De l'OSR à l'OR... et retour - en passant par l'ORSR... 1935-1938

De l'OSR à l'OR... et retour - en passant par l'ORSR... 1935-1938

1935
Photo: de Jongh; texte: R.Gagnaux resp. sources citées dans le texte
Photo: de Jongh; texte: R.Gagnaux resp. sources citées dans le texte

Photo ci-dessus: l'ORSR, une prise de vue de l'atelier De Jongh publiée entre autres dans la revue Le Radio du 12 avril 1935, No 627, page 684

La guéguerre entre l'Orchestre de la Suisse Romande(OSR) - resp. l'Orchestre Romand(OR) - et l'Orchestre Radio Suisse Romande(ORSR)

Il s'agissait en fait d'une sorte deStellvertreterkrieg- d'un combat par délégation, au sens figuré - entre les studios de “Radio-Genève” et de “Radio-Lausanne” qui fit couler énormément d'encre dans journaux et périodiques des années 1935 à 1938, avec des échos jusque dans la presse étrangère!!

Il serait très fastidieux de résumer tout ce qui s'est passé - tout le linge sale qui fut lavé - pendant cette guerre de clochers, qui a quand-même failli faire disparaître l'OSR, ou du moins l'espérance d'avoir un grand orchestre symphonique permanent en Suisse Romande, pouvant faire pendant à, par exemple, l'Orchestre de la Tonhalle de Zürich. Mais il est quand-même judicieux de conserver quelques détails en mémoire.

Le transfert de l'orchestre du studio de Radio-Genève à Lausanne pour former le nouvel Orchestre Radio Suisse Romande (ORSR, voir un peu plus bas) - qui fut terminé le 1er septembre 1935 - fut fatal pour l'OSR, le privant d'un grand nombre de ses musiciens (il fournissait une bonne trentaine de ses meilleurs musiciens à l'orchestre du studio de Radio-Genève), ainsi que beaucoup de ses ressources. Il ne put définitivement plus faire face à ses obligations artistiques et financières: le Comité dut se résoudre à interrompre son activité au 15 novembre 1935.

Quelques mois auparavant déjà, on pouvait toutefois lire dans la revue Le Radio - l' “Organe officiel de la Société Suisse de Radiodiffusion, de la Sociéte Romande de Radiodiffusion et de la Société des Émissions Radio-Genève” - du 5 avril 1935:

"[...] Un nouvel “Orchestre Romand”

Nous avons déjà annoncé - il y a deux semaines - que des efforts étaient tentés pour qu'un nouvel ensemble symphonique puisse prendre la succession de l'ancien Orchestre de la Suisse romande. Grâce à la collaboration bienveillante de Radio-Genève, ces efforts ont aujourd'hui abouti: le nouvel orchestre - de cinquante-huit musiciens - est constitué; son comité est nommé et, qui plus est, la «Société des Amis de l'Orchestre romand» qui vient de se créer - et dans le comité duquel siège, on l'apprendra avec satisfaction, le directeur de Radio-Genève en personne - se propose de faire, par tous les moyens, la plus intense des propagandes pour cet élément capital de la vie musicale romande. Cette société auxiliaire nous adresse, avec prière d'insérer, l'appel suivant destiné aux sansfilistes. [...]"

Suivait un appel enflammé à soutenir l'Orchestre Romand par l'intermédiaire de cette «Société des Amis de l'Orchestre romand».

Sur la même page était présentée la concurrence...:

"[...] Orchestre “Radio Suisse romande”

Lundi après midi, à 15 h., a eu lieu, dans le grand studio de la Maison de la radio, à Lausanne, la présentation du nouvel Orchestre Radio Suisse romande. M. Charles Baud, président de la S.R.R., et M. Müller, directeur, lui souhaitèrent, ainsi qu'à ses chefs, la bienvenue, en formant des voeux pour qu'il accomplisse de bon et utile travail au service de la radiophonie romande. Immédiatement après, le nouvel ensemble commença ses répétitions, sous la direction de M. Haug. Rappelons que le travail de préparation de l'orchestre se poursuivra jusqu'au 12 avril. À cette date, il commencera son service régulier. Il est maintenant complètement constitué, à l'exception de deux ou trois pupitres qui seront occupés aussitôt que leurs titulaires auront pu se libérer de l'engagement qu'ils ont encore d'autre part. [...]". Il était précisé "[...] que l'engagement définitif de ces trente-six musiciens pour la durée d'une année n'interviendra qu'au terme de leurs deux premiers mois d'activité, considérés comme période d'essai [...]".

Cet orchestre n'était en fait pas entièrement nouveau. Dix ans auparavant, en 1925, Radio-Genève - qui venait d'être constitué - avait décidé d'avoir son propre orchestre, ayant inscrit la musique à ses programmes: un «ensemble» de trois musiciens fut formé.

Ensuite, Félix Pommier, pianiste devenu directeur de Radio-Genève (1925-1943), organisa les premières retransmissions musicales du Conservatoire, et la musique prit de plus en plus d'importance dans les programmes.

En 1929, lors du transfert du studio de Genève - qui se trouvait à l'étroit dans la salle de la Réformation à la rue du Rhône - dans un bâtiment neuf et plus spacieux, sur deux étages d'un immeuble au 7 de la rue du Jeu-de-l'Arc, on augmenta , à titre d'essai, le nombre de musiciens de l'«ensemble» à une trentaine - tous mis à disposition par l'Orchestre de la Suisse Romande, ses meilleurs pupitres.

Dans cette même période fut construit l'émetteur de Sottens. Dès 1931, après la fondation à Berne de la Société Suisse de Radiodiffusion, les studios de Genève et de Lausanne se mirent d'accord pour assurer les services de ce nouvel émetteur.

"[...] chaque groupe émetteur ayant son orchestre, Sottens put disposer dès lors de l'O.S.R. et renoncer à l'engagement de musiciens temporaires. Radio-Genève emménagea à cet effet dans les studios de la rue du Jeu-de-l'Arc. Puis, de 1932 à 1934, le Studio de Radio-Genève forma son propre orchestre symphonique pour collaborer de temps à autre avec l'O.S.R., en particulier lors de ses premières séances d'enregistrements sonores. [...]"

En mars 1935, le Studio de Lausanne prit possession de ses nouveaux locaux à La Sallaz; au début avril, le studio de Radio-Genève comença de planifier le transfert de son orchestre à Lausanne pour former la base du nouvel Orchestre Radio Suisse Romande, trente-six musiciens placés sous la direction de Hans Haug.

La composition de l'ORSR en avril 1935:

  • Premiers violons: MM. E. Appia (chef d'attaque), M. Bertrand, N. Ansermier, S. Roubakine, A. Wachsmuth, M. Gavalda
  • Seconds violons: MM. J. Meersson (chef d'attaque), A. Loew, V. Franzini, U. Fornaciari
  • Alti: MM. N. Biro (alto solo), L. Krauz, J. Kuyken
  • Violoncelles: MM. P. Bürger (chef d'attaque), W. Amstad, M. Guignard
  • Contrebasses: MM. Macioce (première contrebasse), L. Ammon
  • Flûtistes: MM. E. Defrancesco (flûte solo), A. Meschini
  • Hautbois: MM. Cassagnaud (hautbois solo), H. Fauquex
  • Clarinettes: MM. C. Pathé, ***
  • Bassons: MM. W. Bürger, R. Stâhr
  • Cors: MM. W. Speth (premier cor), E. Kamm, C. Scheiwein
  • Trompettes: MM. P. Longinotti, O. Bindschedler
  • Trombones: MM. J. Libbrecht, J. Lyard, C. Wandké
  • Harpe: M. N. Schneider
  • Timbalier: M. F. Weber.

L'Orchestre Romand (OR) et l'Orchestre Radio Suisse Romande (ORSR) exceptionellement réunis pour le Festival de Genève 1936, une photo de P. Geiselhardt publiée en page 1842 de la revue Le Radio du 16 octobre 1936

Au début de la coexistence des deux formations, il arrivait qu'elles se réunissent pour des manifestations nécessitant un grand orchestre. Ce fut par exemple le cas lors d'un festival à Genève en 1936, comme le montre la photo ci-dessus. Dans le texte accompagnant cette photo fut souligné que "[...] nous possédons désormais - grâce au maintien à Genève de l'Orchestre Romand et à la création, à Lausanne, de l'Orchestre Radio Suisse Romande - un orchestre de plus de cent musiciens capable de rivaliser avec les ensembles les plus haut cotés. L'esprit de collaboration dont nous venons de constater les effets peut assurer, soit à Lausanne soit à Genève, suivant les besoins et les circonstances, le concours de cet orchestre pour des manifestations de grande envergure.[...]".

Cet aspect positif n'était toutefois en fait qu'un rêve d'idéalistes inconscients de la situation économique très critique de cette époque et du combat d'intérêts entre Radio-Genève et Radio-Lausanne; il disparut assez rapidement lorsque tous se rendirent peu à peu compte que l'avenir de l'Orchestre Romandétait à son tour vraiment mis en danger...

Dans son exposé «Les orchestres vaudois», publié dans la revue «Feuilles Musicales - Revue Musicale de Suisse Romande» No 4-5, mai-juin 1955, pages 82-87, Constantin Regamey résuma très bien cette situation critique.

Faisant le bilan du développement de l'OSR depuis sa fondation jusqu'en 1933 et de son avenir, il écrivait:

"[...] Après 15 ans d'activité il ne manquait donc à l'OSR que des moyens financiers pour augmenter ses effectifs jusqu'à la norme des grands orchestres européens. Or, dans cette période de crise, non seulement cette augmentation n'était pas possible, mais l'existence même de l'OSR fut gravement menacée. L'activité de cet ensemble devint un élément te11ement naturel de notre vie culturelle et même mondaine que l'on ne pensait plus qu'elle avait besoin d'appuis continuels et de sollicitudes permanentes. Les revenus et les subventions diminuaient dangereusement.

Un arrangement avec la Radio de Sottens qui prit à sa charge 24 musiciens de l'orchestre utilisés pour les besoins de ses programmes musicaux toujours plus nombreux, sauva provisoirement la situation, car il ne restait à l'OSR que l'entretien des 32 musiciens complétant l'orchestre.

Mais au moment où, en 1935, à la suite de la construction du studio de La Sallaz, plus vaste et plus perfectionné que celui de Genève, le centre de l'activité musicale de la Radio fut transféré à Lausanne, l'OSR eut à choisir entre le déplacement à Lausanne et la liquidation de son activité. Pour plusieurs raisons le transfert du siège de l'orchestre à Lausanne s'avéra inexécutable.

Face à cette situation le studio de Lausanne créa un «Orchestre de Radio Suisse romande», comptant 43 musiciens et confié à la direction de Hans Haug. Cet orchestre, à côté de ses activités radiophoniques, organisa à Lausanne également une série de concerts d'abonnement. [...]

Tous ces événements obligèrent la Société de l'Orchestre de la Suisse romande à suspendre son activité après 17 ans d'existence. Mais les musiciens de l'OSR, fidèles à leur chef, refusèrent de capituler. Ils s'organisèrent en une association corporative avec Ansermet à leur tête et tentèrent de continuer le travail à leurs propres risques. D'autre part le public comprit enfin ce qu'il allait perdre, des soutiens vinrent de tous les côtés, et à Lausanne, une Association des Amis de l'Orchestre Romand fut créée qui, grâce à l'énergie de son président, le Dr F. Blanchod, parvint à organiser des concerts d'abonnement de l'Orchestre Romand également dans la capitale vaudoise.

Cette situation où Lausanne vit se produire parallèlement deux ensembles symphoniques, l'Orchestre Radio Suisse romande et l'Orchestre Romand, dura trois ans. Au cours de ces années de crise Ansermet ne ménagea pas ses efforts pour assurer à son ensemble une existence plus stable. La solution qu'il préconisait, le fameux «plan Ansermet», s'inspirait du même principe que 20 ans auparavant: il vaut mieux avoir un ensemble de premier ordre que plusieurs ensembles insuffisants. En l'occurrence il s'agissait de la fusion des deux orchestres.

Et encore une fois l'énergie et la ténacité du chef de l'OSR eurent gain de cause. La Société suisse de Radiodiffusion et le Département fédéral des postes et des chemins de fer, dirigé alors par M. Pilet-Golaz acceptèrent la formule d'un seul grand orchestre radiophonique avec siège à Genève. D'un coup non seulement l'existence de l'OSR fut sauvée, mais, grâce à des subventions officielles sensiblement renforcées, ses effectifs purent atteindre les normes des plus grands ensembles européens. Selon le nouveau statut, l'OSR exerçait de nouveau son activité dans les principaux centres de la Suisse romande et fut mis à la disposition du Studio de Lausanne. [...]". cité de l'exposé de Constantin Regamey «Les orchestres vaudois» publié dans la revue «Feuilles Musicales - Revue Musicale de Suisse Romande» No 4-5, mai-juin 1955, pages 82-87

Début 1938, la situation des musiciens de l'ORSR était donc devenue très précaire, d'autant plus que le président de la Société Romande de Radiodiffusion - qui s'opposait fermement à certains aspects du plan de la Société Suisse de Radiodiffusion - précisait en mai "[...] que l'application du plan Ansermet ne se traduirait pas par une fusion de l'Orchestre Radio suisse romande et de l'Orchestre romand. Il s'agirait en réalité de la dissolution pure et simple de l'Orchestre Radio suisse romande, actuellement à Lausanne, attendu que, d'une part, tous les musiciens de cet ensemble ne pourraient être incorporés dans l'Orchestre romand et que, d'autre part, la majorité de ceux qui pourraient être engagés ne le seraient que pour une partie de l'année seulement. En effet, sur 84 musiciens que compterait le nouvel Orchestre romand, 52 seraient saisonniers et il est probable qu'une vingtaine de musiciens de l'Orchestre Radio suisse romande resteraient sans emploi. [...]".

L'état plus ou moins final de l'avenir des musiciens de l'ORSR, tel que cité du communiqué de la Société Romande de Radiodiffusion - publié par exemple dans le «Journal et Feuille d'Avis du Valais» du 31 octobre 1938:

"[...] Le Comité de la S. R. R. vient de se réunir à Lausanne en séance ordinaire.

Nous pensons intéresser nos lecteurs sansfilistes en publiant, ci-après, un bref résumé des questions qui ont plus spécialement retenu l'attention des dirigeants de la S.R.R.

M. Haug, ancien chef de l'Orchestre Radio Suisse romande, qui se trouvait à Lausanne, quittera prochainement cette ville pour occuper ses nouvelles fonctions de chef de l'Orchestre radio Suisse alémanique, à Zurich. Auparavant, il dirigera encore un concert de la Chanson romande, le 29 octobre, à 20 heures.

Le Comité directeur, qui a déjà témoigné publiquement à M. Haug sa sincère gratitude pour les services rendus, a tenu à marquer sa reconnaissance d'une facon tangible. Il a chargé son président de lui remettre un souvenir à l'occasion de ses adieux à la Chanson romande.

La grande majorité des musiciens de l'ancien Orchestre radio Suisse romande a eu heureusement la possibilité de retrouver un emploi. Sur 43 musiciens, 10 ont été engagés pour 12 mois à l'Orchestre de la Suisse romande et 3 a Zurich, Lugano ou Berne. 7 ont obtenu un emploi de 9 mois à l'Orchestre de la Suisse romande et 5 dans d'autres ensembles symphoniques suisses. 9 ont dù accepter un engagement de 6 mois à Genève et 2 à l'orchestre symphonique de Winterthour. Enfin, 4 ont renoncé à faire partie de l'Orchestre de la Suisse romande et 3 restent encore sans occupation.

Toutefois la satisfaction qu'on peut éprouver à la lecture de ces chiffres ne doit pas faire oublier que les musiciens qui ont beneficié d'un emploi temporaire de 6 mois risquent de se trouver au chômage au début d'avril. [...]"

Nouvelle formation de l'Orchestre de la Suisse Romande

C'est au début du mois d'octobre que la nouvelle formation de l'Orchestre de la Suisse romande commença son activité, faisant enfin espérer l'existence stable d'un grand orchestre symphonique en Suisse Romande, juste à temps pour pouvoir fêter les 20 ans de l'Orchestre de la Suisse Romande fondé en 1918!!

La composition exacte de l'orchestre fut publiée, entre autres, dans la revue Le Radio du 7 octobre 1938, No 809, en page 1611:

Il y eut aussi quelques bizarres compromis, dont le plus connu est resté le curieux arrangement pour la diffusion des Concerts d'abonnement donnés à Lausanne et à Genève: la première partie du concert serait retransmise de Lausanne le lundi soir, et la seconde, de Genève, le mardi soir. Les semaines où il n'y aurait pas de Concert d'abonnement, une ou deux séances à grand orchestre seraient données, le mercredi ou le vendredi soir. (ref.:Claude TAPPOLET, «La vie musicale à Genève au vingtième siècle», Georg Éditeurs Genève 1979, pages 101-102)

Quelques mois plus tard parut toutefois un court communiqué...

"[...] Une bonne nouvelle concernant la transmission des concerts de l'O.S.R.

Nos lecteurs apprendront avec intérêt que la Commission des programmes vient, sur le vu des très nombreuses demandes qui ont été adressées à ce sujet et toutes dans le même sens, de décider qu'à partir du ler janvier prochain, la diffusion des concerts symphoniques de l'O.S.R. ne se fera plus sur deux jours différents de la semaine, mais en une seule fois, le mercredi soir. L'argument présenté est à retenir: car, se plaindre d'être obligé de rester deux soirs chez soi pour écouter le concert symphonique, n'est-ce point, du même coup, proclamer l'intérêt qu'on y porte. [...]" cité de la revue Le Radio du 2 décembre 1938, No 817, page 1954.

Ce fut la naissance du traditionnel concert radiodiffusé du mercredi soir, encore au programme radio d'aujourd'hui, année 2019 - 80 ans plus tard!!

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René Gagnaux
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2 novembre 2019
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