Extrême pauvreté et grande solidarité à Lausanne
Dans tous les médias on pouvait lire : "L'Europe est en guerre, on est pauvre et on se serre les coudes". Nous sommes nés ma soeur Marie-Christine en 1940, mon frère Jean-Marie en 1941, Martine en 1943 et Isabelle en 1945 ; mes parents, comme tant de familles vivaient des années très difficiles.
Durant toutes ces années de grande difficulté financière, je me souviens que nous recevions des colis d'aide avec des habits chauds, des chaussures, des fruits séchés, des pains aux épices, etc....
Mon père a toujours été proche des montagnards paysans; il était lui même d'origine paysanne et comme Jean-Marie Aubeson, violoniste et chef d'orchestre, dans ami de Victor, n'ont jamais oublié leurs racines; il a beaucoup aidé certaines familles dont les enfants avaient des problèmes de santé; ses amis médecins lausannois dont le merveilleux Dr Rochat fondateur de la clinique Montchoisi et Claude Mayor, médecin généraliste installé à Prilly, ont souvent soigné ces enfants gratuitement. Pendant ces années de grandes difficultés financières ces amis montagnards de Feutersoey et du Val d'Annivier apportaient à mes parents des produits de leurs fermes comme du fromage, de la farine, du lard, du beurre et des pommes de terre de leurs productions; ces aliments étaient immédiatement partagés avec la famille et les amis artistes qui tiraient le diable par la queue !
Nos grands mères nous tricotaient des culottes, des chaussettes et bas en laine, des pulls chauds mais qui piquaient beaucoup !
Dès la fin des vacances d'été, il y avait des séances d'essayages et de coutures à la cuisine; notre mère, nos tante et nos grands- mères s'affairaient dans notre grande cuisine; en fées de la couture avec une machine à coudre à poignée mécanique, durant plusieurs jours elles réalisaient des chefs d'oeuvre digne de la "haute couture". Dès qu'un habit devenait trop petit pour un enfant, il était destiné à l'enfant plus jeune; frère, soeur ou cousin, chaque vêtement pouvait aller indifféremment à une fille ou a un garçon; les "couturières" ajoutait un petit morceau de tissus de couleur pour garçon ou fille et le tout était joué; tel manteau devenu trop petit était retourné, rallongé d'une bordure etc. notre mère cousait de nouveaux boutons dorés achetés à la "Maison du Vieux", (la maison du vieux était situé derrière la place de la Riponne à Lausanne, dans un immense hangar rempli de vieux objets, meubles etc, donnés par des personnes); ces femmes rajoutaient un col en velours bleu marine ou en laine écossaise et du coup voila l'enfant avec un habit neuf; enfants nous adorions ces ateliers de coutures; ma grand-mère paternel chantait les Cantiques des Cantiques, "Plus près de toi mon Dieu" etc, notre mère préparait de grandes théières remplies de thé à la cannelle et lux des lux elle confectionnait des croûtes dorées avec le vieux pain trempé dans du lait, un oeuf du sucre et de la cannelle, cela sentait bon dans tout l'appartement et l'ambiance était rassurante et matriarcale.
Je me souviens du gaz de la cuisinière que mes parents payaient par pièce dans une horloge que mise par les "Services Industriels de la Ville de Lausanne", je me souviens des hommes qui sonnaient, ceux du Service des poursuites de la ville de Lausanne, qui venait régulièrement à la maison pour des factures non payées, les hommes, avaient repartir avec un objet de valeur; il ne pouvaient pas prendre ni le violon de mon père ni son piano qui étaient ses outils de travail; alors ils prenait toujours un très grand tableau peint par le célèbre peintre Marcel Poncet, verrier et peintre ami de mes parents, puis buvaient volontiers un verre de vin blanc avec mon père, je me souviens de l'Ecole Normale à la Place de l'Ours qui jouait un rôle très interventionniste pour les questions de santé et d'hygiène pour les enfants d'artistes soupçonnés par ces infirmières que les enfants de pauvres ne se lavaient pas; ces infirmières scolaires venaient nous peser, regarder nos pieds pour voir si ils étaient propres; elle soulevaient nos chemises et nos pulls pour vérifier si nous ne portions pas de traces de coups, c'était leur travail, bien entendu, elles étaient très rigides et sévères comme avides de découvrir chez nous des traces physique de la pauvreté de nos parents; parfois nous nous sentions un peu humiliés, surtout ma soeur ainés; mais nous avions comme professeurs des jeunes étudiants pour devenirs "Maitres d'école" comme Eric Tappy, René Falquet de si grands musiciens qui adoraient notre père.....
Je me souviens de ma mère qui nous envoyait à l'épicerie pour faire des achats; elle me chargeait de dire aux épiciers de marquer dans le carnet et qu'elle passerait bientôt passer payer le facture; l'épicier ou sa femme me demandait de dire à ma mère que c'était la dernière fois qu'il nous vendaient un produit "au rabais" tant que cette facture ne serait pas payée; enfants inévitablement nous devenions un peu des "intermédiaires" financiers dont la jeunesse n'empêchait pas de sentir que la vie était très difficile finacièrement pour nos parents !
Je me souviens d'entendre ma mère allumer le feu très tôt le matin dans un calorifère en fonte situé au milieu de l'appartement glacé; cela sentait si bon le bois; se réveiller avec une si bonne odeur.
Mais tout cela se vivait dans un climat très humain rempli de tant d'amour à notre égard; je ne garde aucun souvenir dramatique de ces années si difficiles pour nos parents et les familles.
Mon père venait de créer en 1943 "l'Ensemble Orchestre de Chambre de Radio-Lausanne". voir ;http://www.notrehistoire.ch/group/victor-desarzens/photo/41862/
Durant ces années de "vaches maigres" Victor Desarzens, père de quatre enfants et son frère Georges père de cinq enfants, devaient accumuler de nombreux petits travaux pour nourrir leurs familles; il n'était pas rare que le "Quatuor Desarzens Godard" accumulait plusieurs jobs dans une journée à coté des cours au "Conservatoire de Lausanne" encore situé à l'avenue du Midi ou à Radio-Lausanne; l'après midi les frères Georges et Victor, jouaient pour animer des thés dansants à l'Hôtel Beau-Rivage situé à Ouchy ou à la Brasserie du Grand-Chêne à Lausanne, puis les soirs le quatuor jouait au cinéma "Le Cinéac" au bout du Grand-pont à Lausanne, pour accompagner des films muets, ils donnaient également des cours de violon aux enfants des grandes familles lausannoises.
Mon père et son frère Georges prenaient le dernier train à Lausanne pour rentrer chez eux à Aran et à Grandveaux.
Mes parents vivaient dans un toute petit appartement charmant à Aran, la cuisine donnait sur un jardin
http://www.notrehistoire.ch/group/victor-desarzens/photo/33727/, mon oncle Georges et Andrée vivaient avec leur famille de cinq enfants au-dessus d'Aran dans une maison appelée; "Le Crêt", la famille pouvait vivre dans cette maison pour autant que ma tante Andrée se charge de cultiver une vigne située à côté de la maison et propriété.
Leurs femmes Louky ma mère et Andrée Desarzens, mères au foyer ne restaient pas les bras croisé; ma tante Andrée s'occupait de la vigne, ensemble elles ont élevé des chèvres pour le lait, des poules, des moutons pour la viande et la laine et des lapins dans leur jardin, elles cultivaient des légumes dans un jardin potager, elles allaient à la cueillette de petits fruits pour la confiture; chaque fois que ma tante Andrée tuait un lapin, elle séchait la peau du lapin pour faire des manteaux aux enfants; toutes ces tâches avec au total 9 enfants qu'elles gardaient ensemble; elles inventaient sans cesse des petits revenus pour nourrir les deux familles; la nuit elles copiaient à la main des partitions d'orchestres manuscrites pour "boucler" les fins de mois. Les photocopieuses n'existaient pas et l'imprimerie coutait trop chère.
http://www.notrehistoire.ch/photo/view/52300/
Puis mon père est tombé gravement malade, c'est à cette époque que mes parents ont pu louer un appartement subventionné à la Ferme du Château de Béthusy à Lausanne.
Ferme de Bethusy, appartement subventionné voir :http://www.notrehistoire.ch/photo/view/37392/
Crise et pauvreté voir aussi ; ;http://www.notrehistoire.ch/photo/view/37427/?msg=photoUpdateSuccess
et job dans les cinémas:http://www.notrehistoire.ch/photo/view/35771/
Les vaches maigres voir; ;http://www.notrehistoire.ch/photo/view/35227/
Crise à Lausanne voir :http://www.gauchebdo.ch/?La-grande-crise-des-annees-trente
Il s'agit des années 1935-1940.
Et un peu d'histoire, article extrait supplément 24heures 1999 :
...."Si le krach boursier de Wall Street, en 929, n'a pas eu en Suisse des effets aussi tragiques que dans d'autres pays, le coût social et humain de la crise des années trente fut élevé.
Seul treize cantons disposant d'une assurance chômage, les sans emplois devaient recourir bien souvent à la charité et aux soupes populaires pour subsister.
En 1931, le canton de Vaud, qui connait encore une augmentation importante de l' emplois, a d' ailleurs rejeté massivement une loi d'application fédérale sur l'AVS.
A Lausanne, une année après , alors que la crise commence à faire sentir ses effets, un comité lance la "Semaine du kilo", une récolte à domicile de denrées alimentaires.
C'est sur un fond de montée des extrémismes, de débâcles bancaires et de grèves parfois violentes, que les socialistes remportent la majorité à la Municipalité de Lausanne en 1933.
Au moment justement où la ville s'enfonce dans la dépression. Le canton institue le "carnet de travail" destiné à tout habitant inscrit auprès d'un office de placement. On s'efforce de protéger la main-d'oeuvre locale en contenant l'afflux de travailleurs non résidents, en limitant l'activité professionnelle des femmes en en combattant le machinisme.
*Les politiciens ont toujours "manipulé" les femmes à travers un discours de ce qui était bon pour leurs enfants; lorsque les usines manquaient de main d'oeuvre, les mères étaient encouragées à placer leurs enfants en pouponnière ou garderies. Dès cet instant *l'éloge du placement en garderie" était très fort; bon pour l'enfant, l'enfant qui serait bien nourri, lavé et soigné etc. enfants gardés par femmes infirmières(vieilles filles), qui apprendraient aux petites filles leur futur métier de mère aux foyer avec travaux ménagers et aux garçons les responsabilités du futur chef de famille; à cette époque les adultes disaient souvent " Les garçons ne pleurent pas " et les filles "pleurnichent ! On était dans une éducation très sexiste. Par contre lorsque la crise arrivait; la femme était licenciée dans l'heure qui suivait; leur patron leur tenait un discours de la valorisation du rôle de la mère à la maison, de l'importance de l'éducation qu'elle donnait et apportait un équilibre à la famille , du rôle de retenir la mari à la maison afin qu'il ne boive pas trop....etc...
En 1936, alors que la reprise s'annonce en Europe, lLausanne, la capitale vaudoise est la ville de Suisse la plus touchée par le chômage, avec 4207 sans emplois (124000 en Suisse).
De nombreux enfants de milieux modestes souffrent de malnutrition et de maladies dues aux mauvaises conditions de logement...."
Extrait; supplément 24heures 1999
Je vous propose également ce petit extrait lausannois concernant la pauvreté et la solidarité à la fin du 19e siècle:
A la fin du 19e siècle, les situations de pauvreté, voir de misère sont très nombreuses, elle deviennent insupportables. Des initiatives émergent qui balisent les premiers pas des mouvement
Au soir du 24 octobre 1882, à l'Hôtel de Ville de Lausanne, une centaine de citoyens se réunissent et adoptent les statuts de "La solidarité", une Société en faveur de l'enfance malheureuse et pour l'étude de questions sociales"
extrait archives Ville de Lausanne
Aujourd'hui, "La Solidarité", est une Fondation dont le siège est à Lausanne.
Le 24 d'octobre 2012, la Ville de Lausanne organise une rencontre de commémoration et de réflexion à l'Hôtel de Ville dans la salle du Conseil communal à 17h00 pour marquer l'anniversaire des 130 ans de cette association. Cérémonie très émouvante.
voir aussi :
Chère Martine, à mon tour de vous dire tout le plaisir que j'ai à prendre connaissance de vos publications. J'ai été particulièrement intéressée par cet article. Comme déjà dit, nous avons vécu la même époque avec les mêmes soucis mais aussi les mêmes charmes. Vous vous souvenez de beaucoup de détails de la vie de tous les jours.C'est amusant. Ah les pulls qui piquaient !!! On a aussi connu ça !
Merci, j'ai souvent fais cette réflexion en vous lisant.....
Je découvre ici un témoignage qui me fait rire tout en m'apportant son lot d'émotion : les culottes-bas en laine qui pique, ma soeur et moi on y a eu droit, ainsi que les cartons que la paroisse nous apportait... et c'était au tout début des années 60.
voir aussi :http://www.notrehistoire.ch/article/view/967/
Rey Monde, J'ai toujours été étonnée des gens que la misère des uns faisant rire les autres... !