Arthur Honegger et William Aguet, Christophe Colomb
Arthur Honegger et William Aguet, Christophe Colomb
Cette photo fut publiée en page de couverture de la revue «Le Radio» du 12 avril 1940, No 888.
«Christophe Colomb» est une commande de Radio-Lausanne à Arthur Honegger et William Aguet. Conçue avant tout pour le micro de la radio, tenant compte de ses exigences particulières, cette sorte de fresque émouvante et diverse retrace le drame de la vie du grand navigateur illuminé par sa foi, poursuivant son rêve et le réalisant malgré ceux qui le raillent, le bafouent, le font emprisonner. Épopée splendide que celle de Colomb et de ses hommes en lutte contre les éléments, perdus entre le ciel et l'eau, mus seulement par une espérance insensée: par la certitude de la victoire. Une courte présentation publiée dans la revue «Le Radio» du 12 avril 1940, No 888, en page 426 (1ère page de ce cahier):
"[...] Christoph Colomb, nom qui a fait naître tant de controverses... nom qui a suscité tant d'oeuvres magnifiques...
«Christophe Colomb» vient de renaître une fois de plus, mais sous une forme nouvelle: la forme radiophonique. Le Studio de Lausanne, désireux de créer une émission qui dépasse nettement le cadre national, a demandé à William Aguet et à Arthur Honegger le soin d'écrire une oeuvre spécifiquement radiophonique. La tâche n'était pas aisée de condenser en l'espace d'une heure et demie la merveilleuse aventure du plus grand des navigateurs. De la collaboration des deux artistes est née une oeuvre poignante, vivante.
Dirons-nous ici le mérite des auteurs, la qualité transcendante de leur oeuvre annoncée, à l'étranger, comme un véritable événement artistique et dont la radio italienne, en particulier, s'est déjà réservé les droits de traduction? Louerons-nous le Studio de Lausanne d'avoir pris l'initiative et d'assumer la lourde responsabilité de cette grande création radiophonique dans les annales de la T.S.F.? Allons-nous citer les noms de tous ceux - chefs d'orchestre, régisseurs de musique et de théâtre, directeur de choeurs, artistes et acteurs - qui ont collaboré à la préparation de l'oeuvre et qui coopéreront encore à son succès, mardi soir? Non, il suffira au lecteur de se reporter au programme de la journée de mardi pour constater que suivant le «cliché» consacré, rien n'a été négligé pour assurer à l'audition de «Christophe Colomb» les meilleures conditions d'exécution. Rappelons simplement que l'O.S.R., sous la direction de M. E. Ansermet, se déplacera pour la circonstance au Studio de Lausanne, que les choeurs seront dirigés par M. F. Porchet [*], que M. Edouard Moser assumera la régie musicale et M. Marcel Merminod la régie théâtrale; qu'enfin - entre autres artistes renommés - nous entendrons Mme Cavadasky, MM. Hugues Cuénod, Paul Pasquier, Stephan Audel, Jean Ayme et William Aguet lui-même, dans le rôle du magicien. En bref, 50 musiciens, 60 choristes, 50 comédiens, contribueront au succès de «Christophe Colomb» qui, mardi soir, sera diffusé non seulement par l'émetteur de Sottens, mais encore - et n'est-ce pas là référence significative? - par l'ensemble des stations du réseau d'Etat français. [...]"
(*) À bien des endroits Alexis Porchet est prénommé par erreur Fernand.
En deuxième page de ce cahier était reproduite une affiche dessinée par Gea Augsbourg, signée par Arthur Honegger et William Aguet:
Réunis dans le grand studio de la Maison de la radio à Lausanne Ernest Ansermet, déchiffrant la partition de «Christophe Colomb», entouré des deux auteurs (debout) et de MM. Alexis Porchet (chef des choeurs), et Edouard Moser (régie musicale), une photo de «Photos Presse-Diffusion» publiée dans la revue «Le Radio» du 5 avril 1940, No 887, page 397
Harry Halbreich indique pour l'oeuvre une durée de 63 minutes, dont 38 minutes de musique:
"[...] La partie parlée est - disons-le vite -- considérable: mais n'est-ce pas Honegger lui-même qui disait, je crois, avoir désiré cette prépondérance. Mais ce parlé est si admirablement lié à la musique, les interventions de l'élément sonore sont si justement dosées, si logiquement attendues, si supplétives du verbe que l'oeuvre forme un tout à la fois coloré, pathétique. émouvant.
Toute l'incantation du début, qui situe les êtres et les choses, apparaît avec une gradation infiniment impressionnante: et l'on n'y voudrait pas voir retrancher une syllabe. Elle conduit au drame qui se noue dès qu'apparaissent Colomb et Isabelle, dès que parle le roi. Dès lors la prodigieuse aventure se déroule et frôle le triomphe pour n'arriver qu'à l'injustice et à la mort poignante de la douce et admirable Isabelle, de celle qui, invisible, est l'inspiratrice secrète de la vie tout entière du héros. Oeuvre poignante, qui saisit au coeur, oeuvre qui, d'un seul coup, fait croire à 'l'existence d'un Art radiophonique. [...]" «R.D.» en page 496 de la revue «Le Radio» du 26 avril 1940, No 890
L'oeuvre fut diffusée en direct sur l'émetteur de Sottens:
Un montage de photos fait par Photos Presse Diffusion. En haut, expressions d'interprètes, de gauche à droite: William Aguet, (le magicien); Paul Pasquier (Christophe Colomb); Hugues Cuénod; Jean Mauclair (Santangel); Stephan Audel (le roi); Marguerite Cavadaski (la reine Isabelle); au milieu, Ernest Ansermet dirigeant l'orchestre; au bas, Francis Magnenat criant «Terre!» publié en page 497 de la revue «Le Radio» du 26 avril 1940, No 890
Quelques photos prises lors de la première audition de l'oeuvre, publiées dans la revue «Le Radio» du 21 juin 1940, No 898, page 759:
Le grand Studio de «Radio-Lausanne», plein à craquer!
Le Choeur de Lutry. Au bas à droite: André Pépin, flûte-solo de l'OSR
William Aguet (à droite) et Jean Mauclair, interprète du rôle de Santangel
À l'issue de la première audition de «Christophe Colomb», Arthur Honegger remercie Alexis Porchet, directeur du Choeur de Lutry
Cette première audition fut abondamment commentée dans la presse locale. Aloys Fornerod dans la Tribune de Lausanne du 24 avril 1940 en page 4:
"[...] Nous avons entendu le Christophe Colomb de MM. Arthur Honegger et William Aguet par l'intermédiaire d'un bon poste de T.S.F., afin d'ouïr cette oeuvre dans les conditions pour lesquelles elle fut écrite. Et nous nous en sommes félicité: nous avons goûté un plaisir complet et tel que, plusieurs fois déjà, la radio nous en procura. Ceci dit pour l'édification des contempteurs systématiques de tout ce qui se dit ou se chante pour la mystérieuse diffusion des ondes sonores.
D'abord, l'audition fut parfaite, et comme netteté et quant à la fidélité des timbres de l'orchestre et à la pureté des voix. Ensuite, le plaisir d'entendre une audition de cette qualité est l'une des plus vives satisfactions que puisse éprouver un ami de la musique contemporaine.
Nous ne sommes pas de ceux qui ont, une fois pour toutes, promu M. Honegger au grade de génie patenté et pris l'engagement d'admirer tout ce qu'il écrit «devant que les chandelles soient allumées». Nous avons dit notre horreur pour certaines partitions d'allure sportive ou ferroviaire, nous avons aussi confessé notre admiration pour le Concerto de violoncelle et pour d'autres oeuvres encore, qui font grand honneur à un compositeur étonnamment doué.
Le Christophe Colomb d'Arthur Honegger est une réussite. Le style en est simple, les thèmes caractéristiques et chargés de vraie poésie, l'orchestration adroite, l'écriture des choeurs prudente et heureuse.
Tantôt réduite au rôle d'un fond sur lequel se détache la voix du récitant, tantôt exprimant par ses seuls moyens le sentiment du héros ou des témoins de sa prodigieuse aventure, cette musique ne cesse d'être touchante, originale et belle.
Sans doute ne faut-il pas lui demander les vertus d'une musique de concert, dont l'architecture s'exprime dans des formes amples et par le moyen des symétries chères aux anciens Grecs. Il s'agit d'un discours musical fait pour s'adapter à un texte littéraire et pour suivre une action rapide.
Evocation radiophonique, le Christophe Colomb d'Arthur Honegger ne prétend pas être un oratorio. Il est ce qu'il est; il remplit exactement le but que se proposait le musicien. Ou l'on se trompe fort, ou la qualité qui a permis l'éclosion de cette oeuvre se nomme la maîtrise.
Les choeurs préparés par M. Porchet ont fort bien rempli leur mission; M. Ansermet a conduit comme on attendait de lui qu'il le fît. [...]"
Edouard Herzog écrivait dans la Gazette de Lausanne du 18 avril en page 4: "[...] L'oeuvre qui nous était présentée mardi était, comme il se doit, faite pour l'écoute. À l'audition directe elle a constamment intéressé, elle a souvent charmé, saisi et ému. C'est une remarquable réussite.
On emploie ce terme qui comprend tous les artifices, tous les procédés techniques indispensables à une oeuvre spécifiquement radiophonique. William Aguet, auteur du texte, connaît admirablement ce «métier» spécial, il l'a déjà prouvé; son rare mérite est d'arriver à associer, avec un goût sûr et une intelligence soutenue, moyens radiophoniques et réalisation artistique. Sa langue, simple et directe, sait éviter la déclamation redoutable au micro, mais garde un lyrisme contenu auquel l'auditeur lointain ne doit pas résister. Le «découpage» en sept tableaux, dans sa simplicité voulue, est sans sécheresse; la vie qui s'en dégage, l'humanité qui frémit sans cesse, coordonneront tout naturellement une succession d'images nécessairement arbitraire. Beau livre d'images sonores où la page qu'on tourne ne déçoit pas, qu'on sent admirablement fait pour plaire au lecteur le plus exigeant du monde, le sans-filiste, parce que d'une diversité infinie. Je crois que le «Christophe Colomb» conçu par William Aguet peut ravir l'enfance aux grands espoirs, faire vivre leur rêve au voyageur et au conquérant qui sommeillent chez beaucoup, éveiller des échos profonds dans le coeur du penseur et du poète. En matière radiophonique, c'est une manière de définition du chef-d'oeuvre.[...]
On se doute de l'importance du commentaire musical. Il est admirable. Il semble vain de rappeler la glorieuse carrière d'Arthur Honegger, l'auteur du «Roi David» -peut-être la plus grande oeuvre musicale de notre temps; on le redit pour admirer la souplesse d'un génie qui a su s'adapter aux possibilités modernes d'expression (films, commentaires radiophoniques) sans compromis, avec une sûreté dans le métier qui ne fait jamais oublier que c'est un grand musicien qui parle. Il y a des pages dans cette partition qui, souhaitons-le, n'auront pas !e sort trop fugitif des oeuvres radiophoniques, «l'appel du vent», les «litanies», le vibrant «Alléluia», le «Choeur des marins»; par ailleurs, tout ce qui est «musique d'atmosphère» contribue puissamment à la vie de l'oeuvre et du héros; à son tour évocatrice et constamment suggestive. Arthur Honegger, avec la tranquille modestie de celui qui a déjà «son oeuvre», prend allègrement son parti du périssable et du fugitif qu'exigent, hélas, film et émission; il peut croire au moins à la durée d'un grand souvenir.[...]
La troupe de Radio-Théâtre, avec en tête Marguerite Cavadasky, reine touchante, Paul Pasquier, Christophe Colomb vibrant et généreux, William Aguet, magicien subtil, a magnifiquement donné. Choeur parlant, aussi net dans les soli que dans les ensembles, personnages et foule divers, admirablement, préparés et d'une conviction telle qu'ils faisaient «vrai», même pour leurs auditeurs directs. Les choeurs de Lutry, stylés par M. Porchet avec le soin qu'on sait, ont couronné leur effort difficile d'un beau succès. Hugues Cuénod nous a tenu une fois de plus sous le charme de sa voix, de l'élégance et de l'intellig
On a parlé d'«événement radiophonique»; si le mot n'est pas joli, il n'est pas exagéré; Radio-Lausanne, en progrès constant, vient de marquer, de façon éclatante, sa volonté artistique. Diffusé au loin, «Christophe Colomb» le dira bien haut. Félicitons-en qui de droit et nous-mêmes. [...]"
Quelques courtes citations extraites d'autres compte-rendus:
Aloys Moser, la «Suisse»: "[...] Il faut le reconnaître: l'oeuvre nouvelle vaut par quantité d'autres épisodes où s'affirment non pas seulement la «patte» extraordinaire d'un des compositeurs les plus puissants de notre temps, mais aussi la fantaisie intarissable et la particulière pénétration qui permettent à celui-ci de trouver sur l'instant la correspondance musicale d'un texte et d'une situation qu'il a l'art d'évoquer avec autant de sûreté que de justesse.[...]"
Paul Piguet, «La Revue»: "[...] Le «Christophe Colomb» de MM. Aguet et Honegger est admirablement agencé et les auteurs ont montré autant d'adresse que de talent. Le livret est parsemé de trouvailles heureuses et le truchement du magicien a permis à l'écrivain d'élever son «reportage» jusqu'à la poésie. Le style est dépouillé, vif, presque sec, mais vigoureux et chaud et parfois d'un lyrisme concentré, tout à fait à la mesure de cette terre d'Espagne. [...]
La partition-film d’Honegger accuse une maîtrise incomparable. Le musicien évoque et suggère avec une virtuosité infaillible, il crée le climat, trouve l'accent convenable à chaque tournant, brosse des tableaux qui sont chacun de petits chefs-d’oeuvre. Le départ des caravelles, la messe, le chant du marin, le Te Deum, le vent... autant de moments pleins de musique. Sans doute cela ne fait pas une oeuvre viable en dehors de son cadre, mais nous sommes au cinéma auditif, et qui sait, à l’enfance d’un nouvel art possible. [...]"
Henri Jaton, dans l'«Écho», trouve en «Christophe Colomb» la conviction que la radio peut jouer un rôle de premier plan dans la vie artistique contemporaine: "[...]On ne saurait trop insister sur l'importance de la manifestation artistique dont le Studio de Lausanne nous a donné la primeur mardi dernier. Cette manifestation revêtait la forme d'une tentative dans l'art de créer une grande oeuvre musicale destinée spécialement à la retransmission radiophonique.[...]"
Émile Jaques-Dalcroze, dans une lettre adressée au directeur du studio de Radio-Lausanne: "[...]Je suis encore sous l'impression de l'émouvant «poème» dont Radio-Lausanne nous a donné la primeur hier soir. Il s'agit évidemment d'un chef-d'oeuvre et l'interprétation a été excellente à tous égards. Le poème de M. William Aguet contient des passageé saisissants; quant à la musique de Honegger elle est d'un bout à l'autre admirable, pour sa poésie, pour ses élans, pour sa clarté, pour ses trouvailles orchestrales et harmoniques.[...]"
De gauche à droite, déchiffrant la partition, Arthur Honegger, William Aguet (debout), Ernest Ansermet et Alexis Porchet, une photo de «Photos Presse-Diffusion» publiée dans la revue «En Famille» du 13 avril 1940, No 15, page 461
Actuellement, seulement un court extrait peut-être écouté en ligne: il fut rediffusé le 24 mai 2018 dans l'excellente série d'émissions «Poussière d'étoiles - Les annales radiophoniques de l'OSR», volet 1947, de Jean-Pierre AMANN, que grâce à la générosité de la Radio Télévision Suisse Romande:
Un CLIQ sur le texte ci-dessus ouvre une fenêtre sur la page correspondante des archives de la RTSR, avec l'audio démarrant - en principe... - automatiquement au début de la présentation de Jean-Pierre AMANN, soit à 1 heure 10 minutes 15 secondes.
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On ne peut qu'espérer que l'enregistrement soit rediffusé une fois en entier, ou publié par les services de la RTSR: je suis persuadé qu'il y a certainement bien des mélomanes qui seraient enchantés de pouvoir acheter ce document, que ce soit comme CD ou en téléchargement! Je ne connais autrement qu'un seul enregistrement commercialisé de cette oeuvre, une version en anglais de l'Opera Sacra of Buffalo dirigé par Charles Peltz parue chez «Mode», que l'on peut par exemple écouter sur youtube, mais hélas en anglais.
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Les autres oeuvres au programme du volet 1947 de l'émission «Poussière d'étoiles - Les annales radiophoniques de l'OSR», diffusé sur Espace 2 le 24 mai 2018:
- 00:26 Wolfgang Amadeus Mozart, Symphonie no 31 en ré majeur, KV 297, dite «Parisienne», Orchestre de la Suisse Romande, Thomas Beecham, 26 mars 1958
- 18:25 Wladimir Vogel, première partie «L'oppression» de «Thyl Claes, fils de Kolldrager», Oratorio épique en 2 parties pour voix de femme, 2 récitants, choeur parlant et orchestre, Eveline Didi, Jean Winiger Marie-Thérèse Letorney, Choeur des Seize, Orchestra della Svizzera Italiana, Luca Pfaff / CPO
- 38:45 Grand Jazz Symphonique de Radio Genève, Wal Berg - Danse du printemps, Symphonie des machines
- 48:32 Richard Strauss, Tod und Verklärung, poème symphonique, Orchestre de la Suisse Romande, Karl Böhm, 1965
Un CLIQ sur l'un des minutages donnés ci-dessus en début de ligne ouvre une fenêtre sur les archives de la RTSR avec l'audio démarrant à cet endroit, au début de la présentation de l'oeuvre choisie.
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