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Tremblement de terre en Valais en janvier 1946 Repérage

25 janvier 1946
Noël Tamini
Noël Tamini

La catastrophe de Haïti a ravivé en moi le souvenir d'un autre tremblement de terre - bien peu comparable, mais poignant quand même -, vécu le 25 janvier 1946 dans mon village natal, non loin de l'épicentre. Ma famille était à table, réunie, vers 18 h 30, pour le repas, fait de pommes de terre bouillies, plus du fromage ou des harengs, et du chocolat au lait. Les tasses pleines avaient été secouées au point que le quart au moins du liquide avait passé par-dessus bord. A notre grand-mère, aveugle et octogénaire, j'avais dit spontanément: «Priez, grand-maman, priez!» Le danger passé, on me le répétera souvent...

Juste après le tintamarre des casseroles et des marmites accrochées à la paroi, vaste éclair bleu au dehors. Le gaz ? Peu après, on put voir que la cheminée de notre maison s'était écrasée au sol! Quelle sacrée secousse pour que cette maison, grosse bâtisse solide construite par mon grand-père Modeste, perde ainsi sa cheminée de pierre! Surprise aussi de constater que ce lourd objet s'était brisé sur le véhicule de notre père facteur: un vélo si robuste qu'il était comme intact.

Ce qui restera pour moi une énigme, c'est le fait que certaines de nos poules avaient ce soir-là pondu des œufs sans coquille: seulement pourvus d'une tendre pellicule... On peut faire peur aux poules de toutes les façons, jamais elles ne pondront ensuite des œufs sans coquille! Alors qu'un tremblement de terre... Je ne comprends toujours pas. Ou alors est-ce l'effet d'ondes mystérieuses perçues seulement par les gallinacés et qui leur font une telle frousse ? Mais pourquoi diable?

Le lendemain matin, par grand froid et ciel serein, la rivière roulait de grosses eaux brunâtres. Cette nuit-là, dans "le ventre de la terre", par-dessous les abords du village, il y avait eu de sacrés changements. Ainsi, une source abondante et persistante avait jailli entre deux vignes. C'est un vieux, Dionys, qui l'avait découverte: il était parti tôt le matin, sans doute avec un pressentiment.

J'ai encore le souvenir - tellement c'était insolite et lugubre à la fois - de tous ces gens qui cette nuit-là passaient devant notre maison. Ils portaient des matelas, parce qu'ils avaient préféré dormir, par moins 15 degrés, dans un pré jouxtant la tonnellerie de notre cousin Alphonse E. Il y avait là assez de bois pour alimenter un feu qui durerait au moins toute la nuit. D'autres, nombreux, avaient préféré se réconforter au café Vinicole voisin. En fin de nuit, une secousse l'ébranla. Sauve qui peut ! La dernière à en sortir avait été la volumineuse Eugénie Z., qui était pourtant proche du seuil. Telle une de ces dames du dessinateur Dubout, elle avait été "à-plat-ventrée", et avait dû laisser passer tout le monde sur son dos rebondi, avant de s'en tirer. Au diable les gentlemen... Eugénie, qui n'avait pas sa langue dans sa poche, on imagine son bruyant caquetage...

Des mois plus tard, on avait ressenti des répliques encore impressionnantes. Ainsi, à l'école primaire, un jour que l'instituteur m'avait puni et que j'étais à genoux, bras étendus, lourds bouquins en mains, une nouvelle secousse avait heureusement interrompu ce supplice! Et ce soir où le curé nous faisait le catéchisme à l'église... En quelques secondes, il s'était retrouvé seul: une autre secousse, et tous les gosses avaient déguerpi! Et encore ce matin de l'Ascension où, à la messe, en pleine élévation, nouvelle secousse... Moi, enfant de chœur, sonnette à la main, regardant avec anxiété des bouts de plâtre qui descendaient des parois (à l'élévation!)... J'avais hésité, car il y avait, toute proche, sous le clocher, une porte de sortie. J'étais resté. D'ailleurs, cette fois-là, personne n'avait quitté l'église: la terre ne tremblait plus aussi fort qu'en janvier.

Au village, bilan de ce tremblement de terre : seulement quelques maisons lézardées. Mais non loin de la source nouvelle, en bordure d'une colline calcaire où pousse certain cactus, un phénomène s'était produit. Une sensible baisse du niveau de la nappe phréatique avait dégagé un trou bizarre, ordinairement obstrué par un amoncellement de ronces et de buissons. Aux gosses on disait que dans cet antre mystérieux vivaient des bêtes horribles, genre serpents géants, ou même petits dragons... On n'allait pas tarder à découvrir et à aménager là-dedans ce qui deviendrait "le plus grand lac souterrain d'Europe". Ce fut peut-être, en fin de compte, le seul tremblement de terre qui généra une certaine prospérité.

(extrait de LA BELLE VIE, 2013, manuscrit qui a reçu le Prix de la Créativité, Zurich)

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Noël Tamini
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7 octobre 2015
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