La Chansonnaie: un recueil de chants décrié

Valérie Clerc

Nos cours d'éducation musicale ne seraient rien sans leur manuels. Ces livres, conçus par des pédagogues enthousiastes, marquent durablement notre imaginaire musical.

Parmi les titres scolaires romands, certains ont essuyé des critiques. C'est le cas de "La Chansonnaie" éditée par l'Instruction publique genevoise au début des années 1930.

Un ouvrage pionnier

Sur les 273 mélodies de l'ouvrage, une quarantaine seulement viennent d'anciens recueils. Par ce choix, les auteurs de l'ouvrage appellent à un renouveau du repertoire enfantin.

Ils innovent notamment en introduisant des mélodies puissées dans d'autres répertoires musicaux. Les airs empruntés au folklore slave font en particulier débat.

La montée des totalitarismes

Selon Jean Delor, inspecteur du chant dans les années 1950, une partie du corps enseignant genevois, prévenue contre les auteurs de la Chansonnaie pour des raisons qui n'ont rien à faire avec l'art et la pédagogie, a exagéré les défauts de l'ouvrage. On reprochait au recueil d'avoir fait la part trop belle au folklore étranger, russe surtout, au détriment de la chanson traditionnelle suisse.

Les raisons de cette attitude se comprennent aisément si l'on pense à la date de la publication du livre 1933. La montée du totalitarisme s'observe partout en Europe .

A Genève, les responsables de l'enseignement et de la jeunesse sont préoccupés depuis le début des années 1930 par l’apparition de nombreux groupes se situant en marge des scouts, tels que les «Faucons rouges» et «Amis des enfants» d’inspiration communiste.

Fascination musicale pour le folklore slave

En réalité, la Chansonnaie contient tous les chants patriotiques suisses. Si un grand nombre de chansons slaves y ont trouvé place, la proportion n'est pas telle qu'on l'a prétendu. Elle est due non pas à des sympathies idéologiques des auteurs, mais bien plutôt à ce très vif engouement pour la musique russe qui régnait dans les années 1930.

Tous les folkloristes étaient alors, musicalement parlant, russophiles.

En faisant passer dans un recueil scolaire ces mélodies si expressives qu'ils admiraient, les auteurs de la Chansonnaie ont sans doute trop présumé de la musicalité des enfants.

Certaines chansons slaves et balkaniques contiennent des tournures mélodiques très éloignées des tendances instinctives des écoliers romands. Cette ouverture au monde et à sa diversité musicale n'est malheureusement pas reçue à sa juste valeur dans une période politique marquée par les nationalismes.

Annexe:

Voici la table des matière de la Chansonnaie :

  • Chansons populaires suisses
  • Chants patriotiques ou traditionnels
  • Chansons historiques suisses
  • Chansons de France (Belgique et Canada)
  • Espagne et Italie
  • Allemagne, Pays-Bas, Iles britanniques, Suède
  • Russie
  • Pologne, Roumanie, Tchécoslovaquie, Hongrie, Serbie
  • Grèce, Amérique, Finlande
  • Hymnes relgieux
  • Morceaux classiques ou romantiques
  • Auteurs suisses contemporains

Source:

Jean Delor, "L'éducation musicale à l'école primaire genevoise" in Études pédagogiques : annuaire de l'instruction publique en Suisse, n°43, 1952, pp. 87-93. (E-Periodica: doi.org/10.5169/seals-114033)

Photo de couverture:

Classe de Georges Dietrich (Servette 1926 ?), collection Philippe Conne

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13 avril 2023
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