Daniel Palmieri: "Les archives du CICR donnent une autre vision de la guerre et de ses souffrances"

17 avril 2013
Claude Zurcher
David

Il aime à préciser qu'il est historien au CICR, et non historien du CICR. Une distinction qui a son importante et qui s'inscrit d'ailleurs dans l'esprit d'indépendance de l'institution. Daniel Palmieri œuvre donc comme historien au CICR depuis 2002. Sa formation universitaire, suivie d'un post-grade en étude des relations internationales, lui a permis de travailler sur un fonds d'archives unique, tant pas sa valeur historique que par la dimension humaine qu'il dessine, par contraste, avec les guerres et les conflits qui ont marqué 150 ans de l'histoire du monde. A l'occasion de cet anniversaire, les archives du CICR ont choisi de faciliter leur accès auprès du public par l'ouverture d'un site spécifique, aux côtés des archives du CICR. Une visibilité qui tient compte aussi de notrehistoire.ch puisqu'un choix de documents de ce site enrichit régulièrement notre projet éditorial. Interview.

Quel est votre rôle d'historien au CICR ?

Daniel Palmieri. Mon travail repose principalement sur le traitement des sources internes du CICR, et ces sources sont nombreuses, comme vous pouvez l'imaginer. Il s'agit aussi bien de documents écrits que d'archives audiovisuelles, de pièces officielles et de notes, de documents déposés par les anciens délégués, etc... qui permettent d'écrire une histoire de l'institution utile en interne, pour l'ensemble des personnes travaillant au sein de l'institution, mais aussi pour les chercheurs et le public. C'est dans ce sens que je participe régulièrement à des colloques et à des publications.

Il faut rappeler que le CICR est une organisation privée. Par conséquent, elle n'a pas l'obligation de conserver ses archives, sinon les documents administratifs et cela pour une période limitée. Or, depuis sa fondation en 1863, le CICR a toujours apporté un soin particulier au traitement et à la conservation de ses archives. Ce sont là des documents de valeur, tant l'action du CICR a été liée aux événements historiques qui ont forgé ce siècle et demi. D'ailleurs, une partie des archives du CICR est classée au patrimoine de la mémoire de l'Unesco.

En quoi consistent les archives du CICR ?

C'est un très beau fonds d'archives. Il est varié. Il comporte non seulement des documents écrits, mais aussi des photographies (plus d'une centaine de milliers de clichés), près de 3500 films, 5000 heures d'enregistrements sonores. Sans oublier la bibliothèque qui a été créé par l'institution pour ses employés et qui donne un aperçu sur la Croix Rouge et sur l'évolution du travail humanitaire. Enfin, il faut citer également les fonds privés qui sont déposés aux archives du CICR, et qui proviennent notamment des fondateurs et des anciens délégués. Ces archives ainsi réunies sont importantes, car elles présentent une autre vision de la guerre et de ses souffrances. Elles montrent aussi comment les hommes peuvent agir dans une perspective humanitaire.

Quelles sont les règles que vous suivez pour le dépôt des archives des délégués ?

La conservation des archives privées des délégués - ce sont des notes personnelles, des photographies par exemple - sont laissées à leur propre appréciation, au-delà des règles professionnelles qui les lient à l'institution. Je dirais que c'est un peu une politique au « coup par coup » ; cela dépend des missions, des délégués et de la valeur de leurs fonds privés.

Et quelle est votre politique d'accès aux archives du CICR ?

Une partie seulement des archives est ouverte au public. Mais nous cherchons à favoriser l'accessibilité en ligne. Nous avons d'ailleurs ouvert un site spécifique pour les 150 ans du CICR qui présente un choix de documents photographiques, de films et d'enregistrements sonores. Nous devons en effet tenir compte du droit des victimes, c'est là un point essentiel qui impose des restrictions, je pense notamment au droit à l'image. Et ne pas mettre en danger les activités des délégations sur le terrain en publiant des documents qui, même anciens, pourraient nuire à leur sécurité ou aux conditions de leur travail.

Pour les documents écrits, nos règles imposent un délai de 40 ans avant l'ouverture - s'il s'agit de documents généraux - et de 60 ans s'il est fait référence à des données personnellles. Depuis 1996, le CICR déclasse ses archives par tranche. Un premier déclassement couvrait les années 1863 à 1950. En 2004, une deuxième tranche a été ouverte, avec les années 1951 à 1965. La prochaine période portera sur les années 1966-1975 et devrait être accessible dès janvier 2015. C'est une période très intéressante.

Mais il faut préciser que cette politique n'est pas systématique. C'est toujours le Comité qui décide en dernier ressort de ce qui est déclassé. Il doit en effet tenir compte de l'impact que peuvent avoir ces informations aujourd'hui encore. A ma connaissance, le CICR n'a pas rencontré de difficulté particulière lors de ces deux ouvertures d'archives.

Cette démarche d'ouverture s'est inscrite dans le prolongement du travail effectué à la fin des années 1980, lorsque le CICR a anticipé la crise des fonds en déshérence qui a affecté la Suisse. En fait, c'est un très long processus de réflexion au sein de l'institution qui a débuté en 1945 déjà avec les archives concernant les camps de concentration allemands. Le CICR a dû faire face à l'époque à de critiques sur son absence de dénonciation, voire sur son inaction. Le travail de l'historien Jean-Claude Favez (1) a apporté par la suite la preuve que la politique d'ouverture des archives du CICR représente une valeur importante pour l'image de l'institution.

Ce déclassement a-t-il permis de nuancer la compréhension de conflits ?

Je dirais que dans deux cas les archives du CICR ont favorisé un autre regard des historiens. Sur le rapatriement d'une partie des Coréens déportés au Japon à la fin de la Seconde Guerre mondiale et sur la guerre d'Algérie.

Où en êtes-vous de la numérisation de votre fonds?

Le travail s'est d'abord porté sur les archives audiovisuelles, dont les supports étaient en danger. Avec le soutien de Memoriav, les archives sonores ont été sauvegardées. Les films sont cours de restauration et de numérisation.

Nous avons également une politique de microfilmage des documents écrits, par série, en partenariat avec d'autres musées. Mais les procès-verbaux du Comité n'ont pas bénéficié de cette numérisation. Une réflexion est menée dans ce sens, car il s'agit là d'un élément important des archives de l'institution.

Mais nous sommes confrontés à deux obstacles principaux. La question des coûts d'une telle opération et des moyens humains dont nous disposons car, je le rappelle, le CICR n'est pas une institution à vocation mémorielle, comme un musée par exemple, mais une organisation humanitaire qui agit dans des situations d'urgence. Pourtant, nous sommes parfaitement conscients que ce travail sur les archives permet aussi une forme de reconnaissance du sort des victimes. Il est donc dans le prolongement de l'action humanitaire du CICR.

Propos recueillis par Claude Zurcher

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David
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17 avril 2013
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