1888, on entendit une détonation, accompagnée d'une secousse pareille à un tremblement de terre. Le réservoir de Sonzier venait de sauter et six millions de litres d'eau se précipitèrent avec fracas dans le vallon. Les gens réveillés en sursaut avaient de la peine à se rendre compte de ce qui se passait. Ce n'est qu'à l'aube que l'on put constater l'étendue du désastre » (cité d'après Jenny 1988[11]). Sept personnes ont péri dans la catastrophe, dont trois à Pertit[12]. Henri Pilet et Susanne Pilet-Depallens, un vieux couple malade et appauvri, était entrainé avec leur maison (à la place de la maison Vallino), et Louise Humberset, une jeune couturière de Roche, était enlevée avec la chambre qu'elle occupait (dans la maison à la place de la villa Fanlair) et périrent. Vuarennes ainsi que Vernex subirent aussi de très forts dommages.

Après celui de l'eau et des débris, a suivi un autre torrent : celui des curieux qui venaient en train de tous azimuts pour voir les dégâts.

Peu étonnant dans ces circonstances que la population ait été très remontée contre le directeur de la société électrique. Finalement, l'enquête pénale a mis en évidence que c'était une accumulation de multiples fautes et manquements par différents intervenants qui avaient contribué ensemble à causer cette tragédie.

Au moins, les victimes et les villages ont reçu des dons généreux comme aide.

La construction de l'autoroute A9 durant les années 1960

La hauteur du tracée de l'autoroute a été déterminée par les conditions géologiques du Glion, permettant de percer le tunnel. Une partie des immeubles de Pertit devait être sacrifiée. Selon le témoignages oraux de Jean-François et Pierre Monnet (les fils de Pierrot Monnet, alors propriétaire de la ferme), les premiers pourparlers entre l'Etat et les propriétaires concernant les besoins de l'autoroute ont commencé vers 1962. Le 28 janvier 1966, le Conseil fédéral a donné son feu vert pour la construction du tronçon entre Lausanne et Villeneuve et c'est quelques jours plus tard, le 4 février, que les terrains entrent en possession de l'Etat après l'achat ou après expropriation[13].

Les familles concernées à Pertit ont alors vendu pour ne pas subir une expropriation. Est-ce qu'il y avait une résistance contre ce projet d'autoroute ? Evidemment dans un premier temps, il est arrivé que certains paysans de la région ont montré leur fusil pour « saluer » les géomètres. Mais on chercherait en vain quelqu'un qui aurait vraiment voulu monter contre l'Etat. Après avoir vendu leurs maisons, ces familles ont quitté Pertit pour s'installer plus haut. En mai 1966 sont alors apparus les baraquements à Chernex[14]. Parmi les anciens de Pertit, c'est Marguerite Dufaux qui se souvient le mieux de la date précise de la démolition de la partie supérieure de Pertit. Selon son témoignage, sa famille était la dernière (des concernées) à quitter le hameau pour s'installer en Sottex dans leur nouvelle maison à peine achevée. Sitôt après en juillet 1967 la démolition de la partie supérieure de Pertit a été exécutée par l'entreprise lausannoise Vonlanden.

En novembre 1970 le tronçon entre Vevey et Rennaz était ouvert[15].

A suivre …

Pourquoi le Pertit a-t-il été victime de la technologie à deux reprises ? Pourquoi la petite perle d'architecture des époques médiévales et bernoises a-t-elle dû sombrer dans l'insignifiance si longtemps ? Afin de donner des réponses à cette question et d'éclaircir l'histoire de Pertit, les anciens et nouveaux habitants de cette Arche de Noé de l'histoire montreusienne se sont réunis depuis l'été 2011. Ensemble nous avons cherché les photos et documents que nous avons exposés et publiés dans un livre.

Nous avons posé la question aux anciens de Pertit, s'ils voudraient revenir en arrière dans le temps et vivre encore aujourd'hui dans les belles conditions de la nature, de la vie en autarcie et avec l'architecture d'autrefois, si c'était possible, mais en acceptant les conditions de travail et de vie d'antan ? La réponse est unanime parmi les Pertusiens : personne ne voudrait plus abandonner la sécurité et le confort garantis par les technologies de notre époque !

Tous ceux qui peuvent donner des renseignements ou images concernant le Pertit sont cordialement invités à le faire.

Par ailleurs, nous avons encore quelques « secrets » à dévoiler dans un futur projet …

Montreux, le 13 novembre 2012

Jean-François Monnet jean-francois.monnet@bluewin.ch

Henriette Haas henriette.haas@bluewin.ch

Personnes ayant contribué à l'exposition et à la documentation

(Liste dans l'ordre alphabétique)

Réjane & Angel Borretti-Mury

Suzanne Brena-Jaeger

Alice Charrière (photographe)

Christiane Diedrichs

Eric Dufaux

Marguerite Dufaux-Hänggeli (photographe)

Hans-Martin Fopp

Christian Guhl

Daniel Charrière

Françoise Jakob-Charrière

Jean Menthonnex

Antoinette Perret-Monnet

Susanne Lüthi-Monnet

André Monnet (photographe)

Jean-François Monnet (photographe)

Pierre Monnet

Silvia Mosimann

Marianne Pithon

Gilbert Pidoux

Walti Schäublin

Madelein Thormann

Jocelyne Vago

Dolly Vallino

René Vallino

Conrad von Burg (photographe)

Jean-Daniel Vuichoud (photographe)

Les Archives de Montreux

Evelyne Lüthi

Eleonore Rinaldi

Nicole Meystre

Le Musée de Montreux

Jean-Pierre Loosli

Les Archives cantonales vaudoises

[1] Werner Stöckli (20/1/1977). Rapport archéologique concernant la Maison des Vignes à Pertit. Atelier d'Archéologie Médiévale SA, 1510 Moudon.

[2] Alfred Monnet (1926). La Commune du Châtelard - étude géographique et historique. Travail de Concours présenté à l'Ecole Normale de Lausanne en 1926, pp 352ss. Manuscrit inédite en possession de la famille Monnet.

[3] Archives cantonales vaudoises (ACV), cote PP 637 V/22/1/004.

[4] cité d'après Monnet (1926, p. 357ss).

[5] Alfred Monnet (1930). La Bourgeoisie du Châtelard. Notes historiques, état civil des familles bourgeoises. Archives de Montreux (AM) RA 10/1

[6] Archives cantonales vaudoises (ACV), cote P Châtelard 59, terrier établi par Jean de Gingins 1441

[7] Monnet (1930) op. cit.

[8] Merci à Antoinette Perret-Monnet, à Jean-François Monnet et à Pierre Monnet d'avoir fourni ces informations et les images y correspondant

[9] Louis Monnet (19/7/1961). La disparition du vignoble montreusien est imminente. Lettre de la Riviera. Gazette de Lausanne, p.5.

[10] Remerciements aux collaboratrices historiennes des Archives de Montreux, Evelyne Lüthi, Eléonore Rinaldi et Nicole Meystre qui nous ont soutenus dans les recherches.

[11] L'Est vaudois (le 5 novembre 1988). Jenny, R. « Il y a cent ans, la rupture du reservoir de Sonzier provoquait la catastrophe ». p.10

[12] Comité de secours aux victimes (novembre 1888). Catastrophe de Sonzier. Carnet avec le décompte des dons, rédigé par le Pasteur Béchet. Archives de Montreux (AM) cote T-11.

[13] Gazette de Lausanne (le 29 janvier 1966). Georges Duplain. « Les routes nationales en 1966 ».

[14] Journal de Montreux (le 6 mai 1966) « De nouvelles habitations ont surgi : il s'agit des baraquements qui abriteront, pendant plusieurs années sans doute, les ouvriers ».

[15] Gazette de Lausanne (le 6 avril 1970). « Que se passe-t-il sur la nationale 9 ? »

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Henriette Haas
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