Magali HELLO - Racontée par Marylène Kraft

1999
Marylène Kraft
Emily Bischofberger

Marie-Madeleine Kraft, connue sous le nom Marylène Kraft, et fille unique d'Ernest Kraft, le meilleur ami de mon grand-père Hermann, a remis ce récit dactylographié original avec quelques annotations au stylo à mon père en juillet 2000.

Mon père et Marie-Madeleine s'étaient tous 2 retrouvés dans les années 1990 dans un salon du livre, et sont devenus proches jusqu'au décès de Madame Kraft en 2011, partageant ensemble de nombreux souvenirs de leurs parents amis et de leur enfance à la Chaux-de-Fonds.

Voir sa biographie sur Wikipedia:

fr.wikipedia.org/wiki/Maryl%C3...

Et plus complet, l'hommage de Jean-Louis Moret, « Nécrologie. Marie-Madeleine Kraft 1915 - 2011) », Bulletin de la Société Vaudoise des Sciences Naturelles,‎ 2012, p. 79 à 83

e-periodica.ch/cntmng;jsession...

Elle-même devenue écrivaine, et chargée de cours de mycologie à l'Université de Lausanne, professeure de sciences naturelles à l'Ecole Normale, femme littéraire érudite et brillante scientifique, rend ce bel hommage à son institutrice de français et d'histoire au progymnase de la Chaux-de-Fonds.

C'est cette femme remarquable qui l'a inspirée et lui a vraissemblablement transmis la vocation d'étudier, et de devenir à la fois écrivaine et femme de sciences émérite.

Elle est tout à droite au premier plan sur la photo représentant le corps enseignant secondaire de la Chaux-de-Fonds en 1925 (sur une plaquette éditée en 1975 pour le 75ème anniversaire du Gymnase).

Magali HELLO - Un Auteur Oublié

1999. Il y a 46 ans que Magali Hello nous quittait.

Quelles années d'école privilégiées nous avons vécu vers 1930 avec Magali Hello, on disait alors la 'Pfe'.

A cette époque Berthe Pfenninger était maîtresse de classe au Progymnase de la Chaux-de-Fonds, où elle enseignait le français, la géographie et l'histoire.

Elle savait si bien rendre vivants les récits de la Grèce antique, se souvient une de mes compagnes. En 3ème et 4ème du Gymnase, des classes de tout-venant, ni hellénistes, ni forcément latinistes, elle s'adressait simplement à de grands gosses, on dirait aujourd'hui des ados, de 13 à 15 ans, qui n'avaient par encore opté pour le bac, l'Ecole Normale ou celle de Commerce.

Presque cinquante ans après, je rappelais son souvenir dans mes livres. Je me souvenais avec joie de cette 3ème si disparate où "une ancienne maîtresse de français m'avait donné le goût de l'observation, la manière de saisir un entourage, de sentir un paysage.

Elle nous proposait chaque semaine de décrire en cinq lignes, librement, à notre choix, quelque chose ou quelqu'un, un paysage, un cheval ou un écureuil, une marchande ou un clochard. Je n'ai jamais raté une de ces observations. J'aimais ça, et aussi les commentaires qu'elle en faisait. Son exigence nous poussait en avant. Un "bien" ou un "très bien" de sa plume alerte nous ravissait, ainsi que ses remarques, jamais négatives, à l'encre rouge vif, dans la marge.

Elle lisait les meilleurs textes en classe. Les élèves qui jouaient le jeu, j'en étais avec bonheur, se voyaient déjà promis à un avenir enchanteur dans les lettres.

Sa générosoté, elle ne refusait jamais son temps, sa sérénité, la confiance qu'elle mettait en nous déteignait sur notre jeunesse encore informe et perméable.

Pour moi, qui sortait à 13 ans de la grisaille d'une classe primaire, ces "essais de versification" suggérés par une femme-écrivain souriante, étaient libérateurs.

"Pouvoir s'exprimer, voilà ce qu'offre maintenant l'école, quel soulagement, une sorte de délivrance!"

J'ai retrouvé sur une demi feuille jaunie de papier quadrillé une ébauche de vers, et ses paroles encourageantes:

"un grand silence- plus aucun voile -un ciel immense - tout plein d'étoiles. Voilà la nuit!"

En rouge au bas de la page:"Bonnes rimes. Avec des vers plus longs, cherchez un rythme."

Magali HELLO, une femme assez forte, des yeux noisette, des cheveux châtain bien lissés, un grand sourire, une voix harmonieuse. C'est un prof qui nous a marqués.

Issue d'une famille catholique originaire de Lucerne, la branche romande contemporaine des Pfenninger se convertit partiellement au protestantisme.

Magali HELLO, née au Locle le 28 octobre 1892 y passa son enfance, fit ses études à la Chaux-de-Fonds, puis à l'Université de Neuchâtel, qu'elle compléta à Genève et à Paris.

Bien que de formation littéraire, elle s'intéressa également aux mathématiques, et à la peinture à l'Ecole d'Art de la Chaux-de-Fonds.

Elle voyagea en Autriche, en Italie, en Allemagne et dans les pays nordiques de Selma Lagerlöf.

Elle entra comme enseignante titulaire dès 1918 au Gymnase de la Chaux-de-Fonds. Elle y resta de longues années et déploya dans la cité une activité intense, de 1917 à 1950, militante dans les rangs féministes et le mouvement coopératif, sans rien avoir d'une suffragette. Elle fut fondatrice et animatrice du Lyceum, et d'une troupe théâtrale de jeunes, mais tout cela sans jamais négliger ses élèves, pour qui elle avait toujours le mot qui aide à vivre.

De tendance mystique elle trouvait la présence de Dieu dans la nature. Georges Duhamel disait dans la préface d'un de ses livres:"Vous appartenez à cette génération d'éducateurs qui n'entend pas livrer au destin, sans résistance, une société malade et malheureuse. Vous êtes de ceux qui, de toutes leurs forces, s'appliquent à restaurer, dans une époque de désordre et de laideur, le culte de la vie intérieure, de la poésie vivante, le sens des valeurs éternelles et de la civilisation véritable... La Suisse peut vous en être reconnaissante."

Berthe Pfenninger faisait preuve, dans son enseignement, à la fois d'élévation et de rigueur, ne craignant pas les examens de conscience, exigeante pour elle-même et aussi pour sa patrie.

"A nous Suisses, aux confessions multiples, aux langues diverses, au sang mélangé, qui ne pouvons vivre et subsister en unité nationale que par la foi et l'estime réciproque, dans la pleine liberté de pensée", note-t-elle quelque part.

Et dans "Terre des miracles", elle parle de celui à qui, ayant accepté de ne pas comprendre "sera réservé un jour de percevoir le accords mystérieux des réalités surnaturelles qui régissent nos destinées."

Nous la rencontrions le plus souvent vêtue d'un tailleur foncé strict sur un chemisier soyeux aux teintes claires, col ouvert, et des chaussures à talon bottier. Elle circulait dans ls couloirs gris, chargée d'une lourde serviette bourrée de livres et de copies. Mais l'école n'était pas son seul enthousiasme.

L'esprit allègre, elle encourageait le théâtre local. Elle avait même écrit des pièces, dont un certain "Nicolas de Flue" était parvenu sur une scène parisienne!

Un de ses collègues du moment, Jean-Paul Zimmermann, bien qu'entré au Gymnase une année après elle, se taillait la part du lion. Professeur éblouissant, il s'octroyait les grandes classes, celle proches du bac, avec des élèves déjà motivés qu'il galvanisait, et parfois terrorisait de ses exigences. Il ne devait guère se préoccuper de cette collègue féminine discrète, qui ne revendiquait rien.

Elle n'était pourtant ni timorée ni effacée, mais dynamique et souriante, et elle nous ouvrait des horizons merveilleux. Avec elle, les jeunes en sursis que nous étions prenaient goût au français, à la littérature, à la poésie, au théâtre. Même la grammaire se teintait d'humour, et l'orthographe d'un certain charme, grâce au choix des textes.

Dans "L'écolière qui fut" elle écrivait:

"Apprendre à écrire, ergoter sur le style, la forme, en la séparant du fond, comme si la forme n'était pas tout entière dans le fond, sous le fond, consubstancielle de l'être même, faire des études qui désagrègent parce qu'elles impliquent la supposition que l'analyse intellectuelle peut capter la beauté, l'enseigner alors qu'elle est essentiellement affaire de transmission par la présence."

Magali HELLO habita longtemps avec sa famille, ses parents, sa soeur et son frère plus jeune, une vieille maison qui ne payait pas de mine, au 147 de l'Avenue Léopold Robert. Mais l'intérieur était soigné, riche de beaux meubles anciens.

Après une carrière bien remplie, elle mourut, dans sa 62ème année, le 11 février 1954.

Dans l'"Hommage à Magali HELLO" de l'Impartial des 25 et 27 septembre 1954, on signale que la Société des Ecrivains neuchâtelois et jurassiens lui a rendu un solennel hommage, sous les auspices du Lyceum de la Chaux-de-Fonds.

Madame Dorette Berthoud, Présidente de la société, présente l'oeuvre de Magali HELLO, découvrant ses lignes de force, et montrant son influence sur la jeunesse, une jeunesse qu'elle forma pendant 33 ans, au service de la vie, de la foi et du pays, valeurs auxquelles elle était profondément attachée.

Ecrivain sensible, ayant le sens de la beauté, dotée d'une ardente sympathie humaine et d'une solide foi chrétienne, elle ressuscitait dans son enseignement comme dans ses livres, des valeurs essentielles souvent oubliées.

Elle a laissé de trops rares ouvrages:

- Ave Maria, Courvoisier, La Chaux-de-Fonds, 1921.

- B.B. à la mémoire du professeur Edouard Stébler, Attinger, Neuchâtel, 1925.

- L'écolière qui fut, Attinger, Neuchâtel, 1926.

- Terre de miracles, Attinger, Neuchâtel, 1929.

- La Vallée des Eplatures, Courvoisier, La Chaux-de-Fonds, 1953.

Dans ce dernier ouvrage, elle évoque la terre jurassienne.

Nouvelle preuve que nul n'est prophète dans son pays, il faut avoir recours à un volume de Mario Ferraris, édité à Torino en 1938, pour entendre parler de manière détaillée des oeuvres de Magali HELLO, dans "Il romano contemporaneo della Svizzera francese".

Magali HELLO écrivit de nombreux poèmes, où éclate son âme sensible et croyante, ainsi son dernier: "Les porteuses de roses" où transparaît une lumineuse clarté.

Des articles sur des sujets très divers montrent l'éventail de ces préoccupations.

Des pages pédagogiques ont paru dans le volume du Jubilé des Ecoles secondaires de la Chaux-de-Fonds, 1855-1900-1925, "La création artistique et l'enseignement", où elle analyse avec finesse et bienveillance des compositions d'élèves de 13-14 ans, et conclut:

"L'expression totale de l'être se projettera dans le récit ou la description, indépendamment du sujet choisi, lequel n'est jamais qu'une occasion de permettre à la sensibilité et à la pensée de s'exprimer. Alors seulement l'éducateur rencontre l'être vivant au lieu des mots conventionnels et peut intervenir utilement.... Deviens ce que tu es est l'unique loi à laquelle doit se conformer tout créateur artistique."

Mais la principale activité littéraire de Magali HELLO fut le théâtre. Avec sa soeur Véréna elle a fondé le groupe théâtral des Compagnons de St Nicolas qui donna plusieurs jeux historiques et dramatiques, comme les Compagnons de St Nicolas, 1939.

- La naissance de Lohengrin, vieux conte représenté en 1935.

- Guillaume Tell, - Pestalozzi, - Nicolas de Flue, La Baconnière 1943.

- Le roi de coeur, trilogie dramatique, dactylographié, 1933.

- St Nicolas au Tribunal ou la faute du professeur, dactylographié, sans date.

Cette bibliogaphie sommaire a pu être reconstituée grâce à la documentation aimablement fournie par Mme F. Frey, de la Bibliothèque de la Ville.

Qu'elle en soit ici remerciée.

Magali HELLO, comme d'ailleurs Jean-Paul Zimmermann, demeura fidèle à sa ville et à son enseignement, enracinée dans cette terre jurassienne qu'elle aime et sait si bien chanter.

Tandis que, éloignée de ce coin de pays natal j'écris ces lignes, comme nous en reparlons avec d'anciens camarades d'études, le visage de Magali HELLO resurgit du temps lointain, et redevient présence, écoute.

Impossible d'établir un bilan de ce que nous avons reçu d'elle, de sa foi confiante en Dieu et en la vie. Sans le savoir, elle a su provoquer en nous un déclic.

Elle a semé des graines d'espérance, se réjouissant de les voir germer, des graines d'où jaillit pour nous aujourd'hui encore un foisonnement de vie authentique.

Marylène Kraft.

1992-1999

Liens:

Hommage dans l'Impartial du 27.09.1954: e-newspaperarchives.ch/?a=d&am...

Hommage dans l'Express du 11.02.1954: e-newspaperarchives.ch/?a=d&am...

Le Confédéré du 7.12.1925, article présentant son livre B.B , un hommage à son éminent professeur de sciences au gymnase de la Chaux-de-Fonds, Edouard Stebler: e-newspaperarchives.ch/?a=d&am...

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