L'école du vote des femmes Repérage

22 mars 2021
Yvonne Berney
Yvonne Berney

Par Yvonne Berney,

Genève, le 22 mars 2021

J'ai personnellement peu entendu parler de politique dans mon enfance, ce que j'ai longtemps attribué à l'absence de figure paternelle.

J'ai suivi mes écoles, enfantine et primaires, dans la magnifique Ecole Geisendorf (située sur la rive droite de Genève, entre les quartiers des Délices et de la Servette), à une époque où l'ancien Domaine (qu'on appelait simplement la Vieille école) était encore debout. Voir photo ci-dessus et celle ci-dessous.

J'ai vécu ma 1ère année primaire dans ce vénérable bâtiment, après une année d'école enfantine dans la nouvelle petite école sise coté rue de la Poterie, puis la 2e primaire dans des pavillons provisoires qui étaient disposés sur l'actuel emplacement du Centre pédagogique.

La nouvelle grande école a été enfin inaugurée en 1956, pour ma 3e et jusqu'à ma 7e année.

Les classes n'étaient alors pas mixtes (dès la 5e, s.e.) et les préaux garçons et filles ont été séparés pour tous les degrés primaires ! Le Cycle d'Orientation n'ayant pas encore été créé, il y avait alors pour l'école obligatoire, 7 degrés en primaire puis 2 en secondaire.

A cette époque, l'enseignement était encore très rigide, avec une discipline sévère et des contraintes déjà d'un autre temps. Pour exemple, alors que la mode devenait enfin "rock et jean", les filles avaient encore l'interdiction de venir à l'école en pantalon.

Quelques exceptions étaient tolérées l'hiver pour celles qui venaient à l'école à vélo ...

J'ai le souvenir aussi, moi qui ai toujours eu des cheveux longs, d'avoir été obligée de les tenir en queue de cheval en classe, pour éviter qu'ils ne "traînent sur le pupitre" quand j'écrivais ou dessinais.

Lorsque dans l'année scolaire 1959-1960 (en 7e) nous avons étudié l'Instruction civique, la plupart des élèves de ma classe semblaient être surprises d'apprendre que les femmes n'avaient pas le droit de vote. Ce n'était donc manifestement pas un sujet de discussion familiale, même dans les familles avec un père présent.

Nous avons alors découvert les différentes instances politiques de la Suisse et leur fonctionnement avec un intérêt, je dois l'avouer, très modéré. Le droit de vote cantonal des femmes à Genève était imminent (le savions-nous seulement ?), mais vu notre âge, cela semblait encore loin ...

Je me souviens par contre très précisément d'une des leçons de notre maîtresse d'école, Mme S., sur les différents partis politiques.

"...il y a trois grands partis à Genève :

Premièrement (dit sur un ton admiratif) : Le Parti libéral, pour les médecins, les avocats et les directeurs,

Deuxièmement (dit sur un ton assuré) : Le Parti radical, pour les fonctionnaires et les enseignants,

Et puis, troisièmement (dit sur un ton très condescendant) : Le Parti socialiste, pour les travailleurs et les ouvriers...

Édifiant, non ?

J'ai à ce moment-là tout de suite su vers quelle tendance je m'orienterai dans l'avenir.

M'y intéressant davantage plus tard, j'ai repensé à cette "leçon", en constatant que le Parti du Travail, lui, n'avait même pas été évoqué.

Lors des cours commerciaux pour les apprentissages des employé(e)s de bureau (secrétariat et comptabilité), j'ai fréquenté durant 2 ans les classes des vieux pavillons installés dans le préau de l'Ecole de Sécheron, car il n'y avait rien de plus près de mon domicile.

A cette époque encore (1962-1964) pas de pantalons à l'école pour les filles, ni d'ailleurs pour le corps enseignant féminin. J'ai le souvenir d'une enseignante qui voulait partir skier après les cours du matin, à qui la direction de l'école a demandé de mettre une jupe par-dessus son pantalon fuseau !

La honte ...

Mai 68 était encore loin !

J'ai eu la chance de faire ma 3e année dans la nouvelle Ecole de Commerce de Saint-Jean, à deux pas de chez moi.

Cette année-là, nous avons eu des cours de droit élémentaire : droit économique et droit familial.

Notre enseignante, une juriste dont je n'ai malheureusement pas retrouvé le nom, nous a initié spécialement sur les droits des femmes en dénonçant les injustices matrimoniales et sociales dont elles étaient victimes.

Ces cours ont intéressé l'ensemble des élèves car, contrairement aux élèves permanentes des écoles de commerce, nous étions toutes déjà confrontées aux réalités de la vie des adultes au travail et ceci depuis l'âge de 15 ans.

Cela a été le début d'une prise de conscience sur l'importance de l'enjeu politique du vote pour les citoyens et citoyennes. Dès que cela a été possible, je n'ai jamais omis d'aller voter.

Encore actuellement, avec mon mari Claude, grand amour de ma vie depuis 1967 et bien sûr politico-compatible, devenus avec bonheur parents puis grands-parents, nous votons encore assidûment.

Lorsque, en 1967, j'ai eu 20 ans (la majorité d'alors), j'ai pu enfin voter sur le plan cantonal et me suis retrouvée convoquée illico presto comme jurée électorale. Nous étions une majorité de jeunes femmes. Les votations avaient lieu le samedi et le dimanche matin. Pour mon quartier, elles se tenaient dans l'aula de l'actuel Collège Voltaire, qui était alors l'Ecole supérieure des Jeunes Filles !

J'ai aussi été convoquée de nombreuses fois dans les années qui suivirent, en constatant chaque fois une majorité de jeunes femmes.

Les votations et élections cantonales ou communales étaient séparées des fédérales. Il n'y avait pas encore de bulletins groupés.

Tout se passait alors de façon manuelle, à une époque où le vote par correspondance n'existait pas encore.

Les électeurs/électrices entraient dans l'aula et se présentaient à une des tables disposées en ligne et séparées en trois groupes par ordre alphabétique des noms.

Ces personnes donnaient ensuite leur nom, prénom, adresse et date de naissance. Pas de carte d'électeur, ni de présentation de carte d'identité, pas de signature demandée, tout était basé sur la confiance ...

Deux juré(e)s par table : l'un(e) traçant au fur et à mesure les noms des personnes sur de très grandes feuilles imprimées, avec un gros crayon bleu et à l'aide d'une règle géante, l'autre délivrant une estampille imprimée qu'il fallait découper manuellement selon un pointillé.

Les personnes allaient ensuite dans un des isoloirs pour choisir leur bulletin de vote, sur lequel il fallait coller l'estampille (à lécher ou humecter à l'aide d'une petite éponge humide mise à disposition) pour valider ce vote.

Elles se dirigeaient ensuite vers l'urne pour y déposer leur feuille pliée et repartaient, en n'oubliant pas un "au revoir Messieurs-Dames".

1971 !

Enfin, après tant d'années, le vote fédéral est accordé aux femmes qui deviennent citoyennes à part entière !

J'ai bien sûr encore été convoquée au plus tôt comme juge électorale, comme bien d'autres personnes du sexe féminin.

Comme quoi, le vote des femmes a été long à se concrétiser... mais le devoir électoral (travailler le dimanche matin lors des votations), lui, n'a pas traîné ! ! !

Photo d'Yvonne Berney (née Gugger), dans le pré à l'arrière du Domaine Geisendorf en 1963. La photo fut prise par le frère d'Yvonne, Paul Gugger.

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  • Pierrette Frochaux-Chevrot

    Des souvenirs qui pourraient être ... les miens ! Ma première convocation comme scrutatrice, l'année de mes 20 ans, c'était pour le scrutin sur l'initiative Schwarzenbach, un bien vilain souvenir. Merci pour cette belle chronique, nous allions jouer au parc Geisendorf avec les petits enfants que ma maman gardait. J'allais à l'école aux Franchises (6ème) puis aux Crêts (7ème). notrehistoire.ch/entries/zaY2V...

David
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23 mars 2021
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