Un émigré : René Richard, peintre_27
Né à La Chaux-de- Fonds :
René Richard (1895-1982)_peintre-trappeur canadien.
Il y a fort longtemps, j'ai lu et conservé trois articles parus dans le journal l'Impartial.
L'un est daté du jeudi 1er décembre 1983 et signé Charles Chautems,
Les deux autres, signés Charles Thomann, portent la date du 7 mars et du 28 juin 1997.
Tous racontaient l'histoire étonnante de ce chaux-de-fonnier devenu canadien.
J'ai toujours été fascinée par cette immense contrée qu'est le Canada. Mon enfance a été bercée par les récits que la tante de mon père, la tante Adrienne, nous faisait, soit par lettres, soit de vive-voix lorsqu'elle revenait en Europe, ce qui était toujours un événement et une aventure car elle voyageait par train et par bateau.
Une exposition organisée par le Musée des Beaux-Arts de La Chaux-de-Fonds en 1992, avec l'appui du Ministère des communications du Canada et celui des affaires culturelles du Québec avait attiré un nombreux public. Et Le peintre dont les œuvres étaient exposées, un coureur de bois, un trappeur canadien toujours armé d'un crayon, était né…à La Chaux-de-Fonds !
Bien sûr, j'ai vu cette exposition. Une magnifique rétrospective qui a permis de découvrir une œuvre originale et forte.
Emmanuel-René Jeanrichard dit Bressel n'a probablement jamais su qu'il portait un patronyme célèbre (celui de Daniel Jeanrichard, père de l'horlogerie neuchâteloise). Il naît à La Chaux-de-Fonds le 1er décembre 1895 dans une famille pauvre. Dès sa douzième année, il travaille, pour gagner quelques sous, 10 heures par jour dans un atelier d'horlogerie où il effectue différents petits travaux. La vie est dure.
Il y a en Suisse à cette époque, et pas seulement à La Chaux-de-Fonds, beaucoup de familles dans la même situation que celle des Richard. Dans ma propre famille, ma tante Adrienne, son mari, ses enfants et ses deux frères se sont exilés au Canada entre 1912 et 1920.
La mère de René, Marthe Sandoz a mis au monde huit enfants. René est le quatrième.
Le père de René, Paul-Emile Jeanrichard, originaire de La Sagne, est graveur. Il travaille dans un atelier de décoration et de polissage de boîtes de montres à La Chaux-de-Fonds. Il décide d'émigrer au Canada comme éleveur de bêtes à cornes, attiré par la promesse de donation d'une terre et toute la famille s'embarque pour ce pays-continent en 1909, « impôts non réglés », nous dit Charles Thomann.
Arrivés au Canada, à Cold Lake, Alberta, « nous nous sentions non seulement des esclaves mais des victimes de promesses qui ne se réaliseraient jamais. C'est pour cette raison que mon père se décida un jour à quitter la terre » nous raconte René Richard. Le père va alors tenir un commerce prospère où il vend aux indiens des objets manufacturés contre des fourrures.
Le jeune garçon de 14 ans, épris de liberté, découvre alors, émerveillé, les paysages canadiens. A Cold Lake, René explore les environs, allant toujours plus loin, complètement fasciné par ce qu'il découvre jour après jour (les paysages, la nature, les saisons, les visages des indiens). Bientôt, avec un camarade de son âge, il quitte Cold Lake et commence une existence de trappeur-peintre qui va durer, solitaire ou avec des compagnons, plus de trente ans. Il va vivre dans des conditions extrêmes, sous la neige, dans la tempête, souvent au péril de sa vie, risquant plusieurs fois de mourir, de froid ou de faim. Il dessine beaucoup, en noir, en couleur, avec quelques crayons. Pour marcher à travers ces grandes étendues, son bagage doit être adapté. Il fait ainsi des esquisses, des dessins, des croquis sur du papier d'emballage brun et sur des plaquettes de bois.
Cette grande aventure hors du commun ne sera interrompue qu'une seule fois : entre 1927 et 1930. Ayant amassé de belles économies en vendant les produits de sa chasse, René Richard part pour Paris afin de se perfectionner dans son art. Cruelle expérience. Il visite les musées, fréquente les académies. Il travaille quelques mois à l'Académie de la Grande Chaumière. Mais il est complètement désorienté dans ce milieu artistique parisien auquel il ne comprend rien, il n'a bientôt plus un sou et il sombre dans la dépression. Heureusement, sa rencontre avec le peintre canadien Garance Gagnon le sort de sa mauvaise situation. Au bout de trois ans de galère, René Richard retrouve sa vie de trappeur-peintre au Canada, enrichit tout de même de tout ce qu'il a durement acquis pendant son séjour en Europe. Et le voici de retour dans les étendues immenses qu'il aime.
Quelques années plus tard, il séjourne à Baie St-Paul, sur le St-Laurent, au Québec. Il y rencontre Blanche Cimon et se marie en 1942. Il vivra dans ce lieu magnifique pendant quarante ans, approfondissant son œuvre, reprenant et développant ses croquis, ses esquisses.
Son œuvre, très personnelle, a été reconnue peu à peu. Sans faire partie du célèbre Groupe des sept de Toronto*,* composé de sept peintres canadiens, il en a beaucoup fréquenté les membres et a été reconnu et admiré par eux. Il a été récompensé au niveau national et ses œuvres sont entrées dans les musées (voir « notes biographiques »).
Trappeurs et canots_René Richard
Gabrielle Roy, une écrivaine canadienne d'expression française très connue, lui a dédié son roman « la montagne secrète ».
Le personnage principal lui a été inspiré par René Richard, qu'elle connaissait bien. Un superbe roman, qui vous emmène loin, au propre comme au figuré. Voici sa dédicace : « A R.R., peintre, trappeur, fervent du grand nord, dont les beaux récits me firent connaître le Mackenzie et l'Ungava ».
photo Web
Voir aussi l'article : René Richard et le Valais : http://www.notrehistoire.ch/article/view/1795/
Notes biographiques : (tirées du dépliant de l'exposition de 1992 et parfois modifiées à la suite de la lecture d'autres documents) :
1895_Naissance d'Emmanuel René Jeanrichard à La Chaux-de-Fonds
1909_La famille Richard émigre au Canada
1910_Elle s'installe à Cold Lake, en Alberta, avec l'intention de faire de l'élevage
1911_Le père abandonne son projet et devient propriétaire d'un magasin général où viennent s'approvisionner les indiens
1912 L'adolescent fait sa première expérience de survie en forêt et s'initie au métier de trappeur. Il commence à dessiner
1923-1926_ Première expédition sur le Machenzie et pratique intensive de la trappe
1927-1930_ Il embarque pour Paris afin d'étudier la peinture. Il travaille sous la direction de Clarence Gagnon, qui devient son ami. Début de sa période dite classique. Il séjourne en Savoie
1928-1929_Séjour en Valais en été
- "Quelques mois plus tard, au printemps de 1928, René Richard quitte Paris et part faire du dessin dans les Alpes, en Valais, et en Haute-Savoie. Clarence Gagnon lui trace un itinéraire détaillé et l'encourage à reprendre contact avec la nature. René Richard passe ainsi deux étés consécutifs au grand air. Ces séjours favorisent à la fois son développement artistique et sa santé. Clarence Gagnon a saisi l'importance de dégager cet homme des grands espaces de l'agitation effrénée d'une ville comme Paris.L'expérience se révèle concluante. René Richard rapporte de nombreux croquis de ses séjours en montagne. Son cartable est bourré de dessins, de croquis, de pochades.(extrait du livre de Jean-Guy Quenneville, Le voyageur solitaire)
1930-1933_ Descente du fleuve Churchill et exploration du territoire de Fort McMurray. Il « trappe » et dessine à Reindeer Lake, Primerose Lake et Cold Lake
1936_ René Richard rejoint Clarence Gagnon à Montréal, où ils inventorient les œuvres d'Horatio Walker. Puis il travaille comme garde-chasse en Gaspésie
1939_ Début de la période des crayons de couleur*
1942_ Il s'établit définitivement à Baie St-Paul où il épouse Blanche Cimon
1943_ Première exposition au Musée du Québec
1948_ Expédition dans l'Ungava
1950-1965_ Il travaille à une série de grands formats sur le Nord Canadien à partir de croquis antérieurs*
1960_ Il commence à rédiger ses souvenirs
1967_ Deuxième exposition au Musée du Québec : la troisième aura lieu en 1978
1973_ Richard est reçu membre de l'Ordre du Canada
1975_ Illustration du roman de son amie Gabrielle Roy, la montagne secrète, dont il est le protagoniste
1979_ Illustration de Menaud, maître draveur, de Félix Antoine Savard
1980_ Reçu membre de l'Académie royale canadienne
1982_ René Richard meurt à Baie St-Paul
1986_ Exposition à l'Hôtel-de-ville de Montréal
1990_ Publication de Ma vie passée
*_ Les œuvres de René Richard étant rarement datées, les années 1927, 1939 et 1950 servent de repères pour les différentes périodes de production
Bibliographie :
La montagne secrète de Gabrielle Roy
Ma vie passée de René Richard
Le voyageur solitaire, René Richard de Jean-Guy Quenneville
Baie St-Paul_Québec_René Richard
Chère Claire, Un très grand remerciement pour cet excellente présentation de René Richard, votre article est passionnant. Pour moi une belle découverte, merci. J'aime particulièrement l'autoportrait...quel bel homme ! Faire partie du Groupe des sept de Toronto...quel honneur pour la Suisse ! Et aussi quelle vie ! Merci chère Claire.
Merci Martine ! Oui, c'est un peintre original, tant par sa vie que par son oeuvre. Comme lecture pour l'été, je vous conseille de lire "la montagne secrète" de Gabrielle Roy, c'est un beau roman, qui existe en collection de poche (Boréal_collection boréal compact).