" Les personnages sont sans importance : Gabriel Leuenberger et son père. Aujourd'hui, tout semble avoir disparu, sur terre et dans l'eau. Vers 1940, en me baignant, je pouvais encore voir les pilotis immergés.

Je suis né en 1930 à Grandson, dans une famille de pâtissier-boulanger-confiseur, ouverte par mon arrière-grand-père en 1864.

Cette photo date exactement de janvier 1932 ; j’avais 21 mois ; je suis avec mon père qui avait 26 ans. J’ai eu le privilège d’avoir un oncle qui avait un Leica, un appareil photographique très perfectionné à cette époque ; il a pris en photo toute la famille, à toutes occasions, si bien que mon album est plein de souvenirs. Quand je dis la famille, je veux dire le clan, car j’ai vécu entourés d’un grand-père, de deux tantes, d’une sœur à l’époque, d’un ouvrier et bien sûr de mes parents, donc 8 en famille. La promenade, quasi quotidienne, se faisait avec l’une ou l’autre de ces grandes personnes.

Le document représente un lieu fa-bu-leux ! Je découvrais à mon âge un monde féerique, illustré plus tard, en 1936-37, par le livre d’Histoire suisse du Canton de Vaud pour les écoles primaires, et qui s’ouvrait sur le temps des lacustres avec une image montrant un village lacustre sur un plan d’eau : les pilotis, un plateau de bois et sur le plateau des huttes au-dessus de l’eau dans un décor aquatique et forestier, ce que la science moderne a banni, mais qui reste gravé dans ma mémoire.

Cet endroit, au pied du hameau de Corcelettes (Commune de Grandson) a été un lieu très fréquenté par ma famille : on allait s’y baigner très régulièrement. Dans le même coin, il était possible de ramasser quelques tessons de poterie ; mes cousins de Corcelettes en avaient garni les corniches des armoires. Je n’en ai jamais ramassé : ces tessons étaient noirs ! J’ai en revanche, vu des gens, avec pioches et pelles, chercher et fouiller le sol en vue de découvertes… Aujourd’hui, tout a disparu, sur terre et sous l’eau : plus de pilotis, un camping a recouvert le site. Le paysage reste splendide, mais l’Histoire est morte.

Cette photo provient de mon album rempli grâce à mon oncle, sur demande de ma mère qui voulait que ma sœur et moi ayons des souvenirs. C’est l’un des plus beaux cadeaux de mon oncle et la plus belle manière de ma mère de nourrir notre vie passée."