Jungle de béton, terre de glisse
La Suisse est un îlot privilégié pour le développement de la glisse urbaine. Ses montagnes et son environnement propice aux sports en plein air ont ouvert la piste à une culture de l'animation de nos rues et parcs urbains. Pour revenir aux racines de la glisse de rue, il faut se souvenir des premiers instruments de plaisir en roue libre sur l'asphalte. Ils datent des années 30 en Europe avec les premières "patinettes", c'est le nom que l'on donnait alors aux trottinettes.
La "patinette" naît dans les années 30, c'est avec la planche de surf un des ancêtres du skate selon les spécialistes (photo de 1944, collection Pierrette Frochaux-Chevrot).
La suite, ce sera l'arrivée de ces "boards" en Californie dans les années 50, clairement inspirées des planches de surf. Ces mêmes "boards" pénètrent l'Europe au milieu des années 60. Les sports de plein air comme le jogging ainsi que la planche à voile et le skate seront à la mode dans les années 80 en Suisse. Cependant, la culture du skate, accompagnée de celle du BMX et du roller, sera le véhicule de valeurs beaucoup plus marginales, disruptives même, face au deux premiers nommés.
Revenons en images sur un phénomène qui dépassera le cadre de l'activité sportive pure. Dans les années 90 et 2000, le skate s'est emparé de nos centres urbains et possède ses codes, sa musique, son langage, ses vêtements et un type d'art visuel qui lui est propre. Les villes ont réagi à ce sport qui leur échappait complètement en installant des skate-parks, pour mieux tenter de contrôler l'anarchie des skateurs sur les routes empruntées par tous les autres moyens de transport. L'objectif fut aussi de désengorger l'afflux de riders dans les zones très fréquentées par les piétons, telles que les gares.
Une trottinette, un peu d'agilité et c'est parti pour le trick de l'année 2014. (Collection Grégoire Favre)
La légende mondiale du skate Tony Hawk ne s'y est pas trompé. C'est bien Lausanne qui incarne le "spot" de glisse urbaine le plus important en Suisse, loin devant ses sœurs voisines Genève ou Berne, ou ses cousines plus éloignées Zurich ou Bâle. Tony Hawk venait montrer en 2015 qu'il avait plus d'un "trick" (une figure) dans sa besace sur la rampe du bowl de Vidy. Il avait aussi à cœur de révéler aux jeunes fans romands une certaine agilité marketing pour vendre son savoir-faire (et son nom) aux concepteurs de jeux-vidéos. L'objectif de la visite était d'ailleurs de montrer des figures réalisables ensuite devant l'écran de la console.
Le bowl de Vidy, autrement dit le skate-park, est à ce jour le plus grand de Suisse. Lausanne a d'ailleurs longtemps été un point de ralliement pour les amateurs de patin à roulettes de toute la Suisse et au-delà. Ivano Gagliardo a régalé les yeux des Romands pendant plusieurs années, notamment à Ouchy. Regardez ce sujet tourné pour la RTS dans l'émission "Tell Quel" en 1994 qui est consacré à ses exploits. Il incarnait dans les années 90 une forme de rébellion face à une Suisse propre-en ordre, un défi face aux autorités locales ne comprenant pas cette envie d'utiliser les rues, les trottoirs et les esplanades pour réaliser des "tricks" acrobatiques.
Le skate est devenu, au grand dam des puristes, un sport olympique en 2016 (collection David Glaser).
Revenons aux structures pionnières de la ville. Le hangar HS36, situé à deux pas de la salle de concert des Docks dans le quartier de Sévelin avait été transformé en skate-park dans les années 80. Il avait accueilli l'historique "International Roller Contest depuis 1993", et de nombreux autres concours.
Lausanne avec ce skate-park indoor rebaptisé "La Fièvre" constitue une capitale suisse symbolique pour la bonne vieille planche à roulettes, car c'est une ville en pente et ce décor naturel attire forcément les riders (sur skate, freeboard, rollers, BMX, VTT...) du monde entier. Et ce même avant l'arrivée du métro M2, le téléphérique tout désigné pour ces fous de descentes brûlantes de trottoirs.
Les decks (planches) des skates et leurs trucks (les essieux) prennent souvent cher lors des premières tentatives hésitantes des exécutants des tricks. Les "dérouleurs" de figures libres sur rubans de bitume lisses - merci la voirie - prennent plus de libertés au fur et à mesure qu'ils deviennent compétents dans le maniement de la planche. Plus ils sont à l'aise, plus ils repoussent les limites.
Par ailleurs, le CIO, installé près du bowl de Vidy, a décidé de propulser la discipline du skate au rang de sport olympique, depuis cette décision prise en 2016. Tokyo en 2020 accueillera donc des épreuves de skate.
Au bout du Lac, Genève a eu son skate-park en 1979. La Cité de Calvin reste dans la course avec sa voisine Lausanne. Elle a même frappé un grand coup, en plaçant un bowl d'envergure en plein milieu de la ville, pour le plus grand plaisir des jeunes riders.
Un skateur genevois s'entraînant au ollie, franchissant un matelas de mousse plié.
Le ollie est né de l'apparition d'une "tail", un queue surélevée qui permet de faire une balancier en plaçant le poids vers l'arrière de la planche, pour faire toutes sortes d'obstacles.
De l'humour de skaters sans doute... En 2012, les équipes de nettoyage de la Ville de Genève n'allaient pas aussi vite que les bombes des grapheurs du skate-park de Plainpalais (Collection Claude Zurcher)
Le skate-park de Plainpalais tel qu'il était avant sa transformation.
Le skate-park est désert, nous sommes en février 2019, Collection Dominique Python)
Sur le skatepark de Sierre, une tentative de "grind", ou si vous préférez une glissade le long du bord du muret. On appelle aussi cette figure, le 50-50, quand la planche est parallèle au rebord de l'obstacle.
A Sierre, en 2014, un membre de notreHistoire saisissait cet instantané sur une rampe sierroise.(Collection Grégoire Favre)
A Hauterive (Neuchâtel), les skateurs se retrouvent à l'occasion d'une compétition unique, qui a bien failli être annulée à cause de la pluie. Une compétition où l'esprit fut bon enfant. Dans le monde du skate, il y a toujours plus d'émulation que de domination. L'envie de remporter la compétition ne passe pas par un besoin d'humilier son adversaire. Les skateurs entre eux montrent au contraire beaucoup de respect les uns envers les autres, sans doute à cause de la difficulté du sport et des efforts que la discipline exige pour arriver à un niveau correct.
Les compétiteurs et leurs supporters réunis sur une estrade de Hauterive. (Collection Raphaël Brinner)
Toute l'histoire du skate en Suisse romande, avec notamment le court portrait de la skateuse de Savièse Delphine, est à voir ici dans un épisode d'A Bon Entendeur.
Le BMX fait aussi partie des outils populaires dans les bowls (Collection notreHistoire).
Cher monsieur David Glaser, c'est un plaisir de les suivre du regard et de lire vos histoires de skates
Amicalement Renata