Les bains publics, de l’hygiène à la détente Repérage

16 juin 2022
Les archives de la RTS

Avec la belle saison, nos villes bruissent des rumeurs joyeuses des piscines: l'occasion de se plonger dans l'histoire de bains publics de nos villes qui sont en quelque sorte les ancêtres de nos bassins bleus.

(en couverture de ce récit, une photographie de Frank Henri Jullien, conservée à la Bibliothèque de Genève, illustre l'attrait en 1932 des Bains des Pâquis à Genève).

Un argument hygiénique

Au courant du 19e siècle, avec la découverte des facteurs favorisant les épidémies telles le typhus et le choléra dans les villes, on adopte des mesures contre l’insalubrité. Dans le but de promouvoir la santé, on préconise notamment les éléments naturels comme l’eau, le bon air, le soleil et l’exercice physique.

Sont alors construits des bains publics fournissant pour certains de véritables salles de bains avec eau chaude et assurant aux plus démunis l’accès à l’hygiène. Des bains flottants froids sont également installés sur les lacs et les cours d'eau: ils sont clos pour préserver la pudeur des baigneurs.

Ainsi en 1889 sont créés à Genève les Bains du Rhône au Pont de la Machine: le faible coût d'entrée dans l'établissement est compensé par des publicités géantes qui suscitent de vives critiques! Cette photographie d'un auteur inconnu conservée à la Bibliothèque de Genève nous en livre une trace:

Après des enquêtes mettant en évidence à la fin du 19e siècle la vétusté de logements dépourvus d'équipements sanitaires dans plusieurs villes de notre pays, une vigoureuse campagne promeut le mouvement hygiéniste en Suisse. Les normes sanitaires évolueront peu à peu. Avant la première Guerre mondiale, l’accès à l’eau courante et à des WC communs sur le palier dans les immeubles puis entre les deux guerres une baignoire ou douche avec eau chaude deviennent des équipements courants dans les logements.

Cependant la baignade et les cures de soleil prescrites contre la tuberculose par des médecins de renom comme le docteur Auguste Rollier (1847-1954) continuent à favoriser la fréquentation des bains publics.

(à ce propos voir également la galerie consacrée aux sanatoriums)

Une motivation sportive

Avec l'arrivée du 20e siècle, l'engouement pour la culture physique et le sport concourt désormais au développement des bains publics, devenus lieux de bien-être et de détente. La natation est alors un sport populaire, comme le démontre cette photographie publiée sur notreHistoire par le Centre d'iconographie de la Bibliothèque de Genève.

Les bains publics offrent l’opportunité de pratiquer la natation: la mixité y est toujours bannie et des cloisons en bois les compartimentent. Cette barrière entre les sexes tombera définitivement en 1940.

Certains de ces bains construits au siècle dernier sont encore fréquentés aujourd’hui dans nos villes où les loisirs balnéaires font partie des habitudes estivales (voire même hivernales pour les plus courageux!). Malgré leurs rénovations, ces piscines ont pour la plupart conservé quelque chose de leur physionomie d’antan.

Petit tour des grands bains de nos villes:

Bains des Pâquis

Alors qu’à Genève au début du 19e siècle de nombreux bains publics à vocation hygiénique existent encore, ils disparaissent peu à peu.

Une photographie publiée par le Centre d'iconographie genevoise de la BGE montre les bains flottants du Pont de la Machine:

En 1914, subsistent notamment les Bains des Pâquis, les Bains du Brise-Lames sur la rive gauche et les Bains du Rhône, ces deux derniers établissements fermeront quelques années plus tard.

Installés sur la jetée de la rive droite de la rade et construits en bois, les premiers Bains des Pâquis accueillent les Genevois depuis 1872 et deviennent dès 1890 des bains municipaux.

Dans un article de la Tribune de Genève du 16 août 2016 consacré à l'histoire des bains des Pâquis, le journaliste Antoine Grosjean décrit ainsi :

La construction est la plus basse et plate possible, pour ne pas boucher la vue sur le lac depuis le pont du Mont-Blanc et le Jardin anglais. Avec leurs 900 m2 de surface, les nouveaux bains peuvent accueillir 200 nageurs. L’entrée est libre à partir de 18 heures et le dimanche, permettant aux ouvriers de venir gratuitement faire trempette après leur journée ou leur semaine de labeur. Seule concession «féministe», certaines heures sont réservées au beau sexe «afin d’éviter la promiscuité». Il faudra une pétition pour qu’un bassin destiné aux femmes, plus petit, soit finalement ajouté en 1906.

Les bains des Pâquis feront bientôt face au Jet d’Eau de Genève érigé dès 1891. En 1931, ils sont démolis et reconstruits selon la tendance de l’époque, en béton armé.

Voici une vue générale des Bains des Pâquis en 1932 du photographe Frank-Henri Jullien, tirée du fonds du Centre d'iconographie genevoise, de la BGE.

Les Bains des Pâquis représentent une véritable institution à Genève, favorisant rencontres et liens sociaux.

En 1980, lorsqu’une rénovation s’impose, une association est créée pour défendre « l’esprit des Pâquis » menacé par un projet de piscine chauffée. Par un référendum voté en 1988 et accepté à 72% des voix, les bains conservent leur architecture et demeurent un lieu emblématique de Genève.

Bains de la Motta

Cette piscine bien connue de Fribourg qui offre un coup d’œil sur la Vieille ville est construite en 1924 par l’ingénieur et architecte Beda Hefti (1897-1981), pionnier du domaine. Il s’agit des premiers bains qui ne sont pas installés sur les eaux d’un lac ou d’une rivière : deux bassins d’eau provenant de la Sarine sont consacrés à l’hygiène des ouvriers et ouvrières. Les Bains de la Motta abrités derrière de hauts murs se voient imposer la non-mixité jusqu’en 1940 où une décision du Tribunal fédéral brise ce tabou. Les Bains de la Motta conservent aujourd’hui encore leur air d’antan avec leur enceinte et leurs cabines.

Comme le montre cette photo publiée sur notreHistoire par la Bibliothèque cantonale et universitaire de Fribourg, les Bains de la Motta constituent également un lieu de rendez-vous:

Au début de l'été 1968, on y organise des cours de sauvetage:

Bains de Bellerive

Construits plus tardivement que les précédents, entre 1934 et 1937, les Bains de Bellerive au bord du Léman à Lausanne sont l’œuvre de l’architecte vaudois Marc Piccard (1905-1989) et remplacent les bains payants de Cour édifiés en 1884 par la Société de développement de Lausanne.

A l'occasion de l'inauguration du nouveau complexe de Bellerive-Plage en 1966, un extrait d'article de La Nouvelle Revue de Lausanne donne la parole à Marc Piccard qui se souvient:

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Un extrait d'article de la Nouvelle Revue de Lausanne
28 juin 1966
Un extrait d'article de la Nouvelle Revue de Lausanne

En 1968, un reportage de la TSR présente des lieux d'aisance encore en fonction sur la Place Saint-François à Lausanne où douches et lavabos permettent d'assurer l'hygiène publique. Les gardiennes de ces lieux en dévoilent les dessous:

Bains des Dames

Neuchâtel a également son établissement de bain, destiné aux femmes et aux enfants, construit au 19e siècle. L'architecte Léo Châtelain (1839-1913) conçoit un bâtiment offrant la discrétion aux baigneuses et un accès facilité au lac. Les Bains des Dames ont été transformés en restaurant.

Les bains publics d’antan ont perduré, notamment en Suisse alémanique et certaines de leurs caractéristiques de la première heure sont revenues au goût du jour comme par exemple la séparation des sexes : à Zurich, les femmes disposent ainsi d’un lieu exclusif où se baigner au bord de la Limmat, le Frauenbad.

Sources

Dictionnaire historique de la Suisse, "Hygiène" (en ligne) https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/016310/2014-12-17/ (07.06.2022)

Patrick Schoeck-Ritschard, "Voyage à travers 150 ans d'histoire des bains", Heimatschutz= Patrimoine, N°107, 2012 ou E-Periodica (en ligne) https://www.e-periodica.ch/digbib/view?pid=hei-001:2012:107::265#fdv-1977 (07.06.2022)

Gilles Simon, "Quand les jeux aquatiques de Vidy faisaient fureur", 24 Heures , 27.08. 2017 (en ligne) https://www.24heures.ch/vivre/histoire/jeux-aquatiques-vidy-fureur/story/17930150 (07.06.2022)

Stéphanie Sonnette, "Plaisir des bains, une tradition suisse", Espazium (18.05.2017) (en ligne)

https://www.espazium.ch/fr/actualites/plaisir-des-bains-une-tradition-suisse

Antoine Grosjean, "Aux Pâquis, la baignade devient un enjeu politique", Tribune de Genève, 16.08. 2016 (en ligne) https://www.tdg.ch/geneve/actu-genevoise/pquis-baignade-devient-enjeu-politique/story/23925169 (07.06.2022)

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