Quand les oiseaux chantaient pour de vrai

1960
Pully
Daniel Rupp

Quand les oiseaux chantaient pour de vrai

En 2019, nous suivions un joli parcours de Lausanne Jardins avec des amis. Près du Parc de Valency, à l’avenue d’Echallens, nous nous arrêtâmes devant un joli petit massif de buissons. Nous entendîmes des pépiements d’oiseaux fort mélodieux. Intrigué, je passai la tête à travers les rameaux, mais je ne perçus aucun oiseau. Je finis par découvrir des haut-parleurs qui diffusaient ce joyeux gazouillis. Il me transporta un demi-siècle en arrière. Une histoire à dormir debout.

1960 et des poussières, j’habitais à Pully-Nord, dans une maison de 6 appartements. Les familles partageaient, non seulement la chambre à lessive, l’étendage, la cour intérieure mais aussi le jardinet avec son « tape-tapis ». Chaque maman, à son tour, pendait son tapis sur la barre transversale et, au moyen d’une tapette en osier, battait la carpette jusqu’à lui faire recracher tout ce qu’elle avait avalé la semaine. Les papas, curieusement, n’avaient pas l’usage de cette installation. Par contre, ma sœur et sa copine Rose-Marie se la réservaient pour des parties de « cochons pendus » et de gymnastique à la barre parallèle. Jean-Marc et moi-même l’utilisions pour des concours de « tirs au but ». On pensait bien qu’un jour on verrait des robots aspirateurs, des robots tondeuses à gazon, des appareils de photo volants télécommandés, mais on ne se doutait pas que le tape-tapis, le dévaloir et le petit commerce disparaîtraient.

La vie s’écoulait comme un petit ruisseau tranquille qui murmurait à l’orée des cheveux. À l’est, ma chambre donnait sur un grand champ, avec une ferme plantée en son milieu. (aujourd’hui occupé par le collège Arnold Reymond). Au sud, la chambre à coucher de mes parents s’ouvrait sur un verger très apprécié des oiseaux. Cette particularité joue un rôle central dans l’histoire que je suis en train de retracer.

Un jour, un couple de jeunes mariés vint s’établir sur le même palier. Pour mon père, le mariage, c’était pour la vie, alors que les couples « modernes », eux, avaient cessé de s’engager durablement. Il avait affirmé que les nouveaux voisins ne se faisaient guère d’illusions sur la durée de leur couple. Je m’étonnais de ce jugement à l’emporte pièce, sans même avoir fait la connaissance de ces personnes. Ce n’est que le lendemain que je compris le sens de sa boutade. On pouvait lire sur leur porte « Madame et Monsieur D. et N. Touchon-Dubois ».

Un deuxième jeune couple s’installa dans l’appartement au-dessus du nôtre. La moyenne d’âge s’effondrait ! Pleins d’énergie et d’enthousiasme, ces nouveaux venus organisèrent avec quelques amis une soirée fort animée. Parmi les dégâts collatéraux, il fallait compter avec l’insomnie. Mon père se retournait dans son lit, sans réussir à choper Morphée. Ma mère, tranquille, lui offrit une solution toute simple. Elle ouvrit une boîte de tampons auriculaires et en partagea le contenu. L’une s’endormit sans problème, alors que les tampons dans les oreilles de l’autre, épris de liberté, se dispersaient dans les draps. À quatre pattes sur le lit, il perdait patience. La chasse aux tampons dans la literie avait quelque chose d’exaspérant. Vaincu, il se leva. Il était déjà minuit moins quart. Il décida de s’habiller. Il pratiquait deux sortes de tenue. Il choisissait, soit un pantalon en velours côtelé brun ou beige avec une chemise à carreaux, généralement aux alentours du rouge lorsqu’il partait en forêt, soit un complet cravate dans toutes les autres occasions. Il ne s’agissait pas d’une sortie sylvestre, il enfila donc la tenue adéquate. Il ajusta la cravate dans la salle de bains, se passa un coup de peigne et descendit à la cave. Il choisit une bouteille et sonna à la porte de l’appartement « sonorisé ». Au jeune homme qui ouvrit, il déclara.

- Écoutez voir, j’avais gardé cette bonne bouteille pour une grande occasion, mais on voit bien, au bruit que vous faites, qu’il doit s’agir d’une grande occasion, alors je viens la boire avec vous !

Il se joignit à la compagnie et participa aux décibels. L’ambiance était encore montée d’un cran, si bien qu’il était déjà cinq heures du matin quand il descendit se coucher.

Il entra discrètement dans la chambre à coucher. Ma mère se réveilla et interrogea.

- Tu viens d’où ?

- Je suis monté chez les voisins leur dire qu’ils faisaient beaucoup de bruit.

La cacophonie ayant cessé...

- Eh bien, tu as été convainquant ! Mais quelle heure est-il?

- Il est minuit, fit-il sans rougir. Rendors-toi !

Elle dressa l’oreille.

- Mais ce n’est pas minuit, on entend les oiseaux chanter !

Il ne se démonta pas. Il ouvrit la fenêtre à deux battants.

- Faux-jetons ! cria-t-il.

Les moineaux restèrent cois pendant deux secondes, puis reprirent leur concert. C’était la première fois qu’ils se faisaient engueuler au petit matin. Mon père ne mit pas plus de deux minutes à s’endormir comme un nouveau-né. Il avait inventé la fête des voisins, qui se tint régulièrement depuis, dans le petit locatif.

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Daniel Rupp
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6 avril 2020
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