La donation du Fonds Pierre Auguste Chappuis (1/2)
Suite à la donation du Fonds Pierre Auguste Chappuis (1888-1980) à Photo Elysée Lausanne. notreHistoire.ch est allé à la rencontre de Philippe Chappuis, descendant du photographe, et a évoqué avec lui les étapes qui l'ont mené à déposer la collection familiale dans une institution publique.
Comment et pourquoi vous est venu l’idée de faire une donation du fonds photographique de votre grand-père, Pierre Auguste Chappuis ?
Philippe Chappuis: L’idée de faire une donation du fonds photographique de mon grand-père a été le résultat d’une très longue gestation, ou plus justement d’une maturation progressive, qui a pris son temps puisqu’entre la découverte dans les tiroirs d’une commode de l’ensemble du fonds et la demande à Photo Elysée, il a fallu presque 20 années, de 2004 à 2023 !
Pourriez-vous revenir sur l'histoire du fonds et de sa transmission aux descendants de Pierre Auguste ?
Philippe Chappuis: Avant toutes choses, quelques précisions concernant l’historique de ces archives photographiques. Mon grand-père est décédé brusquement, dans son jardin de Beau Rivage, en 1980, âgé de 92 ans. Il n’avait alors rien indiqué concernant une volonté sur la conservation de son travail photographique. De son vivant, il avait eu le soin de donner aux membres de sa famille, et en particulier à ses trois petits-enfants, un grand nombre de copies, en général de grand format et sur beau papier qu’il tirait lui-même dans son petit laboratoire à Beau Rivage. Apparemment il lui a semblé suffisant de nous transmettre oralement ce qui lui tenait à cœur, mais il nous a laissé très peu de renseignements manuscrits sur l’ensemble de son travail photographique, lui qui ne sortait jamais sans son appareil de photographie…
A sa mort, la maison de Beau Rivage a été occupée par deux de ses fils, Jacques et Jean Claude, et ses archives photographiques sont entrées en dormance. En 2004, mes deux oncles étant décédés, j’ai hérité de l’étage des combles de Beau Rivage, et c’est en prenant possession des lieux, que j’ai trouvé le trésor… Dans une grosse commode, dans la cage d’escalier, les archives photographiques de Pierre Auguste avaient été soigneusement « rangées » dans plusieurs tiroirs ! Alors, fin 2004, j’ai commencé à numériser quelques négatifs de mon choix, ceux de la famille avec également passablement de paysages et fait un montage sur CD. Le projet était somme toute assez limité, réunir des éléments connus et déjà aimés pour les partager entre frère et sœur.
Puis en 2012, ayant remis mon cabinet, disposant de plus de temps, je me suis décidé à reprendre ces archives, avec le besoin de les interpréter, d’entreprendre un travail de décryptage indispensable, car pour donner sens à ces images, il a bien fallu essayer de mettre des noms, des dates, des lieux, identifier les intervenants, situer les événements, et il m’a fallu plus de 10 ans pour parvenir à reconstituer à la façon d’un grand puzzle interminable, presque l’entier hérité du travail de photographe de Pierre Auguste.
Je peux dire que je suis entré dans une sorte de symbiose très fructueuse avec ce grand-père que j’avais toujours beaucoup apprécié, qui m’avait donné le goût de la photographie et m’avait cédé son cher Rolleiflex. Mais l’homme que j’ai découvert par ces heures de travail de recherche, était devenu plus intéressant et riche, plus complexe aussi, en perdant du même coup l’aura dont je l’avais entouré, alors que j’étais enfant. Ce fut donc un grand enrichissement…
Au cours de ce travail d’explorateur du passé, une autre chose importante m’est apparue assez rapidement, c’est que j’allais pouvoir, grâce à ces images déroulant le temps à l’envers, satisfaire une curiosité, combler un déficit de mémoire, voir mon père tel qu’il fut avant ma naissance, mon père, enfant à la ferme de Bremblens, adolescent d’une grande douceur, puis l’intellectuel genre Malraux, un brin rebelle, le jeune enseignant au collège, toutes ces images se sont introduites sans heurt dans ma mémoire, c’était un enrichissement également...
C’est lorsque je suis parvenu à prendre conscience de la richesse du travail de photographe poursuivi inlassablement par Pierre Auguste, et mesurer tout l’éventail des intérêts qu’il représentait, qu’intervient, un nouveau stade de maturation, le besoin de faire connaître ce trésor, et c’est alors que notreHistoire.ch, la bienvenue, entre en scène, en 2018, me permettant de réaliser un double rêve, transmettre une image et m’exprimer à son sujet, pour que l’échange soit bien amorcé. Ce fut et ce sera sans doute encore l’occasion de quelques échanges fructueux et sympathiques et parfois d’enrichissement.
Editer sur notreHistoire.ch près de 1500 photographies de Pierre Auguste a demandé un gros travail de recherche et un travail bibliographique exigeant, ce que nous, ma femme Catherine et moi, avons pu faire avec beaucoup de satisfaction et d’efficacité grâce à une multitude de sources d’informations et d’outils d’investigations disponibles. Le médecin et la libraire, réunissant leur goûts de la découverte et de l’étude, ont progressé à grandes enjambées et sont devenus un couple très efficace d’archivistes passionnés...
Nous sommes devenus dans la famille les archivistes de Villette et mon frère, l’aîné de la famille, a trouvé que c’était le bon moment pour déposer chez nous quelques cartons redondants de documents qui dormaient dans son galetas… et qui sont venus à point enrichir et compléter la longue histoire de Pierre Auguste et Suzanne, sa chère épouse. Il s’y trouvait, en particulier, un paquet de lettres manuscrites de Jean Louis Chappuis (1812-1877), le grand-père de Rivaz de Pierre Auguste, pasteur démissionnaire de l’Eglise vaudoise en 1845, échangées avec un de ses collègues pasteur, ami et également démissionnaire, Louis Durand (1817-1890). Comme ce fut le cas dans d’autres occasions, nous avons pu apprécier et bénéficier, pour progresser dans notre travail d’archivage, des compétences de professionnels, ici avec Jean Pierre Bastian au sujet de Jean Louis Chappuis, pour nos questions sur Morges, ce fut les conseils et les réponses de Paul Bisseger. Une part importante des archives de Pierre Auguste concernait, par Suzanne, la famille Chollet de Moudon, et ici la collaboration avec Monique Fontannaz fut très fructueuse et agréable, comme d’ailleurs le travail avec Catherine Schmutz-Nicod pour les gérances de Pierre Auguste de la région de Nyon, le Manoir de Nyon et le Château de Bonmont. Il y eut encore d’autres intervenants avertis et compétents qui furent précieux pour expliciter les photographies de Champex, et de Champéry.
L’entrée en scène de ces professionnels a eu son importance pour la suite, car ils ont tous confirmé l’intérêt et la qualité du travail photographique réalisé par Pierre Auguste, nous encourageant à poursuivre notre travail d’archivage et nous recommandant d’envisager de les confier à des institutions garantissant leur conservation.
En 2017, j’avais déjà contacté ce qui était alors le musée de l’Elysée pour aborder avec eux un projet de donation, pour lequel les personnes consultées se sont montrées favorables. Mais elles souhaitaient préalablement un travail chronologique plus précis et détaillé et c’est ce qui m’a décidé à entreprendre ce nouvel effort avec la connivence de Catherine, qui fut prête à prendre le rôle délicat d’Atlas, et de partir à la cueillette des pommes d’or du Jardin des Hespérides pendant que je soutenais la voûte céleste, une formidable aventure.
Ce travail que furent la numérisation, l’indexation et la rédaction des légendes de près de 6000 images se termina en janvier 2023.
Contemplant alors cette patiente construction, pierre après pierre, le Fonds photographique de Pierre Auguste Chappuis était devenu, à nos yeux, par sa longue période et sa cohérence, un document exceptionnel qui avait sa place dans la mémoire collective.
Avez-vous immédiatement songé à Photo Elysée ou avez-vous sondé à d’autres institutions ?
Philippe Chappuis: Nous avions donc pensé en 2017 au musée de l’Elysée mais avions renoncé car nous n’étions pas encore suffisamment avancés. En 2023, au terme de la numérisation, nous avons pris contact avec Madame Sophie Donche Gay, Conservatrice de l’Iconopôle à Lausanne. Nous nous étions tournés vers cette solution, étant sensible à la possibilité présente dans ce site d’offrir un accès libre et en ligne des photographies de Pierre Auguste. Madame Donche Gay s’est montrée rapidement partie-prenante et enthousiaste, mais la réalisation de la donation qui s’était mise en route a dû être interrompue pour des raisons indépendantes de sa volonté : « Après en avoir parlé avec mes collaborateurs, je vous propose la chose suivante. Comme la BCUL est en train de préparer un important déménagement dans la nouvelle extension à l’arrière du bâtiment, il nous semble plus adéquat d’attendre encore une année pour transférer le Fonds Chappuis à la BCUL »
Cette proposition brisait en quelque sorte l’élan, comme celui du saut à la perche, alors que nous étions prêts à sauter… Est revenu l’idée première d’une donation à l’Elysée, nom qui convenait très bien à notre propos, étant, dans les Enfers, le séjour des héros et des hommes vertueux après leur mort. Nous avons pris contact avec Photo Elysée en juin 2023 et Nora Mathys, la conservatrice des collections nous a rapidement donné une réponse favorable. En août, Audrey Piguet, assistante des acquisitions est venue avec Nora Mathys à Villette pour prendre connaissance du Fonds photographique et elles constatèrent que la qualité de conservation des archives était bonne dans l’ensemble. Elles présentèrent au mois de septembre le Fonds au comité des acquisitions de Photo Elysée qui, à l’unanimité, donnèrent leur accord. En novembre, Audrey Piguet nous propose une rencontre avec Fanny Brülhart, collaboratrice scientifique, dans l’ancien bâtiment pour définir la convention de la donation. Un projet de donation nous est adressé en janvier 2024 et signé en février !
Depuis le jour où vous avez entrepris des démarches en faveur d’une donation et la formalisation d’un accord avec la Fondation Plateforme 10, combien de temps s’est écoulé ?
Philippe Chappuis: Peu ! 6 mois seulement !
Aujourd’hui en regard des efforts accomplis pour que le fonds de votre grand-père soit reconnu, de quoi êtes-vous le plus satisfait ?
Philippe Chappuis: Le plus ? Hélas ! je n’ai pas tellement le goût du podium… Beaucoup de satisfactions, de toutes sortes, ont accompagné et nourri ce travail de longue haleine, en le rendant possible, mais aussi fructueux. Cette donation qui a pris corps dans des conditions idéales contient naturellement beaucoup d’espérances, mais l’espoir qui me tient à cœur maintenant est certainement que les images heureuses de Pierre Auguste, puissent encore nourrir d’autres yeux comme elles ont comblé les nôtres.
Pour découvrir le Fonds Pierre Auguste Chappuis (1888-1980)
Dans un second billet de blog, notreHistoire.ch dialogera avec Photo Elysée. Les coulisses d'une donation seront abordées.
Nos vies : un siècle d’histoire des Suisses par leurs images
Merci beaucoup
Cher monsieur Philippe Chappuis,
Merveilleux travail d'équipe familiale et de soutient externe. Encore une fois cher monsieur recevez mon admiration infini pour votre courage et la transmission sincère de vos pensées lesquelles, s'expriment fortement dans tous vos écrits, faits et gestes que j'ai pu observer, lire, ressentir et même connaître un peu plus en profondeur au fil des ans au travers de NH laquelle nous a permit cet échange sensible, passionnant et très instructive au travers du trésor photographique laissé par votre très cher grand père Pierre Auguste Chappuis. Je remercie par la même toute l'équipe de NH pour ce cadeau plus riche que toute fortune matérielle à elle seule peut l'être
Amitiés Renata
Un entretien fascinant, un travail extraordinaire. Merci à Notre Histoire pour ce superbe entretien et ce partage, merci à Philippe et à ses proches pour toute cette admirable documentation et ces fascinants et généreux partages
Cher Philippe, merci pour tes mots si touchants sur la découverte des photos de ton père comme tu ne l'a jamais connu ! C'est très émouvant; quel immense travail entrepris avec Catherine, ta femme et quel bonheur de savoir qu'un Fonds Pierre Auguste Chappuis est déposé au Musée de l'Elysée. Je te remercie pour le lien qui va me permettre de découvrir ce patrimoine familial ! Amicalement. Martine Desarzens.