Ces villages valaisans disparus : Randonnaz
Ces villages valaisans disparus : Randonnaz
Légende de la photo d'illustration :
- Le village de Randonnaz jadis. Dès 1932, tous les bâtiments sur pied sont démontés, les caves comblées, le bois restant brûlé sur place, les bâtisses en pierre démolies et les terres minutieusement nivelées. dr
Pourquoi ce reportage ?
Durant l’année scolaire 1962-63, j’étais en première année du collège de la Planta à Sion. Le professeur de français était l’écrivain Maurice Zermatten (1910-2001). Dans l’étude de texte qu’il prodiguait à ses élèves, il expliquait comment il avait écrit son roman «A l’est du grand couloir» sur la base d’une histoire vécue par lui et son père à Randonnaz. J’étais fasciné. A l’heure des vacances, j’achetais son livre paru à l’époque chez Stock, aujourd’hui en livre de poche chez Zoé.
Je passais au domicile de Maurice Zermatten pour le faire dédicacer. "J’apprécie ta démarche, c’est chic de ta part." Puis il lâchait trois bouffées de fumée de sa pipe. Son histoire m’a toujours fait rêver et ce n’est que bien plus tard que je suis monté là-haut, livre en mains, pour repérer les lieux. Je rencontrais Marie Roh-Ançay (1923-2014), l’une des dernière habitantes de Randonnaz.
- La dédicace
– Voir à ce sujet NH, Fondation Maurice Zermatten.
REPORTAGE Le temps n’a pas effacé la mémoire de Marie Roh-Ançay de Fully, l’une des dernières survivantes de Randonnaz, village détruit en 1930 et transformé en alpage précoce.
CES PETITS VILLAGES VALAISAN DISPARUS!
Par Charly-G. Arbellay
Au rythme de l’histoire, les villages d’Europe qui ont disparu se comptent par centaines. A chaque guerre, épidémie, pandémie, invasion ou catastrophe naturelle, des reclassements ont lieu. Les cas mentionnés sont souvent médiévaux. Le Valais n’a pas échappé à ces destructions. La majorité est due à des événements climatiques: avalanches, éboulements, inondations, d’autres à des épidémies, des incendies et enfin à des raisons économiques. C’est le cas de Randonnaz (à Fully on dit «Randonne»), le village de cette commune rasé en 1930.
Randonnaz, une lente agonie
L’assainissement de la plaine du Rhône de Riddes à Martigny en 1915 et son nouveau potentiel économique, le fervent désir de la Bourgeoisie fulliéraine de posséder un alpage d’herbage précoce, la dureté et l’insécurité à vivre des habitants, la persuasion des autorités, sont à l’origine de la fin de Randonnaz.
Là-haut, à 1400 mètres, les difficultés s’accumulaient de jour en jour. La situation était inconfortable, les indigènes se sont donc résignés. Au printemps 1930, tout le monde a déménagé.
- Marie Roh-Ançay (1923-2014)
Marie Roh-Ançay, 90 ans en 2013, rencontrée au Foyer Sœur Louise Bron à Fully, est l’une des dernières mémoires vivantes de ce village disparu. Née en 1923 à Randonnaz, elle témoigne:
«On est partis au mois de mai à pied pour ne plus jamais revenir. Chacun portait ses effets personnels dans un sac à dos. Devant nous, il y avait les chèvres, les veaux, les mulets, les enfants et nos mamans. On était plein de regrets. Tous ne partaient pas de bon cœur. Certains se sont même cramponnés. En pure perte ! Ce jour-là, tout le monde pleurait».
(Réd. Marie fait une pause car l’émotion la submerge encore. Elle sèche ses yeux, puis se reprend):
"On n'avait plus le choix ! A Randonne, il n’y avait pas d’avenir pour les jeunes. Et pas d’argent non plus. Il fallait partir très loin pour trouver du travail. Nous, on s’est installés à Chiboz, de l’autre côté du torrent de Randonne. Là, on cultivait des fraises de montagne et des cassis qui avaient un très bon goût. On faisait aussi des plantons pour la Station fédérale de recherche agronomique de Châteauneuf. Les autres familles sont descendues en plaine. Nous aussi, mais un peu plus tard. La rumeur avait couru que c’est parce que le curé ne montait plus dire la messe que nous sommes partis. C’est faux. Le vicaire brassait la neige à pied pour venir nous apporter l’eucharistie".
- Situation de Randonnaz et de Chiboz.
Pourquoi partir ?
En 1929, la proposition d’achat des propriétés de Randonnaz par la Bourgeoisie de Fully avait ouvert la possibilité de liquider les dettes contractées par les familles résidantes, dont certaines étaient anciennes. Pour activer le processus, les habitants du village ont adressé une détermination au Conseil communal et bourgeoisial proposant de se défaire de leurs biens. Dès lors, toutes les conditions étaient réunies pour un déracinement programmé. Car les difficultés existentielles devenaient de plus en plus précaires. Marie Roh se souvient de son enfance:
«En hiver, on était coupés du monde. Mieux valait ne pas être malade, car il n’y avait pas de docteur. On se soignait comme on pouvait. Lorsque la sage-femme n’arrivait pas à temps, ce sont les voisines ou la plus grande des filles qui assistaient la maman à l’accouchement. Il n’y avait pas d’électricité non plus. On chauffait l’eau sur le potager à bois et on lavait les habits au savon de Marseille. Les toilettes étaient rudimentaires. C’est tout de même mieux aujourd’hui…"
L’école était tenue par le régent Antoine Zermatten, le père de l’écrivain Maurice Zermatten. Moi, je ne les ai pas connus. Lorsqu’il neigeait, on entendait le vilain bruit des avalanches du Châtelard. Mon papa, Etienne Ançay, descendait en plaine pour acheter des marchandises. Parfois, au retour, il devait rebrousser chemin tant c’était dangereux, surtout aux torrents de l’Etzertze et du Planard.
- L’école de Randonnaz en 1922-1923, tenue par le régent Antoine Zermatten, au centre. A gauche, Maurice Zermatten tenant les bras croisés et astérisque sur la tête. dr.
Effacer les traces du village
Le 4 août 1929, l’assemblée bourgeoisiale accepte le projet en vue d’une exploitation plus rationnelle des alpages. Dès lors, le village est condamné à mort. Les actes sont passés 15 jours plus tard. Plus de 20 hectares sont achetés au prix cadastral aux onze propriétaires. Après les récoltes, la Bourgeoisie prend possession des terres. Commencent alors le réaménagement de l’alpage et la construction d’une cave à fromages et d’un chalet à Randonnaz d’en Haut. En mai 1930, les familles quittent définitivement le village. Leur avenir se fera désormais en plaine. Marie Roh, passionnée de fleurs, de poésie et de pièces de théâtre, se rappelle néanmoins d’un joli souvenir:
«J’avais deux frères et deux sœurs: Denis, Armand, Agnès et Julie. Lors du déménagement, c’est un jeune homme de Randonne qui a porté Agnès dans sa hotte. Cet acte généreux a été d’un bon présage. Devenue adulte, elle s’est mariée avec lui en 1947 malgré leur grande différence d’âge. Quant à moi, j’ai épousé Maurice Roh d’Aven/Conthey qui travaillait à la mise en culture des vignes à Beudon. J’ai eu quatre enfants et je suis l’heureuse grand-maman de cinq petits-enfants et d’un arrière-petit-fils».
- Marie, debout au centre, entourée de ses frères et sœurs: Denis à gauche, Agnès à droite. En bas, Armand et Julie. Photo prise en 1930. dr
Marie Roh-Ançay est décédée le 27 janvier 2014 dans sa 92e année. Son témoignage est entré dans l’histoire.
- Dessiné par l’architecte Mathey dans un style traditionnel, l’oratoire élevé en 1956 indique l’ancien emplacement du village détruit. Le peintre Albert Chavaz représente sur le mur intérieur une Vierge à l’enfant.
Plus de quatre-vingt ans ont passé. Aujourd’hui, alors que l’amour des vieilles pierres refait surface, il n’est pas certain que le village de Randonnaz subirait le même sort !
Intéressés ?
Lire à ce sujet la plaquette de l’historien Christophe Bolli, «Randonnaz, village disparu». Collection Les cahiers de l’histoire locale – Monographic – Technopole 2 - Sierre.
En complément :
Maurice Zermatten a vécu l’année scolaire 1922-1923 avec son père Antoine, régent à Randonnaz. Il a écrit un roman publié en 1983 chez Denoël, Paris, intitulé «A l’Est du Grand-Couloir». Pour les enfants, il a réalisé en 1953 un livre de lecture intitulé: «Le petit écolier valaisan», illustré par Charles Menge. Il donne une description de l’origine des villages valaisans. Extraits:
«Nos villages valaisans, de quand existent-ils ?
Les premiers sont nés, sans doute, sur les collines. On a trouvé, sur l’arête de Tourbillon, de très anciennes tombes qui prouvent qu’une agglomération s’y était fondée plusieurs siècles avant Jésus-Christ. Il dut en être de même à Saillon, à Montorge, peut-être, à Granges, là même où, beaucoup plus tard, les seigneurs du moyen âge élevèrent leurs tours et leurs châteaux. Les mêmes raisons, du reste, faisaient choisir ces emplacements: la nécessité de se défendre (…) On veillait aussi à se protéger des avalanches et des inondations».
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