Francis POULENC, Concerto en ré mineur pour deux pianos, FP 61, Francis POULENC, Jacques FÉVRIER, OCL, Victor DESARZENS, 1961
Francis POULENC, Concerto en ré mineur pour deux pianos, FP 61, Francis POULENC, Jacques FÉVRIER, OCL, Victor DESARZENS, 1961
Photo-montage avec Jacques Février, à gauche, et Francis Poulenc
Dans les premiers jours d'août 1932, Francis Poulenc rend visite à Jacques-Émile Blanche à Offranville et se met au piano... «pour me faire entendre le grand concerto (2 pianos et orchestre) qu'il vient d'écrire [...]. Il ne voulait plus partir, regrettant, me croyant seul, sans cuisinière, d'avoir été déjeuner à Varengeville chez Albert Roussel, qui lui a imposé la lecture de toute une partition sinistre qu'il veut bouffe [Le Testament de la tante Caroline]. Tout heureux de se retrouver avec nous, de rire ensemble - comme si nous ne nous fussions jamais perdus de vue.» Jacques-Émile Blanche dans son journal, cité d'après Hervé Lacombe.
Le 21 août, la partition est achevée, Jacques Février - ami d'enfance de Poulenc, et pour lequel il a composé ce concerto - le rejoint au Tremblay pour le travailler. Le 27 août, ils se rendent d'abord à Milan, puis à Venise, pour répéter et jouer l'oeuvre au 2e Festival international de musique, pour lequel la princesse Edmond de Polignac l'avait commandée.
Francis POULENC en 1935, lors d'une de ses causeries données à la radio de Lausanne
Le 5 septembre 1932, au Teatro La Fenice de Venise, un orchestra da camera composé de membres de l'orchestre de la Scala placé sous la direction de Désiré Defauw donne la première audition du concerto au milieu d'un programme réunissant le Divertissement de Roussel, les Chansons corses d'Henri Tomasi, les Figures sonores de Marcel Delannoy, la Suite pour petit orchestre de Jacques Ibert et les Tableaux pittoresques de Joseph Jongen.
L'oeuvre fut le grand événement du Festival. «Si je ne goûte pas beaucoup le Larghetto, qui pastiche un peu trop directement le style de Mozart, j'aime beaucoup le premier et le troisième mouvement. L'Allegro initial appartient à la meilleure veine de Poulenc. On y retrouve cette fraîcheur mélodique qui faisait le charme de ses premières compositions unie à une habileté harmonique et orchestrale qui lui fit longtemps défaut. L'exécution par Poulenc, Jacques Février et un ensemble de solistes de la Scala sous la direction de Désiré Defauw, fut absolument merveilleuse» écrivit Henri Prunières dans la Revue Musicale de novembre 1932, page 316.
Cité d'une analyse de Hervé Lacombe:
"[...] Le choix de réunir deux pianos concertants est rare pour l'époque; Bach (dans les années 1930, les deux clavecins sont plutôt deux pianos), Mozart, Mendelssohn ont pu servir de modèles et, comme toujours, diverses oeuvres ont stimulé son imagination. Il reconnaît avoir écrit sa partition en ayant sur son piano les concertos de Mozart, de Liszt, celui en sol de Ravel et la Partita pour piano et petit orchestre d'Igor Markevitch. L'esprit de toccata du premier mouvement découle de son admiration pour l'ingéniosité d'écriture de Casella; nombre de figures proviennent de Prokofiev, Bartok, Stravinsky, Chopin, etc.. Si l'oeuvre est conçue dans un esprit «gai et direct», elle n'en possède pas moins toute une part de poésie à laquelle tient beaucoup son auteur. De la même façon, l'impression d'improvisation constante dans les premier et troisième mouvements ne doit pas dissimuler un souci de construction et d'équilibre.
Francis POULENC en 1935, photographié par «Helios», lieu ??, une photo publiée
entre autres dans «Le Radio» du 8 novembre 1935, No 657, page 2126
Le premier mouvement commence par un coup d'éclat à l'orchestre. Puis un motif tournant sur lui-même, joué «très brillant» par le piano 1, cède le pas à une écriture de type toccata au piano 2 scandée de grands accords, avant que pianos et instruments de l'orchestre se répondent. Sans attendre donc, les deux solistes s'imposent comme personnages principaux. Un motif «Gai», volontiers un peu vulgaire, un autre accompagné de castagnettes, apportent la touche de fantaisie et de gouaille (héritée des chansons et danses populaires) typique du compositeur. La percussion prend plus de poids, les tambours se combinent aux pianos, qui s'opposent à des fanfares... On voit réalisées les premières intentions du compositeur, qui après les pourparlers avec la princesse de Polignac avait imaginé (en octobre 1931) des jeux de timbres pour le premier mouvement et une couleur balinaise. Le souffle de Stravinsky passe un instant avant que ne commence une section centrale («Le double plus lent») dévolue à la veine romantique de Poulenc. L'orchestre s'efface. Le Tempo primo reprend subitement, lancé par un coup de cymbale. Un mystérieux motif des cordes graves, un pizzicato, un dernier éclat très doux des castagnettes, un dernier pizz... le mouvement semble s'éteindre. C'est alors que dans un silence d'attente résonne une musique «Très calme», que Poulenc a imaginée en se souvenant des gamelans balinais entendus lors de l'Exposition coloniale de Paris, en 1931, mais dont on a déjà trouvé des formulations dans Aubade et qui réapparaîtra tout au long de sa production. Cette coda hypnotique qui suspend le temps au moment de conclure est en fait la métamorphose du motif «Très brillant» du début du mouvement. Poulenc demande de la jouer «mystérieux et clair tout à la fois». De cette nappe étale émerge une mélodie d'une grande pureté, qui n'est autre que la transfiguration du début du mouvement lent du Concerto en sol de Ravel. D'abord énoncée au piano, elle est reprise avec une doublure au violoncelle solo jouant en harmoniques et dans un caractère «plaintif». Le thème balinais sera repris, cette fois étincelant, pour conclure le concerto.
Jacques FÉVRIER au piano - une photo parue entre autres dans le Radio TV Je vois tout du 13 décembre 1962 en page 27
Le Larghetto est un hommage à Mozart, le musicien préféré de Poulenc. [...] La première phrase cite le thème principal du Concerto KV 537, dit du Couronnement. Peu après, Poulenc emprunte un motif au deuxième mouvement du Concerto KV 467. La section centrale, plus animée, est d'un style plus romantique. Poulenc reprend des éléments de Soirées de Nazelles en cours de composition. Une troisième section réintroduit l'atmosphère mozartienne puis s'achève après la réminiscence, à peine suggérée, du motif balinais.
Le Finale, Allegro molto, reprend l'esprit de toccata du premier mouvement et déroule un patchwork stylistique en guise du rondo classique. Cette fois Poulenc puise dans la Novelette n°2 un motif pour son refrain. Quel que soit le style choisi, il reste authentique, aussi bien dans la délicatesse nostalgique, la fièvre rythmique que dans l'hommage à Mozart. Il n'hésite pas à faire entrer le music-hall, des tons criards et populaires dans le grand genre classique du concerto. Avec une aisance déconcertante, il parvient à passer d'une musique en pieds de nez à la tendresse, des effets de percussions et de sonorités acides aux élans romantiques évoquant Rachmaninov. Comme dans tout le concerto, le tempo doit être juste et implacable, mais ici, à la différence du mouvement lent central, c'est la veine gouailleuse, «parigote», entrevue dans le premier mouvement, qui domine. [...]" cité d'un texte de Hervé Lacombe publié dans son ouvrage «Francis Poulenc», Fayard 2013, pages 382-386.
Victor DESARZENS, 1961, un portrait fait par Jacques Thévoz paru entre autres dans la revue Radio TV Je vois tout du 5 octobre 1961 en page 23
Le 30 octobre 1961, Francis Poulenc, Jacques Février et Victor Desarzens avec son Orchestre de Chambre de Lausanne donnaient à Lausanne un concert mémorable!
Au programme:
- Jean-Philippe Rameau, Suite symphonique extraite de Platée (réalisation de Renée Viollier), Ouverture - Passepieds I et II - Tambourins I et II - Airs I et II pour les fous - Menuets I et II - Airs I et Il - Chacone
- César Franck, Variations symphoniques pour piano et orchestre, soliste: Jacques Février
- Eric Satie, Deux préludes posthumes et une Gnossienne, orchestration de Francis Poulenc
- Francis Poulenc, Concerto en ré mineur pour deux pianos et orchestre
Le concert fut diffusé en différé le jeudi 9 novembre suivant, sur le second programme de Sottens.
Le lendemain du concert, on pouvait lire en page 11 de la
"[...] Deux solistes, dont un compositeur, un des plus joués en France de nos jours, parmi les auteurs français, quatre premières auditions sur les cinq oeuvres inscrites au programme d'hier soir, pour le troisième concert de Abonnement de l'OCL, il y avait là de quoi exciter l'intérêt et la curiosité d'un public qui ne tourne pas le dos à Victor Desarzens lorsque celui-ci offre ses programmes audacieux.
Audacieux, le programme d'hier soir ne l'était pourtant pas précisément si l'on songe au modernisme hermétique de certains compositeurs. On ne peut pas dire que les ouvrages de Poulenc et Satie donnés pour la première fois à l'OCL aient dérouté l'auditeur par quelque problème, quelque rébus à déchiffrer. Au contraire, la seconde partie de ce programme - la première étant consacrée à des ouvrages excluant tout risque d'incompréhension - offrait la diversité sans rompre la cervelle.
Francis Poulenc et, dans une mesure moins convaincante peut-être mais pour d'autres raisons, Satie, ont démontré que l'on pouvait fort bien écrire «moderne» tout en restant accessible au grand nombre.
Et de fait, dans le Concerto en ré mineur, pour deux pianos et orchestre, composé en 1932 à la demande de la princesse Edmond de Polignac (à qui plusieurs compositeurs d'aujourd'hui doivent en bonne partie d'avoir été «lancés»), Poulenc ne cherche nullement à égarer l'auditeur dans un labyrinthe, puisque cet ouvrage constitue un hommage à Mozart, «parce que j'ai le culte de la ligne mélodique et que je préfère Mozart à tous les autres musiciens». Nous voilà fixés!
Quant à Deux marches et un intermède (1937), l'une évoquant l'Exposition de 1889, l'autre commandée pour celle de 1937, Poulenc y met toute sa verve et sa fine sensibilité. Ces trois oeuvrettes devaient accompagner un souper. Georges Auric avait écrit une marche d'entrée et une musique pour le café, tandis que Poulenc destinait sa Marche 1889 à l'accompagnement de la dégustation de l'ananas, l'Intermède champêtre devait être joué au môment où l'on servait les fromages, enfin la Marche 1937 mettait fin aux réjouissances gastronomiques...
Les Deux préludes posthumes et une Gnossienne pour piano d'Erik Satie, orchestrés par Francis Poulenc en 1939, ont moins de drôlerie que les compositions de Poulenc mais, les Préludes en tout cas, passablement teintés de debussysme avant la lettre, ont une douce gravité qui est assez prenante. On admire l'orchestration fort habile et respectueuse de Poulenc, respectueuse en ce sens qu'elle met en lumière l'extrême concision et simplicité du langage de ces trois morceaux écrits pour le piano.
Les Variations symphoniques pour piano et orchestre de Franck, poème d'une beauté délicate se terminant par un mouvement vif d'une venue assez insolite et dont l'accord final ne satisfait point, furent excellemment jouées par Jacques Février, dont le toucher est d'une grande variété, et accompagnées avec tact par l'orchestre.
L'OCL se distingua dans la Suite symphonique extraite de «Platée», de Rameau, dans une réalisation de Renée Viollier. L'oeuvre est écrite de façon fort moderne parfois, pour l'époque. Elle est pleine d'originalité, de saveur et de charme dans les deux Menuets, les Tambourins.
Francis Poulenc remporta un succès très vif en jouant son Concerto avec Jacques Février. L'oeuvre, en revanche, ne nous a pas convaincu... Victor Desarzens la défendit avec une belle ardeur. Les souffleurs de l'OCL, renforcés pour le Concerto, se distinguèrent, notamment les bois, accompagnés des violoncelles, dans les Préludes de Satie.
Jean-Cl. Jaccard [...]" compte-rendu publié dans la Feuille d'Avis de Lausanne du mardi 31 octobre 1961, en page 11.
À souligner: les diverses photos et extraits de presse cités dans cette page sont rendus disponibles grâce à la splendide banque de données
de la Bibliothèque Cantonale et Universitaire de Lausanne et sa superbe collection de journaux et revues digitalisées
C'est l'enregistrement fait à l'occasion de ce concert, récemment rediffusé dans l'excellente série d'émissions «Poussière d'étoiles - Radio Panoramique», volet du 2 juillet 1934, de Jean-Pierre AMANN, que grâce à la générosité de la...
... nous pouvons écouter ici:
Francis Poulenc, Concerto en ré mineur pour deux pianos et orchestre, FP 61, Francis Poulenc, Jacques Février, Orchestre de chambre de Lausanne, Victor Desarzens, 30 octobre 1961, 3e concert de l'abonnement, Théâtre Municipal, Lausanne
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(*) En principe, car le comportement peut être différent selon le browser utilisé: il peut être nécessaire de cliquer d'abord sur la flèche à gauche de la barre temps pour démarrer l'écoute au minutage en question.
Le sommaire de ce volet «2 juillet 1934» de la série
de Jean-Pierre AMANN:
( 00:28 ) Fêtes du Rhône de 1946, Lausanne, Les éboutis bressans
( 02:28 ) Imre Kalman, Zwei Märchenaugen (Mister X) de l'opérette Die Zirkusprinzessin, Richard Tauber, 1927
( 07:44 ) Émile Waldteufel, Violette, Valse pour flûte, clarinette, 2 violons, alto, violoncelle et piano
( 44:16 ) Francis Poulenc, Concerto en ré mineur pour deux pianos et orchestre, FP 61, Francis Poulenc, Jacques Février, Orchestre de chambre de Lausanne, Victor Desarzens, 30 octobre 1961
( 1:03:41 ) Gabriel Pierné, Sérénade vénitienne, Orchestre de Chambre de Toulouse, Alain Molliat
( 1:06:56 ) Christian Sinding, Gazouillements de printemps (Agitato) pour piano, transcription pour orchestre, Wiener Philharmoniker, Zubin Metha, 2015
( 1:11:00 ) Carl Nielsen, extrait de la 2e symphonie
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