Rapport de l'Oeuvre des Sommelières pendant la Fête des Vignerons, août 1905.
LA FEMME
N° 10. — 27e Année. Octobre 1905 Revue paraissant le 20 de chaque mois.
Rapport de l'Oeuvre des Sommelières pendant la Fête des Vignerons, août 1905.
Désireuses de suivre l'exemple qui leur avait été donné par les Amies de la Suisse allemande, les Amies de la jeune fille de Vevey se préoccupèrent de ce qu'il y aurait à faire pour améliorer le sort des sommelières de la cantine de fête.
Dans ce but, elles se mirent en rapport avec le cantinier, qui, ayant déjà eu à se féliciter des services rendus par les Amies d'autres localités, fut enchanté de remettre en de si bonnes mains le soin du logement de son personnel.
Un comité de messieurs, chargé d'exercer une surveillance sur le cantinier, se préoccupa d'établir un cahier des charges par lequel le cantinier s'engageait à ne faire travailler les femmes que de jour ; elles seraient libres à onze heures le soir, et pourraient se reposer jusqu'au matin.
On se mit alors en quête de logements confortables et, dans ce but, les Amies louèrent le bâtiment de l' Ecole supérieure des filles, composé de six grandes salles et de trois vastes corridors, distribués sur trois étages. Il s'agissait de placer cent soixante lits et paillasses, et de transformer les corridors en chambres de toilette.
Les Amies, craignant de ne pouvoir suffire à la tâche, sollicitèrent les membres de l'Union des femmes de se joindre à elles.
Cent lits complets furent gracieusement offerts par le comité des Colonies de vacances ; des paillasses et couvertures militaires complétèrent le nombre voulu.
Tandis que les salles d'école se transformaient en dortoirs, le corridor du rez-de-chaussée était divisé en trois parties, dont l'une pour la distribution du thé, une autre faisant l'office de pharmacie et la troisième de bureau.
Une gardienne fut installée à demeure dans la salle de la direction, qui plus tard servit de vestiaire; une petite cuisine à proximité faciliterait le chauffage de l'eau pour les bains et le thé.
Deux médecins de la ville offrirent leurs services en cas de besoin, et le bâtiment fut mis sous la surveillance des agents de la police.
On engagea deux escouades de femmes de charge, une pour la journée, une autre pour la nuit, et quand on se fut procuré la quantité de menus objets nécessaires, trop longs à détailler ici, on crut pouvoir compter que tout se passerait avec ordre.
Vous verrez, Mesdames, par la suite, les difficultés qui surgirent.
C'était au rez-de-chaussée que se faisaient les inscriptions; les sommelières, à leur arrivée, recevaient un petit numéro de carton correspondant au lit qu'elles devaient occuper; leurs noms et adresses étaient relevés sur des registres où l'on inscrivait aussi les objets et les valeurs qu'elles désiraient laisser en dépôt.
Une circulaire leur était distribuée, qui leur expliquait en allemand et en français qu'elles étaient sous le patronage des Amies, et les invitait à l'ordre et à la bienséance.
Plusieurs jours avant la date fixée par le cantinier, les sommelières arrivaient déjà; d'abord quelques-unes seulement, les vétérans, celles qui avaient des contrats en règle; la veille.de la fête, arriva le gros tas, si nombreux que le contrôle devenait difficile : « Avez-vous votre contrat comme sommelières de la cantine ? » demandais-je à une bande de jeunes filles folâtres, qui paraissaient ne venir que pour s'amuser.
- Nous cherchons un engagement et sommes en pourparlers avec un gérant d'hôtel. »
Plus tard, c'était une amie, une cousine qui se faufilait dans les dortoirs pour profiter de la fête.
Notre nombre fut ainsi vite dépassé, et nos dortoirs devinrent insuffisants pour contenir tout ce flot humain. Nous exigeâmes des dernières arrivées qu'elles nous prouvassent leur identité par un billet timbré de la cantine, mais le cantinier, surmené par ses derniers préparatifs, distribua alors sa signature à tout venant et sans contrôle aucun.
De jour et de nuit, pendant quinze jours consécutifs, les Amies se succédèrent dans cet hôtel improvisé pour se mettre à une besogne ardue, mais fort intéressante. La nuit surtout le travail abondait. « Mais que pouviez-vous bien faire toute la nuit? » me demandait une de une de mes connaissances.
- Tant de choses que le petit jour arrivait sans qu'on s'en doutât.
C’était vers les huit heures du soir que les dames de nuit allaient remplacer lés surveillantes de la journée. La première préoccupation était de chauffer de l'eau pour la distribution du thé et des bains, qui ne cessait qu'au matin. Alors, arrivaient les sommelières, par bandes de six, de huit, exténuées, assoiffées, les pieds blessés. On les faisait asseoir et on leur offrait le thé qui leur faisait si plaisir.
C'était le moment des confidences et des épanchements; elles racontaient leurs difficultés, leurs ennuis, le manque de conscience des chefs, souvent leurs soucis de famille, l'inquiétude au sujet des enfants qu'on avait laissés seuls à la maison.
Une bonne parole, un peu de sympathie faisaient alors tant de bien.
Elles se déchaussaient alors, et pendant qu'elles reposaient leurs pieds fatigués dans une bonne eau chaude, les femmes de charge ciraient les bottines et numérotaient le linge à laver.
Ces pauvres femmes gagnaient leurs lits ou leurs paillasses pour dormir pendant quelques heures, souvent bien insuffisantes, mais heureuses de pouvoir compter qu'on les réveillerait à l'heure indiquée et de savoir qu'elles trouveraient leur garde-robe remise en état pour le lendemain.
Et puis on passait à l'escouade suivante, et cela durait ainsi jusqu'au matin.Et que de petits services à rendre ! Une épingle ici, du papier à lettres là, un mandat à porter à la poste, une carte postale à envoyer à la famille, des indispositions à soulager, des accidents de toilette à réparer, etc..
« Comme nous rentrons volontiers, nous disaient un soir plusieurs Zurichoises, quand on est si bien accueilli. »
Si l' oeuvre entreprise a été fatigante, les promotrices ont été bien récompensées de leurs peines par les témoignages multiples de reconnaissance émanant de ces pauvres femmes, parmi lesquelles se trouvaient bien des mères de famille, attirées par l'espoir d'un gain rémunérateur, espoir souvent déçu, hélas !
- Recommenceriez-vous pareille entreprise? me demandait une dame un peu sceptique sur le résultat moral de l'oeuvre.
- Sans hésiter, répondis- je, en mettant à profit les enseignements reçus et les expériences faites. Nous nous arrangerions à savoir à l'avance et très exactement le nombre et les noms de nos hôtes de quelques jours, et nous exigerions des heures de rentrées régulières. Ensuite nous prendrions des mesures pour faire respecter les contrats et les engagements pris vis-à-vis des sommelières.
Un vrai souffle de dévouement et de solidarité a remué chacune, et si cette oeuvre n'a pas amené tout le bien qu'on aurait aimé voir sortir de cette initiative, elle a certainement évité beaucoup de mauvaises choses.
Des horizons nouveaux nous ont été ouverts, que nous ne soupçonnions pas, et quel vaste champ de travail. Mais comment toucher quelques- unes de ces créatures, chez lesquelles le sens moral paraît faire entièrement défaut ?
Pauvres femmes ! Dénuées de tout sentiment de pudeur, de décence élémentaire, de respect de soi même.
C'est un spectacle navrant; et cependant les témoignages d'affection que nous avons eus le privilège de leur dispenser pendant quelques jours ne sont pas perdus : une larme dans les yeux, une chaude poignée de main, un merci émotionné en sont des preuves bien encourageantes.
L. Curchod-Secretan.
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Ndsp P.S. :
Dans les années 40-60 ma mère était aussi sommelière, d'abord à 16 ans chez Lindt & Sprüngli à Zürich , puis dans des cafés-restaurants réputé._
Elle me disait que pour avoir le droit de travailler, le matin en arrivant à 6h00, elle donnait d'abord 5frs au propriétaire de l'établissement. Son salaire était uniquement composé des pourboires qu'elle recevait, de plus, suivant ou elle était, la nourriture, le logement, le blanchissage pouvait lui être facturé ou non, ceci au gré du contrat écrit ou oral passé avec le patron ._
- Les tables était numérotées et les sommelières recevait à tour de rôle un secteur de table donné, quand à la terrasse c'était aussi à tour de rôle, alors imaginer bien, que le salaire journalier d' une terrasse par jour de pluie était égale à 0frs mais il fallait quand même être là._
- L'horaire habituelle était de 06h00 - 14h00 / 16H00 -23h00_
Les sommelières mangeait sur place et avait la charge de leurs fond de caisse (cela consistait à avoir assez de monnaie pour le change, soit pour un restaurant qui marchait bien, environ 100frs de monnaie, qu'elle avait toujours sur elle). Ce qui constituait pour une ouvrière de l'époque un investissement, non seulement considérable, mais dangereux sur le chemin maison-travail-maison._
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