Aujourd'hui, à ma grande surprise, c'était la fête patronale de St-Luc. Elle avait lieu auparavant le 18 octobre, mais les habitants de St-Luc, dont le zèle religieux est remarquable, ont remarqué que la fête de leur saint tombait en pleine vendange, ce qui les dérangeait. Ils ont donc obtenu du pape la faveur de la déplacer en ce jour d' avril.

St-Luc tombe juste après la Porlioncule, que les bons St-Luquois ont célébrée avec autant d'enthousiasme, de piété et de ferveur qu'ils en mettent à célébrer leur saint patron.

Il y avait bien sept curés et religieux des paroisses voisines pour confesser tous les fidèles, mais je n'ai pas osé les aborder tant ils étaient occupés au tribunal de la pénitence, où tous les habitants de St-Luc vont régulièrement avec une piété et une conviction touchante.

Le carillon des cloches de St-Luc, qui jouit d'une réputation universelle, m'a invité à assister au défilé de la procession, que je ne manquerai pas. Carillonnez toujours, joyeuses et aimables cloches de St-Luc, et puissiez-vous apporter aux habitants de la plaine un peu de cet esprit de paix et de bienveillance que l'on respire sur vos hauteurs sereines.

La procession du saint patron du village n'a rien offert de curieux, mais elle a été suivie d'un sermon, dans lequel le prédicateur s'est efforcé de prouver que l'Église catholique est dépositaire de la vraie foi. Tel est le thème développé avec abondance d'images en présence d'un auditoire qui débordait de l'église, devant laquelle des mères de famille gardaient leurs plus jeunes enfants. C'est un véritable tableau de genre que celui de ces pittoresques et uniformes costumes de montagnardes mêlés aux toilettes variées des jeunes étrangères qui se tenaient sous le portique, écoutant le prédicateur avec une curiosité mêlée de surprise.

Entre-temps, je m'occupais à constater une fois de plus que la race de cette vallée diffère beaucoup de celles des autres parties du canton. Les habitants sont reconnaissables à leur teint bronzé, à leurs cheveux noirs et à leur figure intelligente, surtout chez les tout jeunes enfants, car les femmes, auxquelles on impose les durs travaux des champs, vieillissent vite et perdent toute beauté. Les hommes se maintiennent davantage.

Les habitants du Val d'Anniviers prétendent descendre des Huns et des bandes de Sarrasins, qui il y a quelques siècles, tentèrent de traverser l'Europe civilisée et furent bloqués dans ces vallées inaccessibles où ils fondèrent des familles. Mais un savant allemand qui vient de séjourner à Vissoie a eu l'idée de comparer le dialecte des habitants de la vallée avec celui du Val d'Aoste et a trouvé de grandes similitudes ; d'où il conclut que ce sont quelques familles qui ont émigré d'Italie et qui sont venues par les cols tout proches habiter ce pays isolé.