Une écrivaine de la région : T. COMBE_19
Claire Bärtschi-Flohr_août 2014
Je voudrais vous parler d'une personnalité neuchâteloise trop peu ou mal connue : T.Combe.
Qui se cache sous ce pseudonyme assez laid et peu explicite, exigé par ses parents à cause du qu'en dira-t-on ?
Il s'agit d'Adèle Huguenin, au nom bien de chez nous, écrivaine née au Locle, au no 1 de la rue de France en 1856 et décédée en 1933 aux Brenets. Ecrivaine prolifique puisqu'elle a écrit 40 romans, 120 nouvelles, des bréviaires, des agendas rendant compte de ses activités, des livres de cuisine et d'innombrables collaborations à des journaux et à des périodiques.
Voici quelques extraits de la biographie que lui a consacrée Caroline Calame, Conservatrice des Moulins Souterrains du Col des Roches :
Adèle Huguenin est née au Locle le 16 août 1856. Fille de parents horlogers à domicile, elle connaît, dans son enfance, la relative prospérité qui fut celle des artisans de talent. Elle apprend à lire de bonne heure, obtient de bons résultats scolaires et caresse le rêve de poursuivre ses études à l'Académie. Hélas, la crise horlogère des années 1870 a raison de la modeste aisance des Huguenin…
Dans ces conditions, Adèle doit rapidement gagner sa vie. Elle sera institutrice, un des rares métiers permettant alors à une femme d'allier l'indépendance à la respectabilité. Elle a moins de 17 ans quand elle commence à enseigner… Ses élèves ont parfois le même âge qu'elle, ce qui ne lui facilite pas la tâche…
Vers 1875, elle commence à écrire des nouvelles. En 1879, Adèle devient une des collaboratrices assidues de la revue de la Bibliothèque Universelle*, important périodique de Suisse romande. Bientôt, des éditeurs lui proposent des éditions en volumes de ses nouvelles. Ajoutés à ceux de la* Bibliothèque Universelle*, ses droits d'auteur - qu'elle négocie en femme d'affaires - lui permettent de vivre de sa plume…*
En octobre 1881, elle gagne l'Angleterre où elle s'engage comme institutrice dans une famille, afin de gagner sa vie et de découvrir la vie anglaise. En 1887, elle passe quelques mois à Paris, décidée à se faire connaître dans les revues parisiennes. Sans grand succès…
A partir de 1890, la vie de T. Combe aborde un tournant. Ses parents sont malades et appauvris, si bien que l'essentiel de son temps passe dans les soins qu'elle leur donne et tous ses gains dans le remboursement de leurs dettes. Une situation qu'elle ne peut s'empêcher de trouver amère. En juillet 1890, elle se consacre à Dieu, sous l'influence du peintre Paul Robert, qui estime que les artistes doivent contribuer à l'amélioration du monde. L'œuvre de T. Combe devient alors plus engagée, exprimant ses convictions sociales, religieuses et abstinentes. En 1899, elle entre dans le Comité de lutte contre l'absinthe et milite pour son interdiction par le biais de brochures, de romans et de conférences… Elle s'engage également pour les droits des femmes, notamment pour le suffrage féminin…
En 1905, elle entreprend la construction, dans le haut des Brenets, de La Capucine, vaste maison qui deviendra un lieu de vacances pour les travailleurs. En mai 1913, T. Combe concrétise ses convictions sociales en adhérant au Parti socialiste du Locle…
Avec la première guerre mondiale, La Capucine change de destination et devient un lieu d'accueil pour les réfugiés belges, puis pour les aveugles de guerre. Pour leur venir en aide, T. Combe rédige le Rameau d'olivier*, journal visant à sensibiliser les enfants aux victimes du conflit. Les bénéfices permettent d'aider les blessés à se réinsérer dans la vie active…*
carte postale du Rameau d'Olivier_collection CBF
En 1921, T. Combe entreprend la rédaction de Notre Samedi soir*, causerie entre femmes. Cet hebdomadaire, qu'elle nomme modestement la « feuille de chou » vise à sensibiliser les femmes à la politique et à les rendre conscientes de leurs droits. Sa rédaction occupe les dernières années de T. Combe, ainsi que l'écriture de son autobiographie romancée* Cinq épisodes d'une vie*. T. Combe quitte ce monde le 25 avril 1933…*
voir aussi un très important article consacré à notre écrivaine :
photo BibliothèqueVilleLeLocle
Une jolie fille, cette Adèle Huguenin. Une forte personnalité, une nature riche et douée.
Elle aurait pu être mon arrière grand-mère. Ses dates de naissance et de décès correspondent à peu près à celles d'une de mes aïeules. J'aime bien situer un personnage du passé par rapport à ma propre existence : cela me rend la personne et son époque plus proche et plus compréhensible.
Il est intéressant de remarquer qu'une époque et une éducation donnée mène les femmes qui ont une forte personnalité aux mêmes aspirations et au même type d'engagement. Je pense à la doctoresse Champendal, qui créa le Bon Secours à Genève, à Emilie Gourd, qui créa, elle, un journal pour les femmes d'un milieu social plus élevé, à Henriette Emmi qui s'est dévouée pour soigner les soldats défigurés par la Grande Guerre, plus récemment à Jenny Humbert-Droz et à de nombreuses autres féministes.
Malgré la richesse de sa personnalité et les expériences qu'elle a faites en voyageant et en vivant en Angleterre ou à Paris, on sent combien elle, - et nous tous - est conditionnée par son époque et à quel point il lui est difficile, même impossible, dans certaines situations, de s'affranchir, de se libérer des interdits donnés par l'éducation, (ici protestante) et du statut de femme, imposé par la société d'alors et qui persistent en partie aujourd'hui encore.
Je vous recommande les 2 livres publiés récemment à la Nouvelle Revue Neuchâteloise : Lisez son Journal et son dernier roman très autobiographique : Cinq épisodes d'une vie. Sa peinture de l'Angleterre victorienne est vivante et témoigne bien de l'époque. Comme dans le cas de George Sand, la découverte de la vie de T. Combe est encore plus intéressante que ses écrits !
En lisant son journal, on comprend que le choix du dévouement social n'allait pas de soi. C'est après un grave échec sentimental qu'elle se consacre à son dieu et à son prochain.
Très en avance sur son temps, elle a compris combien le travail rémunéré pouvait changer l'existence des femmes en leur permettant d'être indépendantes. Et c'est un message qui est encore d'actualité aujourd'hui.
« La nécessité de gagner sa vie est une vraie bouée de sauvetage quand une tempête vous submerge et que le naufrage est imminent. Thérèse se refit une vie avec le travail, les amitiés et mille intérêts » (in Cinq épisodes d'une vie p. 290)
Ses œuvres sont souvent très implantées dans le terroir des Montagnes et ce n'est pas le moindre de leur intérêt. Lisez « Croquis Montagnards », ou l'un de ses romans, « La Maltournée ». Vous trouverez ses livres dans les bibliothèques. Notez que la Bibliothèque Numérique Romande a décidé de mettre les écrits de T. Combe à la disposition du public et qu'il y a déjà certaines œuvres disponibles. Il faut aller voir sur Internet.
Donnons-lui la parole pour terminer ce petit article :
« La vie est longue, mais on en vient à bout tout de même ; on la grignote jour après jour par bouchées tantôt douces tantôt amères, tantôt sèches comme du sable, tantôt savoureuses comme le raisin de septembre ». (in Cinq épisodes d'une vie p. 295)
Ci-dessous, une publication passionnante due à Caroline Calame, qui réalise là une étude approfondie de cette belle personnalité neuchâteloise :
voir l'article de la bibliothèque numèrique romande consacré à T. Combe : http://www.notrehistoire.ch/article/view/1550/#comments
Merci de nous faire connaître Adèle Huguenin, je me réjouis de lire les œuvres que vous nous recommandez. Bien cordialement. M.E.-G.
A mon tour, je vous remercie pour votre commentaire. Je suis contente de votre intérêt pour cette femme d'action et cette écrivaine attachante.