Elvina Huguenin, personnalité locloise

1907
Le Locle, Neuchâtel
Claire Bärtschi-Flohr

Je pense qu’Elvina valait mieux que son unique portrait. Quand on la lit, on l’imagine vive, passionnée et certainement souriante. Mais elle a été éduquée selon les rudes valeurs de son temps, imprégnées de protestantisme. Cette unique photo m’a été fournie par Caroline Calame, Conservatrice des Moulins Souterrains du Crêt-du-Locle (à visiter!).

Claire Bärtschi-Flohr
Elvina Huguenin, personnalité locloise
1890
Elvina Huguenin, personnalité locloise

Dans un album de souvenirs offert en 1922 à Auguste Sarbach, directeur des écoles du Locle entre 1891 et 1922 une page est consacrée à la biographie d’Elvina Huguenin, et l’on y trouve la photo.

J’ai fait la connaissance d’Elvina Huguenin lors de ma recherche sur l’histoire du Locle en 2015. Caroline Calame la citait dans un de ses ouvrages (« Feu et flammes sur nos villages » édité par la Nouvelle Revue Neuchâteloise), et j’ai ainsi appris qu’Elvina Huguenin avait publié ses souvenirs dans le « Messager Boiteux » des années 1907, 1908 et 1909.

Elle est née en 1829 et décédée en 1918 (à 89 ans) au Locle.

Orpheline d’un père décédé dans sa première année de vie, sa mère lui a beaucoup parlé de lui. D’autres gens du Locle lui en parlaient également en bien.

Elle fut très attachée à sa mère. Sa mère fut polisseuse de roues dans l’horlogerie. Dans ses souvenirs édités par le Messager Boiteux, elle nous raconte la vie au Locle au cours du 19ème siècle et au début du 20ème.

A quatre ans, elle a vécu le terrible incendie qui détruisit un grand nombre de maisons du Locle. Puis elle évoque avec verve les inondations, les luttes entre royalistes et républicains, les médecins, les diligences, les auberges, la prospérité des métiers de l’horlogerie, etc.

Son enfance fut heureuse. Elle était passionnée par les livres.

Devenu institutrice à 17 ans, elle enseigna de 1846 à sa retraite, en 1892 (à 63 ans) (46 ans d’enseignement). Elle resta célibataire.

Il me semble qu’à cette époque et pendant encore des décennies, seules les femmes célibataires pouvaient travailler dans le domaine public (enseignement, ainsi que les téléphonistes à la Poste.

D’abord institutrice d’école enfantine, elle fut, dès 1862, enseignante primaire puis secondaire (français, géographie, économie domestique).

Elle parle de son enseignement, en particulier celui de la géographie dans « Le Messager Boiteux » de 1909.

Dans le petit texte qui accompagne sa photo, dans le document cité ci-dessus, on peut lire :

« ...on la craignait,mais au fond, on l’aimait très sincèrement. Elle conserva des relations avec plusieurs de ses élèves. Elle était douée d’une mémoire remarquable pour tout ce qui avait trait à l’histoire locale".

Elle a composé et publié des poèmes. Son écriture, au niveau de la calligraphie mais aussi de l’orthographe était parfaite, elle dessinait aussi fort bien.

Elle a écrit les paroles de deux cantates composées par Charles North : une cantate de Noël et une autre pour l’inauguration du monument Daniel JeanRichard.

Au fil des ans, elle fut reconnue comme une personnalité de la ville. Elle était Invitée dans les salons des bourgeois loclois, par exemple, chez Mme Montandon-Grosclaude. Elle y rencontre le conteur danois Hans Christian Andersen chez Les Jürgensen, dans les années 1860. Elle l’a entendu lire un de ses contes et elle lui a lu un poème qu’elle avait écrit. Hans Christian Andersen lui a adressé une carte pour la remercier et lui dire "au revoir".

Voilà ce qu’en dit Andersen dans son journal à la date du 17 mai 1867 :

« sur ce, on lut Les Habits neufs de l’Empereur, une certaine Mlle Huguenin lut un de ses poèmes : La Pomme, et Jules (Jürgensen) un autre d’elle : Dieu. Puis ce fut de nouveau de la musique et une dame chanta. Nous restâmes ensemble jusque vers minuit, j’étais très fatigué".

En 1907, elle termine le récit de ses souvenirs au Messager Boiteux en disant :

« LA CHALOUPE est la maison où je suis née, où, six mois après, mon père est mort. Longtemps, je n'ai pu passer près de cette maison sans un serrement de coeur, en pensant au court bonheur de ma mère, à ses longs regrets, à ce père dont elle m'a tant parlé, que j'aurais tant voulu avoir connu, dont j'entendais la louange dans toutes les bouches, et que, dans les derniers temps de sa vie, à l'âge de passé quatre-vingts ans, elle se réjouissait tant de revoir. Depuis que ma mère, elle aussi, m'a quittée, et que son départ a fait pour moi de ce monde un désert, cette impression a changé : la vue de cette maison m'inspire plutôt un sentiment de paix et de soulagement. Mon père et ma mère sont réunis, ils sont heureux ; et quand viendra pour moi le moment d'aller les rejoindre et de retrouver auprès d'eux les bien-aimés qui m'ont devancée, mon départ ne brisera le coeur de personne, personne ne restera pour en souffrir. ».

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Claire Bärtschi-Flohr
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22 septembre 2022
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