Escalade rocheuse
Escalade rocheuse
L'escalade dans le Jura
Introduction
Prétendre que, dès la nuit des temps, lorsqu'une rencontre entre un rocher petit ou grand et un homme a eu lieu, le deuxième a tenté d'escalader le premier pour se protéger des attaques d'un animal sauvage ou d'un de ses congénères, échapper à la montée des eaux, au feu, ou par esprit de découverte, pour voir au loin, par plaisir aussi, n'est sûrement pas se perdre en divagations. On peut donc affirmer sans risque que l'escalade est née avec l'apparition des premiers êtres vivants sur notre planète.
Cette activité, que l'on désigna longtemps du mot fous-y-tout 'alpinisme', terme qui englobait les divers sports de montagne, a connu un fort développement au cours du dernier quart du 20ème siècle, s'est spécialisée, et a pris des formes diverses que l'on nomme actuellement, selon son âge : varappe (les patriarches), escalade ou grimpe, tout en précisant : sportive, aventure, plaisir ou encore, prétexte. Cette occupation se suffit à elle-même, ou est exercée à titre d'entraînement, de complément à la pratique consistant à gravir des hautes montagnes bâties de roche, de glace et de neige. L'évolution réjouissante, la popularisation d'un sport longtemps l'apanage de quelques initiés, en fait aujourd'hui le bien de tous, et a pour corollaire la multiplication du nombre de grimpeurs et une forte augmentation de la fréquentation des falaises aménagées en jardins d'exaltants jeux acrobatiques aériens. Les stades naturels où s'expriment avec bonheur petits et grands, débutants ou experts, performeurs ou dilettantes sont aussi et d'abord l'espace vital de plantes et d'animaux sauvages, rares souvent, en voie de disparition parfois. Notre éthique, notre mot d'ordre doivent être : respect, respect de la nature, des paysages, du rocher et des voies d'escalade qui sont le cadre dans lequel nous exprimons notre joie de vivre pleinement des heures enrichissantes, dans la camaraderie de la cordée, et l'expression de ce qu'il y a de meilleur en nous : le goût de l'effort, de l'engagement, d'une forme de dépassement et de partage.
Les nombreuses falaises du Jura offrent une variété de voies susceptibles de satisfaire chacun une grande partie de l'année, et, de plus en plus, douze mois sur douze, en raison d'hivers doux. L'accès aux sites d'escalade est presque toujours possible en recourant aux transports publics et, ou, au vélo tout terrain.
Loin des hautes cimes neigeuses, des glaciers étincelants, des refuges agrippés au flanc d'escarpements vertigineux, la chaîne du Jura, deuxième plus grand relief montagneux suisse, propose ses arêtes rehaussées de pins rachitiques, ses piliers, ses éperons, ses fissures d'où s'échappent quelques touffes de grandes herbes, ses cheminées, ses murs, ses dalles parsemées de gentianes aux fleurs bleu vif, ses faces de beau calcaire gris ou jaune qui s'élèvent au-delà des pâturages qu'elles dominent. Ces monolithes aux formes variées qui, tantôt s'élancent audacieusement vers le ciel, tantôt émaillent des prairies d'estivage où paissent les troupeaux, parfois se faufilent entre de véritables pierriers parcourus par d'agiles chamois, ou se dissimulent parmi les sapins vert bronze à branches plongeantes, leur disputant le sol accidenté, sont autant de défis lancés à l'habileté des grimpeurs.
D'accueillants chalets d'alpage, jamais très éloignés, offrent les plaisirs d'une cuisine simple mais délicieuse, et pour certains, l'abri à ceux qui souhaitent y passer la nuit.
Des sommets jurassiens, la vue est belle. Là-haut, le climat est agréable et sain.
Actuellement, du pied du Jura à son sommet, de très nombreux sites, des voies de toutes difficultés, par centaines, sont proposées au choix des grimpeurs par des ouvreurs bénévoles, le plus souvent travailleurs de l'ombre.
On peut tenir pour certain qu'à l'heure où les 'équipeurs' actuels se retireront, la jeunesse prendra la relève et saura, avec talent, entretenir ces terrains de jeux, en découvrir de nouveaux et les mettre en valeur en utilisant les outils, les techniques, l'ensemble des valeurs propres au milieu et à l'époque.
Historique
Si les pionniers de l'escalade dans le Jura ne nous ont légué que peu de récits de leurs réalisations, les voies qu'ils ont ouvertes dans la 1ère partie du 20ème siècle parlent pour eux. Ces varappeurs-alpinistes, infatigables explorateurs d'espaces verticaux encore vierges, y ont éreinté leurs doigts calleux et tracé de beaux itinéraires, pour beaucoup devenus classiques. La corde de chanvre de trente mètres nouée autour de la taille, les pieds parés de chaussures à clous (les souliers militaires, souvent), avec pour points d'assurage des pitons de forgeron et des coins de bois très parcimonieusement placés, les meilleurs d'entre eux affrontaient des difficultés techniques à prendre au sérieux aujourd'hui encore.
A la fin des années 1950 et au cours des années 1960 arriva dans le milieu une nouvelle génération de grimpeurs animés par un bel élan d'enthousiasme. Les chaussures à semelle Vibram remplacèrent les souliers cloutés (certains s'accrochèrent au passé, l'avant de leurs godasses était pourvu d'une Vibram et l'arrière de Tricounis), on improvisa le baudrier artisanal (il en est qui s'encordaient sur leur ceinture de pompier), on vit apparaître, ici et là, des broches cimentées pour assurer la sécurité, et quelques chevilles à expansion aussi. On parlait de degré de difficulté VI+, de A3. On ne procédait pas encore au nettoyage systématique des voies, cela offrait l'occasion d'échanges divertissants entre les membres de la cordée : « Attention, le bloc qui sert de prise, au-dessus de la vire, ne tient pas, ne tire par dessus trop fort ! » De nouvelles falaises furent découvertes, des voies y furent tracées, des défis encore inédits s'offrirent aux grimpeurs. Certains lieux étaient particulièrement réputés : ouverte en 1967, la voie Surplomb des Choucas, dans la face des Aiguilles de Baulmes, reçut la visite du très célèbre guide de montagne Michel Vaucher qui en réalisa la première répétition. Le difficile mur d'Eclépens vit passer des guides valaisans fameux et surtout l'extraordinaire Aloïs Strickler, premier alpiniste suisse à avoir réussi l'ascension de ce que l'on appelait alors 'Les six derniers grands problèmes des Alpes', à savoir les faces nord de l'Eiger, du Cervin, du Badile, des Grandes Jorasses, du Petit Dru et de la Cima Grande di Lavaredo. C'est à cette époque que fut ouverte la première salle d'escalade de Suisse, elle appartenait à l'Ecole d'alpinisme Les Choucas, sise à la Gittaz sur Sainte-Croix, à quelques minutes à pied des Aiguilles de Baulmes.
Les années passèrent. Les générations de grimpeurs se succédèrent. L'équipement fixe mis en place vieillit, rouilla, disparut. Il y eut des actes de vandalisme, du vol de matériel.
Dès la fin des années 1970, les pitons de forgeron et les coins de bois furent progressivement remplacés par des goujons à expansion.
Dès lors, l'évolution de l'escalade s'accélère, on grimpe en chaussons, on s'entraîne à longueur d'année, bientôt les murs de grimpe intérieurs fabriqués se multiplient, le niveau moyen des escaladeurs s'élève. Au battement rythmé des coups de marteau qui frappent la tête des pitons succède le ronronnement de la perceuse autonome. N'étant plus tributaire des fissures pour poser les points d'assurage, on ouvre des lignes dans le rocher compact, en pleine dalle que l'on perce pour y fixer les spits. Les voies sont marquées, topographiées par divers éditeurs ayant des visées commerciales, sécurisées, pourvues de relais, entretenues et parfois sur-fréquentées.
Au cours de la première décade du 21ème siècle, quelques mutants, à Saint-Loup, en inaugurant sur le plan local le 9ème degré, propulsent l'escalade en terres jurassiennes au sommet des possibilités humaines du moment.
Depuis peu de temps, la pratique du dry tooling (grimpe sur rocher avec les outils de la cascade de glace en sus du matériel habituel d'escalade) s'est imposée dans le Jura aussi. Un petit nombre de falaises sont dédiées à cette spécialité très agressive pour le support rocheux et donc destinée à n'être mise en application que dans des zones peu propices au 'libre'.
Grâce à l'équipement de grande qualité de la majorité des voies, les accidents, eux, se font rares.
Et l'avenir ?
Il sera probablement fait d'un subtil équilibre entre le désir bien légitime de s'adonner à de stimulantes activités de plein air, dans un cadre sauvage, en toute liberté, et la nécessité de préserver le milieu naturel dans lequel elles se déroulent.
Marcel Maurice Demont
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