"Une Amérique bien tranquille"
"Une Amérique bien tranquille" Repérage
Hays, Kansas, août 2015 - Hi folks ! My name is Marc Schindler. I'm back to Hays, Kansas, 39 years later ! En avril 1976, avec une équipe de la télévision suisse romande, j'ai passé un mois à Hays, au Kansas, pour réaliser un documentaire sur cette petite ville américaine au coeur des plaines du Midwest, entre Denver et Kansas City. Les Etats-Unis célébraient leur bicentenaire et, avec le réalisateur Jean-Jacques Lagrange, le cameraman Jacques Mahrer et le preneur de son Charles Champod, nous avons tourné la chronique quotidienne d'une petite ville semblable à des milliers d'autres, où vit un Américain sur trois. Pourquoi Hays ? Parce qu'elle correspondait aux critères d'une étude faite sur les Midtowns, les villes américaines de 20 000 habitants. Notre documentaire : « Une Amérique bien tranquille», a été diffusé en septembre 1976.
En 1865, l'armée américaine avait construit un fort pour protéger des Indiens la construction de la ligne de chemin de fer de l'Union Pacific d'une côte à l'autre. Les premières années, c'était le Far West : les hors-la-loi y jouaient du colt, le shérif Wild Bill Hickock faisait régner la loi et l'ordre, le juge faisait pendre les voleurs. Les assassins étaient lynchés et enterrés avec leurs bottes sur le Boots Hill. Buffalo Bill abattait douze bisons par jour pour nourrir les ouvriers du rail. Puis, en 1876 sont arrivés les Allemands de la Volga, ces paysans auxquels la tsarine Catherine avait octroyé des terres en Russie, sans impôts et sans obligations militaires. A sa mort, ces privilèges ont été supprimés et les Volga Germans ont cherché terres et fortune dans
les plaines à blé du Kansas. Ils y ont apporté leur variété de blé, leur culture, leurs traditions et leur dialecte allemand. Aujourd'hui, à Hays, un habitant sur trois a un nom d'origine allemande.
Hays, en 1976, a été ma découverte de l'Amérique. Pas l'Amérique des mégalopoles, mais celle des petites communautés rurales, où on travaillait dur, où chacun allait à l'église le dimanche - il y en a 27 à Hays - où la vie sociale s'organisait autour des lotos, des réunions d'anciens combattants et des ventes de paroisse. Hays, où un habitant sur dix habitait dans un mobile home et vivait des bons d'alimentation, surtout les femmes divorcées dont le mari avait quitté le Kansas pour ne pas payer de pension alimentaire. Sa rue principale, où les voitures roulaient lentement, où tous les
samedis soirs, les jeunes gens empruntaient la voiture de papa pour respecter la tradition : Draging Main, monter et redescendre Main Street en klaxonnant pour épater les filles. Le quincailler Scotty vendait des vis au poids, la Farmers Bank prêtait 3000 dollars pour financer un forage de pétrole. La prison aux normes fédérales détenait un ivrogne au volant et trois escrocs pour des chèques en bois. Son Mall où on faisait ses courses en famille, ses marchands d'armes où on allait acheter son revolver Smith & Wesson et son fusil de chasse. Hays, ses motels et ses restaurants MacDonald's, Wendy's, Freddy's, Gella's, qui servaient une nourriture riche et grasse pour des estomacs solides ! En 1976, Hays était vraiment une Amérique bien tranquille, à 100% blanche, où l'on ne rencontrait jamais de Noir ni de Juif. Les Indiens avaient été massacrés il y a longtemps et on gardait précieusement quelques bisons qui avaient échappé à Buffalo Bill et le site où les tribus Pawnee plantaient leurs tipis.
En août 2015, Hays est toujours « Une Amérique bien tranquille ». La ville a un peu changé. 20% de nouveaux habitants. Un hôpital privé HaysMed avec des équipements ultra-modernes et 27 médecins- un vrai Hilton de la santé ; un musée d'histoire naturelle avec des spécimens rares de poissons préhistoriques ; des quartiers résidentiels où les avocats et les médecins se font construire des maisons à un demi-million de dollars. Et de nouvelles usines pour l'industrie pétrolière et les
transports. Hays a surmonté la crise, son blé et son sorgho se vendent toujours bien. Peu de crimes, peu de drogue, sauf sur l'autoroute qui traverse le Kansas. Le taux de chômage est de 2.3%, deux fois moins que dans le reste des Etats-Unis. Les emplois ont augmenté de plus de 5% ces dix dernières années. Les salaires sont moins élevés, mais le coût de la vie aussi. Dans sa salle du City Council décoré du drapeau américain, le maire Eber Phelps peut être fier de sa ville : selon un sondage, Hays est un bon endroit pour élever sa famille, même si on s'y ennuie un peu.
En 1976, il fallait venir à Hays - à 2500 km. à l'ouest de New York - pour prendre des contacts, convaincre les habitants et organiser le tournage. Trente-neuf ans plus tard, j'ai pris les rendez-vous par Internet en envoyant un mail pour expliquer mon projet : tourner un reportage personnel et retrouver les témoins survivants de 1976. J'ai retrouvé Harold Kraus, 84 ans, le grand fermier qui cultive 1000 hectares de blé et de sorgho ; Pete Felten, 82 ans, le sculpteur de bisons en pierre ; Mike Cooper, 72 ans, le journaliste qui m'a invité à son émission locale "Community Connection" ; Erroll Wuertz, l'ancienne star de la TV locale, devenu agent immobilier. Je leur ai montré le film de 1976, qu'ils n'avaient jamais vu.
Revenir dans un endroit où j'avais découvert la réalité d'un pays, c'est un privilège rare pour un journaliste habitué à passer d'un reportage à l'autre. En 2015, pas d'équipe de tournage à quatre avec 200 kg. d'équipement, mais une valise et un camescope dans un sac à dos. Un pèlerinage au Kansas, dont j'avais rêvé depuis quelques années.
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