Course UCJG au Vuache_7
Rapporteur Léo Reymond.
Voici le premier d'une série d'articles que j'ai copiés dans un cahier de courses de la section "Vernier" des Unions chrétiennes de Jeunes Gens.
Je pense qu'il mérite notre intérêt car une tranche de vie du début du 20ème siècle s'offre à nous; on voit vivre, s'amuser, ressentir, agir, penser les jeunes gens de cette époque. Ce témoignage aide à notre compréhension de la jeunesse d'alors, qui fut confrontée, même en Suisse, à des événements extrêmement graves, que dis-je, à un bouleversement mondial (la guerre 1939-1945) qui a considérablement hypothéqué leur jeunesse.
Course UCJG Vernier au Vuache le dimanche 6 avril 1930
Participants : Charles Flohr, chef de course, Jacques Marti, Jean Décosterd, David Cerri, Henri Gurtler, Victor Gurtler, Robert Détraz, César et Alexandre Jeannet, Léo Reymond., soit en tout dix participants exactement.
A 7 heures du matin, nous nous trouvons dans le hall de la gare de Cornavin. Après que les billets eussent été pris par les soins de Gurtler, nous allons prendre possession d'un compartiment, au milieu d'une animation, d'une cohue extraordinaire. Notre train est pris d'assaut par un essaim de jeunes qui ont le Vuache comme but d'excursion. Voilà bien notre chance, nous qui désirions être seuls, on est bien servi ! Enfin tant pis.
Le train siffle, et nous partons, au milieu d'un vacarme qui ne diminuera guère, jusqu'à Collonges-Fort-de-L'Ecluse. L'on pourrait même dire qu'il s'amplifia au fur et à mesure que nous avancions ; pour être équitable, il est juste d'avouer que nous y avons chanté presque pendant tout le parcours.
Mais nous voilà au terminus et nous nous entassons, littéralement, devant une porte fermée - Pourquoi donc est-elle fermée ? Parce que c'est la douane ! Une légère inquiétude vite dissipée devant la paternelle bienveillance des douaniers français, nous a un moment saisis, car nous n'avons aucun passeport. Comme je l'ai dit, nous passons cependant sans aucune observation et nous voilà prêts à entreprendre l'assaut du Vuache ; nous sommes pleins d'ardeur et de joie et c'est en chantant à plein poumon que nous marchons. Et de ce pas, nous avons tôt fait de rattraper et de laisser derrière nous de nombreux touristes.
A Chevrier, que nous atteignons bientôt, nous faisons quelques emplettes de limonades en prévision de la soif. Le village est tout à fait pittoresque et c'est un plaisir de le traverser. Pendant nos achats « nos touristes » nous rattrapent et derrière nous s'allonge une véritable procession. Ce fait est très curieux, et il serait intéressant de savoir ce que pensent les « naturels » de ces citadins en quête de fleurs, d'air, de soleil, de joie, de vie au grand air. Au fond est-ce qu'on ne lit pas au fond de leurs yeux, un regard un peu étonné et tant soit peu malicieux ? Il y a cependant un « naturel » qui se frotte les mains de cet envahissement passager : c'est l'aubergiste ! En a-t-il vendu, des limonades, des chopes, des sirops, etc.
Pour nous ramasser avant de prendre notre élan et escalader la montagne farouche qui se dresse devant nous, nous suivons les conseils remplis de bon sens de notre guide, comme lui-même connaît le pays, il nous conduit à sa suite un peu à l'écart de la houle vivante, un vrai marin, et là, bien assis sur le gazon reverdissant, nous cassons la croûte au milieu de lazzis que fait pleuvoir Détraz en pleine verve. Car lui se contente pour son casse-croûte d'un peu de rien, sans pain, avec un verre de même. Vraiment, ce garçon-là a de l'avenir, et s'il met en pratique son précepte, certainement qu'il ne mourra pas d'une indigestion.
Mais il est temps de repartir et sac au dos, nous entonnons un air entraînant qui nous donne semble-t-il des jambes doubles ; la montée cependant s'accentue de plus en plus et nombreux sont les groupements qui nous rattrapent à nouveau.
Après une bonne heure de montée, nous sommes à la cime ; une bise légère nous caresse et rafraîchit nos visages enflammés. Une vue étendue réjouit nos regards et nous restons un moment en contemplation.
Nous passons dire bonjour à la petite chapelle érigée au sommet et ensuite, nous partons à la recherche d'un coin tranquille, pour y établir notre campement. Lequel trouvé, nous posons nos sacs et « posons une cosse ». Histoire de se sentir les coudes, nous faisons une vraie leçon de chant, et pendant plus d'une demi-heure nous chantons, chantons ; comme des lézards se chauffant au soleil, nous nous laissons caresser par les rayons de Phoebus ; nous donnons libre cours à notre joie, nous lui ouvrons toutes les vannes et un débordement de chant s'échappe de nos poitrines, tous nous sommes heureux et notre joie se manifeste par nos chants.
Avant de faire la « popote » nous allons faire une cueillette de jonquilles - pauvres, pauvres jonquilles. Combien en aurons-nous rencontrées sur notre chemin, abandonnées après avoir été brutalement arrachées de leur pied, se flétrissant sur les sentiers et les routes. Ne pensez-vous pas qu'elles ne désirent rien de plus qu'à vivre dans leur terre ? Ne pouvons-nous pas jouir d'une course magnifique sans marquer notre passage par des traces si barbares ? Environ 200 personnes ont passé sur le Vuache pendant la journée, vous voyez d'ici là les résultats !....
Notre estomac réclamant des soins urgents, nous rallions le campement où immédiatement nous attaquons, avec entrain également, soyez en sûr, notre dîner. Il fut copieux, divers. De tous les sacs, il sortait une trouvaille et tous, en vrais « socialistes » nous avons partagé et goûté de tout.
(photo 1 et 2) : voir : http://www.notrehistoire.ch/photo/view/35763/
http://www.notrehistoire.ch/photo/view/48190/
Gurtler, homme de ressources, habile cuisinier, - qualité que nous pourrons lui retrouver en plusieurs occasions, telles que séances avec thé. etc. - nous servit à tous une excellente tasse de cacao bien chaud.
Quant à Jeannet, il est certain qu'avec de l'habitude et de la patience il aura une carrière toute faite dans la cuisson des œufs, sur un potager de fortune, ouvert à tout vent. Demandez des nouvelles à Détraz et Cerri, ils pourront, j'en suis certain, vous renseigner assez bien.
Nous ne pouvons cependant pas rester indéfiniment dans cet oasis et il nous faut à regret replier nos cuisines, brûler nos papiers, etc, soit mettre notre campement au propre.
Ce travail est assez rapidement fait.
Puis, sur une proposition de je ne sais qui, nous décidons d'organiser un concours de lutte, en guise de digestion.
Vite, nous prenons une photographie du groupe ; on remarque bien une casserole sur le poêle. De gauche à droite, Alex, Victor, César, Figasse, Flohr, Jacki, David, Décosterd, Robert. Nous rendons ici un sincère hommage à notre photographe qui nous permet de garder de si vivants souvenirs. (Henri Gurtler probablement).
Planquant ensuite armes et bagages, nous laissons en plan notre cantonnement et partons à la recherche d'un terrain de lutte idéal, nous dit Victor, à deux pas d'ici ; nous le suivons sans méfiance, mais voilà que le farceur se trompait et nous marchons, marchons toujours sans atteindre la place rêvée. Cela devient embêtant, surtout pour Marti, qui n'a pas remis ses chaussures et qui, courant en chaussettes, commence à trouver les pierres un peu dures.
Après délibération, nous décidons d'arrêter là nos recherches hypothétiques, nous rentrons au campement. Marti se chausse ; après quoi, nous partons définitivement direction sud-est. Il est convenu d'un accord commun que le championnat de lutte se déroulera dès qu'un champ favorable se présentera à nous.
Une descente très rapide nous oblige très souvent, et cela malgré nous, à nous asseoir brutalement sur notre postérieur. A part ces quelques incidents, nous sommes bientôt à Arcine, petit village rendu pittoresque par un château du Moyen Age. Quelques photos sont prises. Deux braves hommes, sont priés de s'adjoindre à nous, ce qu'ils font de bonne grâce. (Nous leur enverrons des photos ( !)
http://www.notrehistoire.ch/photo/view/48193/
Un peu plus loin, près d'une fontaine, casse-croûte général, nouvelle photo et nous prions également un mutilé de guerre, Mr Alexis Roset (ils s'appellent tous Roset dans ce patelin) de rester avec nous ; nous lui enverrons également une photo ; il a été content et nous encore plus.
http://www.notrehistoire.ch/photo/view/48194/
En chantant de plus belle, nous continuons notre chemin ; la route est bonne et nous marchons bon train. Tout à coup, nous apercevons, en haut à gauche, une esplanade idéale. Nous montons immédiatement à l'abordage ; nous en prenons possession et là se déroulent nos luttes ; pour stimuler l'ardeur des lutteurs, une magnifique plaque de chocolat entourée d'un superbe papier d'argent orné de merveilleuses gravures sera la récompense du vainqueur. La lutte fut chaude, loyale, chevaleresque, voici quelques photos prises aux vifs, par notre excellent photographe. Remarquons aussi, dans le fond à gauche, le matériel sanitaire nécessaire à toute société qui se respecte et qui en l'occurence, a rendu service à quelques égratignures.
Ci-contre, nous pouvons admirer les lutteurs Cerri et Décosterd, au moment où ce dernier va être lancé par son adversaire, comme un simple paquet d'allumettes, à 10 mètres du champ de bataille.
http://www.notrehistoire.ch/photo/view/48195/
Là nous avons à faire avec Jeannet Alex et Figasse, dans un corps à corps terrible où, après un effort titanesque, la victoire resta au vainqueur. Dans le fond, nous apercevons les membres du jury suivant avec passion les phases de ce combat magnifique :
http://www.notrehistoire.ch/photo/view/48196/
L'exercice, «ça creuse » et un casse-croûte s'imposait. Après une allocation émouvante de notre formidable guide, ci-devant président du jury, dont on a été tout émotionné tant c'était beau, nous descendons sur la route et en route direction Nord Ouest, en chantant de tout cœur.
En face du Fort de l'Ecluse, nous nous arrêtons un moment et cette remarquable photo a été prise.
http://www.notrehistoire.ch/photo/view/48197/
Nous voici maintenant à Chevrier, où l'on est passé ce matin. Ici, la caisse de l'Union offre aux jeunes un verre de sirop. Après cette dégustation, nous prenons le chemin de la gare où nous attendons, pendant une demi-heure au moins, le train qui doit nous emporter et nous ramener à nos domiciles. La foule est très grande. La petite gare est littéralement envahie de jeunes personnes. Tout à coup, un mouvement se produit, un soupir s'élève de cette masse mouvante, patiente et fatiguée de sa journée…. Le train arrive, nous le voyons apparaître, grandir, et il s'arrête devant nous.
Aussitôt, c'est une ruée, un assaut véritable, indescriptible, aux portières. Nous sommes démembrés par cette foule et nous nous retrouvons six seulement dans un compartiment 2ème classe - c'est vraiment moelleux - où nous avons dû nous réfugier, les 3èmes étant tout à fait remplies.
Nous étions les Jeannet Alex et César, Charles Flohr, Robert Détraz et je ne me rappelle plus qui encore, bien tranquilles, jouissant de notre solitaire béatitude, lorsque à l'arrêt suivant, deux demoiselles charmantes font irruption parmi nous. Ma foi contre mauvaise fortune, nous avons fait bonne contenance….. Nous avons tout de même continué à chanter, car dès que nous avons senti le train rouler, nous recommençâmes à chanter. Mais cette fois, très calmement. Oui, nous chantâmes de nouveau, nous nous habituions à leur présence, et sans être trop orgueilleux, sans prétendre le moins du monde être des as du chant, loin de moi cette idée, je crois que ces demoiselles en ont été charmées et qu'elles ont trouvé de leur goût nos chants. Il est vrai que les frères Jeannet s'entendent admirablement bien pour chanter ensemble. Toujours est-il que nous avons passé là une heure épatante qui restera gravée profondément au cœur de chacun de nous.
Le retour a été pour ainsi dire le couronnement de cette course lumineuse. Je ne crois pas que ce mot soit exagéré, car nous avons eu beaucoup, beaucoup de joie.
Sans nous en apercevoir, le temps passe et nous voici à la station de Meyrin où nous descendons, non sans avoir été préalablement salués et remerciés très gentiment par ces deux demoiselles, ce qui, nous le dirons franchement, nous fit très plaisir.
Le train repartit et nous voici de nouveau marchant chacun vers nos demeures, allant goûter bientôt d'un repos mérité.
Il faut que nous fassions beaucoup de courses semblables, tel a été le vœu de chacun, tel est également mon désir, je ne doute pas que par la suite, nous réussissions chaque fois aussi bien toutes nos sorties, eussions-nous bien la pluie. Là n'est pas le principal, avoir un esprit d'amitié, d'amour mutuel fraternel, voilà ce qu'il faut avoir et voilà ce que des courses pareilles développent en nous.
Le rapporteur : Léo Reymond
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