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Arthur HONEGGER, Symphonie no 3, Liturgique, OSR, Ernest ANSERMET, 1955

Arthur HONEGGER, Symphonie no 3, Liturgique, OSR, Ernest ANSERMET, 1955

14 décembre 1955
RSR resp. RTSR
René Gagnaux

Illustrant ce fichier audio: Arthur Honegger dans ses dernières années, les traits très marqués par sa maladie du coeur, une photo du Club français du Disque, photographe ??, date ??

Arthur Honegger composa cette symphonie en 1945-1946, sur une commande de la Communauté de travail «Pro Helvetia». Ce fut l'occasion de réaliser une idée qui le hantait depuis longtemps. Dans son livre «Honegger», paru en 1953 aux Éditions Pierre Horay, Marcel DELANNOY écrivit en pages 198-201:

"[...] Voici comment il m'a «raconté» le final de la Symphonie Liturgique [...].

Cela commence par le thème de la «c......e humaine», sorte de marche qui piétine autour des mêmes notes, bégayante, répétant toujours la même chose: guerre, douane, militarisme, nationalisme, paperasserie, transformation progressive de l'homme en esclave d'une Administration aveugle et sourde.

Un second thème esquisse la réaction de défense de l'Homme, mais la c......e submerge tout, jusqu'à ce qu'éclate le cri universel, sorte de «Au secours! au secours!» qui se traduit en latin par... «Dona nobis pacem! dona nobis pacem!» ( sic ). Et puis, le calme revient. On s'évade par le haut: aspiration à la Pureté. Espoir de paix... Sérénité. Tiens! Il y a même encore des oiseaux pour chanter dans les arbres.

... Impression très nette qu'avec un peu de bonne volonté tout cela pourrait si bien s'arranger! ...

Ce chant d 'oiseau frère du Rossignol de Jeanne au Bûcher et qui constitue la coda de la troisième symphonie, nous en trouvons déjà le dessin à la fin du premier mouvement «Dies irae», mais ici sous la forme d'une large plainte que la flûte, le cor anglais, le trombone, le tuba exhalent ensemble à leurs étages respectifs. À la fin du second morceau «De profundis clamavi», c'est encore lui que gazouille par petits fragments la flûte planante, oiseau d 'espoir.

Notons que les versets liturgiques servant d'exergue aux trois mouvements de la Troisième Symphonie ne sont pas des données thématiques empruntées au chant grégorien, mais les thèses littérales que l'auteur paraphrase librement: Dies irae, De profundis clamavi, Dona nobis pacem.

Chaque thème est clairement issu du syllabisme latin. Il n'est en aucune manière thème principal, initial. Il vient, il éclate.

Dès les premières mesures, l'auditeur est empoigné par cet orchestre fulgurant, plein de heurts, de tremblements paniques, de rythmes irrésistibles qui se font de plus en plus martelés, lourds, écrasants. Et puis le lyrisme apparaît avec les cordes qui, de toute leur mélodique expansion, chantent au-dessus de la catastrophe.

Dans le De profundis, Honegger trouve un prétexte idéal à ces lentes et irrésistibles progressions dont il a la clef. Le terrible cri monte, retombe et reprend de plus belle, jusqu'à devenir la prière stable du psaume cher à Bach «je prie vers toi», et alors, haut, très haut dans la nue, répond l'oiseau angélique, véritable thème générateur de l'ouvrage, qui finira par avoir raison de la «c......e humaine» au troisième volet du triptyque.

La Symphonie Liturgique, moment pathétique de cette musique contemporaine qui est plus riche en invention qu'en grandeur, est en somme sur le plan des idées, l'aboutissement logique des «Cris du Monde». [...]"

Arthur HONEGGER avec Marcel DELANNOY, une photo de Pages, date ??, lieu ??

Au cours d'entretiens bien connus avec Bernard Gavoty, Arthur Honegger s'est exprimé de manière encore plus détaillée quand aux motivations de l'oeuvre. Harry Halbreich cite toutefois encore un autre commentaire, inédit, daté de 1954, retrouvé dans ses papiers:

"[...] «Cette 3e Symphonie est comme la plupart de mes oeuvres symphoniques en forme de triptyque. Elle est en directe réaction contre la mode de la musique dite «objective». Chacune des trois parties veut tenter d'exprimer une idée, une pensée que je ne veux pas qualifier de philosophique - ce serait prétentieux - mais le sentiment personnel de l'auteur. J'ai donc fait appel aux sous-titres liturgiques et intitulé la symphonie «liturgique», espérant ainsi me faire mieux comprendre.

«I. Dies irae: cela ne pose aucun problème, car nous avons tous vécu ces jours de guerre, de révolution, dont ceux qui président à leurs destinées ont gratifié leurs peuples.

«II. De profundis clamavi ad te: tout ce qui reste encore de pur, de clair, de confiant dans l'homme se tend vers cette force que nous sentons au-dessus de nous. Dieu, peut-être, ou ce que chacun porte avec ferveur au plus secret de son âme.

«III. Dona nobis pacem: la montée inéluctable de la stupidité du monde: le nationalisme, le militarisme, la paperasserie, les administrations, les douanes, les impôts, les guerres, tout ce que l'homme a inventé pour persécuter l'homme, l'avilir et le transformer en robot. L'effroyable bêtise qui aboutit à forcer ce cri du désespoir: «Dona nobis pacem.» Et cela se termine par une brève méditation sur ce que la vie pourrait être: le calme, l'amour, la joie... un chant d'oiseau, la nature, la paix.

«Je pensais depuis longtemps à cette symphonie. Lentement les mélodies de l'Adagio naissaient en moi et se soudaient les unes aux autres. J'avais déjà le noyau central, ce De profundis clamavi ad te Domine (Honegger cite ici l'exemple 47) qui devait sourdre du fond de l'abîme jusqu'aux cris aigus du désespoir, puis retomber, se calmer, s'éteindre.

«La tornade du premier morceau m'est soudain apparue toute claire, toute bâtie, dans le court trajet de train qui me menait de Bâle à Berne. J'en ai noté le squelette tout entier le soir avant de me coucher.

«Aussi rapidement, mais j'ai oublié quand, j'ai vu se dresser devant moi le Final. Naturellement l'idée de base de cette montée vers le cri de désespoir était déjà bien fixée dans mon esprit. La coda lente aussi, mais j'y ai travaillé longtemps, sauf pour la phrase en fa dièse du violon et du violoncelle solo, que j'ai notée, en pardessus, tout prêt à sortir pour déjeuner, debout, un genou appuyé sur ma chaise.

«C'est la symphonie de moi que je préfère, avec la 4e pour de tout autres raisons. Je crois que c'est à ce moment où j'ai été le plus complètement en possession de mes moyens.» [...]" Harry HALBREICH, cité des pages 391-392 de son ouvrage «Arthur HON­EG­GER - un musicien dans la cité des hommes», Fayard 1992, EAN: 978­221­302­8378

Arthur Honegger à la fenêtre de son appartement Boulevard de Vichy, Photo Lido

Donnée en première audition par Charles Münch, son dédicataire et son ami de toujours, à Zürich le 17 août 1946 avec l'Orchestre de la Tonhalle, la Symphonie liturgique fut dirigée par Arthur Honegger en première audition à Paris le 14 novembre suivant.

Peu après, le 4 décembre, elle fut donnée en première audition en Suisse Romande par Ernest ANSERMET et son Orchestre de la Suisse Romande. Le concert fut retransmis en direct sur l'émetteur de Sottens. Le 7 décembre, Henri JATON écrivait dans sa rubrique «La Musique - Compositeurs, ensembles et virtuoses suisses» de la Nouvelle Revue de Lausanne en page 9:

"[...] lors de la première exécution de cette oeuvre - la Symphonie liturgique - à Zürich le 17 août dernier, sous la direction du dédicataire Charles Münch, l'auteur recevait dans l'allégresse générale, le prix de composition de la Ville de Zürich. Comme le faisait remarquer si justement Ernest Ansermet, dans une pertinente introduction figurant au programme analytique, les commandes musicales officielles étant chez nous d'une extrême rareté, l'initiative heureuse de Pro Helvétia valait d'être remarquée et appréciée comme il se doit. On peut lui être reconnaissant, en tous cas, d'avoir suscité une oeuvre qui s'inscrit d'emblée parmi les plus significatives d'Arthur Honegger.

Dans le répertoire abondant de ce dernier, le compartiment orchestral prend une place à part. On pourrait dire même que ce n'est pas de celui-ci que le compositeur tient le plus clair de sa renommée. Dans l'oreille du grand public, les mérites du musicien zurichois sont attachés au souvenir du Roi David, de Judith, de Nicolas de Flue, de la Danse des Morts, de Jeanne-d'Arc au bûcher et d'autres partitions scéniques dont plusieurs ont vu le jour sous l'égide de certaines de nos institutions artistiques helvétiques telles que le Théâtre du Jorat ou le groupement «Cecilienverein» de Soleure, pour n'en citer que deux parmi les plus importantes. En accordant ainsi au répertoire scénique d'Arthur Honegger une importance remarquée, ce grand public consacre ainsi la prédilection de l'auteur pour les vastes fresques, religieuses ou historiques, où sa puissante imagination et la richesse de son déploiement sonore trouve d'abondants et lumineux prétextes à son affirmation.

Sur le plan orchestral pur, les atouts, que le compositeur tient en sa main lors qu'il s'adresse au plan scénique, disparaissent, cédant la place au seul commentaire musical sur lequel vont être jugés ses mérites. Hâtons nous d'ajouter que dans ce nouvel aspect de sa production, Arthur Honegger ne nous apparaît nullement diminué. Les mêmes qualités qui s'étaient affirmées à la scène se retrouvent, mais cette fois surgissant en un cadre plus rigoureusement établi, et peut-être, avec une densité d'expression plus grande. Certes, et quel que soit le mobile qui l'inspire, la palette orchestrale d'Arthur Honegger se retrouve toujours authentique, personnelle, innimitable en quelque sorte, avec cette habileté souveraine qui sait obtenir le maximum d'effets avec les moyens les plus simples.

Le titre de l'oeuvre entendue lundi - Symphonie liturgique - établit à priori un programme; comme aussi nous renseigne l'appellation des divers mouvements: Dies irae - De Profundis clamavie - Dona nobis pacem. Mais on ne saurait se méprendre sur la signification de cet emprunt au texte du Requiem liturgique grégorien. Beaucoup moins qu'une suggestion mématique, c'est une «impression» qu'Arthur Honegger sollicite de ses modèles, alors que d'autres de ses confrères - Liszt, Saint-Saens, Rachmaninoff - abordaient le même sujet (le Dies irae, en particulier) du seul point de vue musical. Et là encore certains seront surpris, habitués qu'ils sont aux accents traditionnellement pathétiques ou désespérés qui accompagnent les supplications du pécheur, «au fond de sa détresse». L'allusion liturgique est, chez Arthur Honegger, un simple prétexte d'inspiration, l'auteur se chargeant de nous exprimer à sa manière, le commentaire musical qu'elle lui propose.

Il fallait bien s'entendre avant toute chose sur le véritable caractère de la Symphonie liturgique dont le titre seul pouvait provoquer un malentendu et faire croire à une destination erronée. Pour ce qui est de la matière musicale elle-même, Arthur Honegger la traite avec la même maîtrise que d'autres partitions antérieures nous avaient fait admirer. L'habileté du musicien zurichois se perçoit aussi bien au travers des instants d'inspiration libre, que dans les pages où Honegger se réfère - et de quelle manière, et avec quel art - aux formules habituelles, mais par ses soins renouvelées, de la syntaxe musicale.

Admirablement suivis par ses instrumentistes, Ernest Ansermet nous présenta la Symphonie liturgique avec un soin particulier et cette conviction magnifique qui doit demeurer la vertu essentielle de l'interprète, avant que de s'emparer de l'auditoire lui-même. [...]"

Arthur HONEGGER lors d'un de ses derniers passages à Genève, dirigeant l'Orchestre de la Suisse Romande (photo publiée dans la revue Radio TV Je vois tout du 08 décembre 1955, No 49, en page 2283)

L'enregistrement proposé en écoute sur cette page fut fait lors d'un concert donné le 14 décembre 1955. En présentation du programme radio de la soirée du mercredi symphonique, William Rime écrivait:

"[...] La «SYMPHONIE LITURGIQUE» d'Arthur Honegger par Ernest Ansermet

Le maître Carl Schuricht, dont la récente maladie réclame encore des soins attentifs et une calme convalescence, sera remplacé ce soir par le chef en titre de notre grand ensemble, le maitre Ernest Ansermet. Le programme primitivement annoncé était entièrement consacré à J.-S. Bach, mais, il y a quinze jours à peine, Ernest Ansermet, gagnant Paris, accompagnait à sa dernière demeure un ami cher, Arthur Honegger, dont la mort a laissé le monde musical dans une profonde affliction.

Désireux de rendre au grand compositeur un hommage public, Ernest Ansermet inscrivit aussitôt à son programme l'une des oeuvres fortes du maitre, sa «Symphonie liturgique». Portant le numéro trois dans l'ordre des symphonies, cet ouvrage, écrit au cours des années 1945-1946, n'échappe pas à l'état d'esprit du moment. Sa création eut lieu le 17 août 1946 à Zurich, sous la direction de Charles Münch, qui devait la reprendre trois mois plus tard à Paris.

L'ouvrage débute par l'illustration de la lassitude humaine qui tente en vain d'échapper à l'esclavage vers lequel l'homme est entrainé, puis c'est un appel «au secours» qui éclate comme un cri, un «Dona nobis pacem!». C'est enfin le retour au calme, à un espoir de paix. Bousculant les règles habituelles de l'écriture thématique, Honegger se laisse aller à traduire librement ses sentiments. Dès les premières mesures, l'auditeur est empoigné par un orchestre fulgurant, plein de heurts, de rythmes lourds, écrasants, avant d'être gagné par le lyrisme poignant du «De profondis». Nous écouterons ce soir la «Symphonie liturgique» d'Arthur Honegger comme un ultime message du grand compositeur regretté de tous. [...]"

Le concert fut à l'époque retransmis en direct sur Sottens. L'enregistrement fait à cette occasion fut récemment rediffusé dans le volet «1955» de l'excellente série d'émissions «Poussière d'étoiles - Les annales radiophoniques de l'OSR», de Jean-Pierre AMANN.

C'est grâce à la générosité de la...

... que nous pouvons écouter - en ligne - cet enregistrement:

(38:44) Arthur Honegger, Symphonie no 3, Liturgique, Orchestre de la Suisse Romande, Ernest Ansermet, 14 décembre 1955

  • (39:36) 1. Dies irae
  • (46:14) 2. De profundis clamavi
  • (56:44) 3. Dona nobis pacem

CLIQUER sur la photo ci-dessus pour écouter ce document: ouvre une nouvelle fenêtre avec la page en question des archives de la RTSR. Le PREMIER CLIQ sur le pictogramme PLAY (flèche) à l'extrême-gauche fait démarrer l'audio au début de la présentation de Jean-Pierre AMANN, soit à 38 minutes 44 secondes - à moins que l'audio démarre automatiquement à cet endroit, ce comportement dépendant du logiciel utilisé pour visionner ces pages**. Le pictogramme PLAY fonctionne ensuite comme d'habitude pour arrêter / continuer l'écoute. Si vous voulez (ré)écouter l'un des mouvements, positionner le curseur-temps sur le minutage en question** - donnés ci-dessus entre () en début de ligne.

Sommaire du volet «1955» de l'excellente série d'émissions «Poussière d'étoiles - Les annales radiophoniques de l'OSR», de Jean-Pierre AMANN

( 00:28 ) Julián Aguirre, 2 Danses argentines pour piano, transcription pour orchestre d'Ernest Ansermet, Orchestre de la Suisse Romande, Ernest Ansermet, 11 mai 1955

( 05:45 ) Wolfgang Amadeus Mozart, Concerto pour piano et orchestre no 22 en mi bémol majeur, KV 482, Nikita Magaloff, Orchestre de la Suisse Romande, Carlo Maria Giulini, 30 novembre 1955

( 38:44 ) Arthur Honegger, Symphonie no 3, Liturgique, Orchestre de la Suisse Romande, Ernest Ansermet, 14 décembre 1955

( 1:07:01 ) Henri Tomasi, Allegro et cadenza du Concerto pour trompette et orchestre , Maurice André, Orchestre de la Suisse Romande, Samuel Baud-Bovy, 1955, CIEM -> MUSICA HELVETICA, 73.2 MH CD (Set).

À la fin de ce volet «1955» quelques secondes de la répétition de la Symphonie pour soli, choeur et orchestre no 9 en ré mineur de Ludwig van Beethoven, Orchestre de la Suisse Romande, Carl Schuricht, 5 mars 1955

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René Gagnaux
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10 mars 2019
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