Arthur HONEGGER, Quatuor à cordes No. 1, QUATUOR LUDWIG, Paris, 1991
Arthur HONEGGER, Quatuor à cordes No. 1, QUATUOR LUDWIG, Paris, 1991
Arthur Honegger commença de composer son premier quatuor à cordes en 1913 - donc pendant ses études au Conservatoire de Paris. Il le remanie une première fois en 1915, et le soumet à Charles-Marie Widor, son professeur de composition. Arthur Honegger écrivit ses impressions dans une lettre adressée à ses parents le 18 juin 1915:
"[...] J'ai montré mon Quatuor à Widor, mais il n'a pu absorber encore que le premier temps qui est de beaucoup le plus saisissable, étant le plus ancien. Il l'a trouvé beaucoup plus étendu (à la rentrée du second thème, il se croyait déjà en plein développement) et surtout effroyablement «grimaçant» comme harmonie. Je crois que l'Adagio, qui est beaucoup plus polyphonique et polyharmonique, ne lui fera pas du tout passer un bon quart d'heure. Mais il est si gentil qu'il vous dit toujours après que vous avez beaucoup de talent [...]" cité de l'ouvrage «Arthur Honegger» de Harry Halbreich, page 42 de l'édition 1992
En 1917, Arthur Honegger remanie son quatuor une dernière fois et - en décembre 1917 - le soumet à Charles-Marie Widor et Vincent d'Indy. Widor le trouva compliqué, comme le confesse Honegger dans un pli à ses parents: "[...]À un certain moment, il prétend que ça donne tout à fait l'impression de 4 instrumentistes jouant tous les 4 un concerto différent ou 4 pianistes qui joueraient un morceau différent à chaque main [...]" (Harry Halbreich, page 55).
À la suggestion de Vincent d'Indy, la Société de musique indépendante (SMI) accepte d'abord l'oeuvre, puis la refuse au motif qu'Honegger est suisse... À Zurich, un comité de programme refuse que l'oeuvre y soit jouée et le chef d'orchestre Volkmar Andreae précise qu'Honegger «a encore beaucoup à apprendre» (Harry Halbreich, page 58). En plus, une controverse naît, alimentée par Maurice Ravel qui confesse «C'est tellement grimaçant qu'on ne sait pas si c'est beau ou laid». Honegger défend son oeuvre avec énergie, sa première audition est toutefois retardée par les derniers soubresauts de la Première Guerre mondiale. L'oeuvre est finalement créée le 20 juin 1919 par le Quatuor Capelle.
Arthur Honegger, Paris vers 1930, une photo du site ParisEnImages © Boris Lipnitzki/Roger-Viollet.
La première audition suisse a lieu à Zurich le 30 novembre 1921; en Suisse Romande, malgré le succès que connaissait déjà Arthur Honegger à Genève avec d'autres oeuvres, il faut attendre 1924 pour l'entendre pour la première fois, à Lausanne le 23 janvier 1924, et à Genève le lendemain.
"[...] Quatuor belge «Pro Arte» de Bruxelles
Soirée artistique, impressionnante et belle entre toutes que celle donnée mercredi soir 23 janvier, à la Maison du Peuple, par le Quatuor belge. Les admirables artistes qui le composent (MM. Adolphe Onnou, Laurent Halleux, Germain Prévost et Robert Haas) ont fait preuve d'un ensemble, d'une cohésion et d'une unité dans les nuances dynamiques, l'expression et le rythme, vraiment insurpassables. Un seul artiste eût possédé le pouvoir de jouer à lui seul des quatre instruments que l'interprétation n'aurait pu être plus parfaite.
Le programme annonçait des oeuvres ultra-modernes, exception faite pour le Concerto de Mozart et j'avoue que ce n'est pas sans prévention que je me disposais à écouter le Quatuor de A. Honegger. Cependant, je ne tardai pas à me rendre à l'évidence, reconnaissant dès les premières mesures - et mon admiration se maintenant et grandissant jusqu'aux dernières - qu'il s'agissait là d'une belle oeuvre, non seulement expressive et vibrante, mais d'un style noble et large et admirablement construite. Sans doute, Honegger y use de ses moyens très modernes - mais placés dans ce quatuor sur un fond vraiment classique - avec tout le respect dû à cette forme musicale créée par les plus grands maîtres de l'art. Ce quatuor, composé à l'âge de vingt-quatre ans, est une très belle exception dans les oeuvres de l'auteur et j'aimerais qu'elle ne confirmât pas la règle. Il faut dire aussi que sous l'archet magique d'artistes aussi éminents que ceux du Quatuor belge, les nombreuses dissonances sont de beaucoup atténuées. Il faut se souvenir aussi que la plupart d'entre elles, destinées à modifier le timbre, doivent se jouer «piano», ainsi que l'ont fait des interprètes que l'on peut appeler créateurs. Mes remerciements à M. Gagnebin à qui l'on doit le choix de cette oeuvre. [...]" Henry Reymond dans la Tribune de Lausanne du 29 janvier 1924, en page 3.
Dans la Gazette de Lausanne du 30 janvier 1924, en page 3, on peut lire:
"[...] Nous avons ouï, cette semaine, trois sociétés de musique de chambre en deux jours. Mardi, à 5 heures, un groupe ou plutôt deux groupes, l'un vocal, l'autre instrumental et d'occasion, se faisaient entendre au Lyceum dans des oeuvres inédites de M. F. Hay, le jeune chef du Choeur du Conservatoire de Genève. [...]
Le même soir le Quatuor Le Feuve [...] se produisait dans la vieille et mauvaise salle des concerts du Théâtre. Appelé par la Ligue française de Lausanne et présenté par son président, le vénérable professeur M. Sensine, le quatuor Le Feuve offre la particularité très intéressante poux nous, de réunir un Français - le chef patronymique - et trois Suisses, MM. Buntschu, de Fribourg, et Chedel, du Locle, en un groupe harmonique et harmonieux. Groupe excellent, dont la belle sonorité, chaude et enveloppée, nous a rappelé celle du quatuor du Flonzaley.[...]
Le lendemain, troisième quatuor, belge celui-là, également jeune, également soucieux d'art et de progrès [...].**
Le quatuor pro Arte semble avoir pris à tâche, sans s'en faire tout à fait une spécialité, la vulgarisation des extrêmes tendances nouvelles.
Le Quatuor de M. Honegger, qui figurait en tête de leur programme, reste d'un bout à l'autre sous le régime de la dissonance obligée. Ce n'est pas toujours désagréable. Dans les mouvements rapides elles glissent suivant ses rythmes, avec une remarquable légèreté, et parfois une douceur de caresses. Dans les mouvements lents, l'absence, par surcroit, d'une pensée où se raccrocher - bagage jugé superflu par l'Ecole - rend proprement intolérables les coincements de ces secondes, quartes, quintes prolongées, exaspérées par la durée; et le «très lent», qui occupe du reste la place habituelle de l'adagio dans le quatuor de M Honegger, débute à la façon du Tristan wagnérien, se poursuit selon les méandres d'un chromatisme incessant, m'a paru aussi lourd pour l'oreille que de maigre chère pour l'esprit, vide de sens et tout plein d'ennui, à l'égal d'un Largo de M. Max Reger lui-même.
Cependant on retrouve dans l'oeuvre entière la construction classique; l'ordre en est réglé, dans sa marche, ses arrêts, ses développements, sa dynamique. Elle reste toujours sonore; et elle vit. Sous l'intransigeante singularité de la forme, on y sent la volonté saine d'un musicien, et des qualités d'honnête solidité que je dirais volontiers helvétiques. [...]" Ch.K. dans la Gazette de Lausanne du 30 janvier 1924, en page 3.
Depuis, l'oeuvre a fait son chemin, et est considérée comme étant la première composition importante d'Arthur Honegger.
C'est grâce à la générosité de la...
... que nous pouvons écouter en ligne l'oeuvre complète, qui fut diffusée le 12 mars 2014 dans une émission de la série "Fauteuil d'orchestre", rendue disponible pour une écoute en ligne dans les splendides archives de la RTSR.
Arthur HONEGGER, Quatuor à cordes No. 1 en ut mineur, H 15, QUATUOR LUDWIG (Elenid Owen, premier violon, Jean-Philippe Audoli, second violon, Padrig Fauré, alto, Anne Copéry, violoncelle), Église Évangélique St Pierre, Paris, Septembre-Octobre 1991, Timpani C 1011
- 1. Appassionato (violent et tourmenté)
- 2. Adagio (très lent)
- 3. Allegro (rude et rythmique) - Adagio
La RTS ne proposant plus cet enregistrement en écoute, je ne peux que vous renvoyer aux pages de Youtube permettant de l'écouter:
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