75ème Anniversaire, Cabane de L'A Neuve, 1926-2001
75ème Anniversaire, Cabane de L'A Neuve, 1926-2001
Texte selon livre de cabane, 1927
HISTORIQUE DE LA CABANE
ÉDOUARD DUFOUR
HISTOIRE DE LA CONSTRUCTION
Section des Diablerets,
Lausanne le 26 août 2001
Commission des cabanes, © Daniel Rapin
Historique de la Cabane
C'est le 2 août 1876 qu' E. Javelle escalade le premier le Tour Noir.
A cette époque les refuges étaient rares dans les Alpes et les premiers alpinistes devaient se contenter du sol caillouteux comme couche, d'une pierre pour oreiller; comme gîte, un trou dans le roc ou le surplomb d'un rocher.
C'est sous un énorme bloc au bord du glacier de la Neuvaz que Javelle passa la nuit avec trois compagnons.
La description du cirque de la Neuvaz, des contreforts du Tour Noir, de l'ascension de cette cime est l'une des plus belles que l'on trouve dans les "Souvenirs d'un Alpiniste".
"Pas un point faible dans cette formidable enceinte" écrit Javelle, et comme si ce n'était pas assez d'obstacles, au bas de toutes les parois s'ouvre la longue déchirure des rimayes béantes.
De temps en temps par les grands couloirs quelques blocs bondissent; une petite avalanche roule comme pour s'essayer, puis tout se tait et ce cercle de géants est là, terrible et immobile, qui vous regarde et vous attend.
Alors infirme et délicat petit être, seulement fait de chair et de sang, vous arrivez devant ces granits et ces glaces et vous leur opposez quelque chose de plus fort encore et de plus indomptable paraît-il, puisque vous vous dites tranquillement qu'avec votre volonté, votre intelligence, votre courage et un peu de patience vous saurez bien passer quand même".
Un an après l'ascension de Javelle, la première cabane s'édifiait dans cette chaîne; ce fut Orny, puis vint Saleinaz, la nouvelle cabane d'Orny enfin Dupuis.
Seul le vallon de la Neuvaz était vierge de construction, et les alpinistes qui escaladaient le Tour Noir depuis le Val Ferret, comme Javelle, passaient la nuit sous l'immense rocher.
Et pourtant, dans la carte des Cabanes du CAS du 1912, la région de la Neuvaz figure dans la liste des cabanes de première nécessité à construire par le Club Alpin.
Un refuge s'imposait donc dans ces régions mais les disponibilités financières de sociétés alpines ne permettaient pas d'en réaliser la construction.
En 1924 un des membres honoraires les plus dévoués de la Section des Diablerets, léguait à sa section une somme importante pour la construction d'une cabane dans les Alpes, mais sans en fixer le lieu.
Une commission est nommée de suite afin d'étudier la réalisation du vœu de notre cher défunt Edouard Dufour.
Différents projets d'emplacement dans les Alpes valaisannes furent examinés, mais c'est surtout à la demande de notre honoraire aujourd'hui décédé, Monsieur Albert Barbey, que le site de le Neuvaz fut choisi, pour les raisons suivantes : c'est surtout la région comprise entre Orny, Saleinaz, la Neuvaz, qu'Edouard Dufour affectionnait; durant toute sa carrière d'alpiniste, c'est là qu'il aimait à venir, il en connaissait tous les sommets, tous les passages; architecte de la première et de la cabane d'Orny actuelle, il avait vécu dans ces parages les plus beaux jours de sa vie.
C'était donc bien dans cette région qu'il fallait construire le refuge qu'il nous offrait si généreusement et où il l'aurait placé lui-même.
D'un autre côté, tant de souvenirs dans ce cirque glaciaire de la Neuvaz se rattachent à l'histoire de notre section.
N'est-ce pas Javelle, un de nos premiers présidents, qui fit l'ascension du Tour Noir ?
Albert Barbey fit dresser la carte de toute cette chaîne.
Une cabane à la Neuvaz honorait la mémoire d'Edouard Dufour et en même temps consacrait les exploits et le souvenir de nos collègues disparus.
Enfin comme nous l'avons dit, le Club Alpin Suisse avait marqué cette région dans la liste des cabanes à construire.
Fin 1924, notre section engage des pour pourparlers avec la Commune d'Orsières pour obtenir la concession pour un emplacement dans le cirque de la Neuvaz.
Aucune démarche dans ce but n'a encore été faite par aucune section du CAS ou société alpine; nous avions donc la priorité.
En juin 1925, la commission composée de Messieurs A. Barbey, J. Centurier, B. Grivel président, Wanner,* Revaz,* Professeur Mercanton, Ch. Trivelli, L. Seylaz, E. Francillon, se rend sur les lieux.
Après un examen attentif de la région, elle désigne l'emplacement de la cabane sur ce merveilleux belvédère où elle est édifiée aujourd'hui.
Des cairns sont dressés, ils restent debout toute cette année; l'emplacement est à l'abri des chutes de pierres et des avalanches.
La concession définitive nous est accordée par le Conseil d'Etat valaisan le 26 juin 1926.
Nous exprimons encore toute notre gratitude au Gouvernement Valaisan et aux autorités de la Commune d'Orsières de nous avoir permis de réaliser notre projet, et pour toutes les facilités qu'ils nous ont accordées au cours de la construction.
Le CC du CAS qui était à Berne à l'époque de nos projets s'est montré dès le début favorable à l'édification d'une cabane à l'A Neuve; à l'assemblée des délégués à Interlaken en septembre 1925, son président, le Dr Leuch* faisait voter par l'assemblée que la cabane Dufour viendrait en tête pour la prochaine subvention qu'accorderait le CAS.
L'assemblée des délégués réunie à Lausanne en novembre 1926 accordait à la Section des Diablerets la subvention demandée.
Nos collègues Monsieur J. Centurier et Ch. Trivelli architectes ont été chargés par la Section de diriger la construction de la cabane d'après les plans de Messieurs Brügger et Trivelli.
Le 4 septembre 1927, plus de 250 clubistes venus de toutes les régions de notre terre Romande fêtaient avec la Section des Diablerets l'inauguration de ce nouveau refuge des Alpes Valaisannes.
Et maintenant cette cabane a ouvert sa porte aux alpinistes épris du désir de parcourir les hauts sommets, les passages de cette région grandiose¸ elle accueillera au retour des alpinistes peut-être fatigués, son atmosphère réchauffera les corps fouettés par la tourmente; mais chez tous, brillera cette flamme de bonheur qui passe dans les yeux au ressouvenir de l'escalade, de la lutte avec la glace et le rocher, des visions féeriques qu'on ne trouve que là-haut.
Tous ceux qui passeront ici pourront dire avec Javelle : "j'ignore ce qui m'attend au-delà de la vie, ce que sera le monde à la fin des siècles, mais en ce moment, dans cette riche lumière, dans cet air pur des Alpes, j'ai vraiment vécu et tout un ciel était dans mon cœur".
Dr M. Bud…..*
Edouard Dufour 1855 - 1924
Grav. et Imp. Sadag, Genève
Tirée de l'Echo des Alpes, 1924
Alpiniste de la première heure, à l'âge de dix huit ans, Edouard Dufour, en compagnie de ses amis Javelle et Béraneck* explorait la région du massif du Trient.
Dès 1874 ils songent à en faciliter l'accès et projettent la construction d'un refuge.
En 1875 un emplacement est repéré près du lac d'Orny; ce fut Dufour qui en dirigea les travaux; vingt ans plus tard Edouard Dufour collabora à la construction de la Cabane d'Orny actuelle; c'est pendant ses séjours à Orny qu'il fit, soit avec Javelle, soit avec d'autres amis, plusieurs ascensions dans le massif :
Le Portalet par la face Nord, la Pointe des Ravines Rousses, la Petite Fourche etc (L. Seylaz)
Edouard Dufour était un modeste, il ne se mettait jamais en avant que pour rendre service à ses collègues et à sa chère société.
Jusqu'aux derniers jours de sa vie, il fut un membre assidu de notre réunion et de nos manifestations.
Il aimait revivre ses souvenirs d'alpiniste en étant avec nous; récits des courses, projections, tout l'intéressait; lorsqu'en décembre 1920, la section des Diablerets l'acclama membre honoraire il en fut infiniment touché et ne pouvait cacher son émotion; il disait : je n'ai rien fait pour mériter un pareil honneur, et il ajoutait encore, c'est pour moi le plus beau jour de ma vie.
Par sa vie clubistique, pour son amour pour la montagne, par son dévouement à la cause qui nous est chère, Edouard Dufour a bien mérité du Club Alpin.
Puisse le cabane construite grâce à sa générosité, montrer aux générations actuelles et futures d'alpinistes, l'exemple d'un homme profondément bon, fidèle à ses amis, dévoué à sa chère Société.
M.B
Construction de la Cabane Dufour au val de la Neuvaz
Histoire de la construction
18 mars 1925
La commission nommée par la section des Diablerets pour s'occuper de la construction de la cabane, examine divers emplacements.
Elle en retient deux : le val de la Neuvaz et le col Tracuit.
Il est décidé d'aviser les communes d'Orsières et d'Ayer que la section des Diablerets étudie la construction d'une cabane, et qu'elles veuillent bien lui réserver la priorité sur toute autre demande.
6 - 7 juin 1925
La commission, à laquelle se sont adjoints quelques membres de la section se rendent dans le val de la Neuvaz pour recherche d'un emplacement.
Elle voit au passage le Président de la Commune d'Orsières et son secrétaire, puis s'en va coucher à Prarion.
Le 7 juin à 4 heures 30 elle passe par les chalets de l'Amone et pénètre dans le val de la Neuvaz.
Le sentier est bientôt perdu et la commission chevauche avec difficulté dans un formidable pierrier.
Enfin elle passe un pont et grimpe avec assez de peine la pente raide de la rive gauche du torrent la Neuvaz.
Trop tard la troupe est avertie qu'elle fait fausse route.
Une marche de flanc, en franchissant des couloirs, dont un, peu commode, amène enfin la commission à environ 2300 m sur la moraine.
Là elle y trouve des steinmanns plus ou moins démolis par l'avalanche, érigés depuis environ 5 ans par l'Union montagnarde de Genève.
Cette société a fait chaque année des essais mais n'a pas trouvé encore d'emplacement sûr, ni le pouvoir financier pour permettre cette construction.
Poussant plus haut, les explorateurs trouvent un emplacement à 2600 m qui pourrait éventuellement recevoir la cabane, mais avec le secours de murs de protection.
Alors que le gros de la troupe renonce à chercher plus haut, un petit groupe monte encore pour explorer un éperon se détachant du flanc des Essettes.
Un hourra annonce qu'ils ont trouvé l'emplacement désiré.
Cette plateforme paraît bien à l'abri des avalanches.
L'eau est abondante à deux minutes et les matériaux couvrent l'emplacement.
24 juin 1925
Sur le rapport de la commission de construction, la section des Diablerets approuve à l'unanimité l'emplacement de la Neuvaz et décide de faire une demande de subvention au comité central du CAS.
Centurier et Trivelli sont désignés comme architectes.
Il est en outre décidé la construction d'une cabane sans gardien.
11 - 12 juillet 1925
Course dans le val de la Neuvaz pour voir si la source donne toujours. L'année a été très peu enneigée.
La réserve de neige derrière la cabane est aux ¾ épuisée, mais la source coule très abondamment.
28 juillet 1925
Le projet présenté par les architectes prévoit 21 couchettes. Il est accepté par la commission.
1er décembre 1925
Les architectes présentent le devis, savoir :
Construction Fr. 27'000.--
mobilier Fr. 3'000.--
chemins Fr. 2'000.--
Total Fr. 32'000.--
Le projet est accepté et il est décidé la mise en soumission.
27 - 28 mars 1926
Centurier et Trivelli se rendent à Orsières pour donner des explications aux soumissionnaires.
Le garde chasse Rausis explique que les mulets ne pouront pas aller plus haut que le rocher de la cascade où il devra être fait un dépôt. De là, le transport se fera à dos d'homme.
Le pont pour passer le torrent se fera immédiatement au-dessus de la cascade, au point le plus étroit.
Après examen des soumissions, il est décidé d'adjuger les travaux de maçonnerie à Monsieur Chabod d'Orsières, ceux de charpente et menuiserie à Monsieur Henri Thétaz de Praz de Fort et de couverture à Balleys d'Orsières.
19 - 20 juin 1926
Après grande série de pluie, course avec les entrepreneurs pour examen des lieux, tracer les sentiers, et voir l'état du steinmann sur l'emplacement.
Depuis le rocher de la cascade tout est sous la neige fraîche. Après 5 pénibles heures on atteint l'emplacement. La neige est propre, sans aucune trace de pierres. Le steinmann est intact.
Les 2 couloirs des Essettes reçoivent plusieurs fois dans cette journée des avalanches. De partout il en descend et l'on peut suivre très bien leur direction habituelle. La descente se fit en faisant partir l'avalanche devant soi.
9 - 10 juillet 1926
Seylaz, Bally, Trivelli montent pour tracer la cabane et prendre les niveaux. Grand beau.
24 juillet 1926
Course pour surveillance des travaux de fondation. La hauteur des blocs épars couvrant le rocher est très forte.
21 - 22 août 1926
La cabane est fondée, sauf partie au nord.
8 - 9 septembre 1926
Le mur de soutènement est bâti. Les murs de la cabane et le fronton sont construits jusqu'à mi-hauteur.
18 - 19 septembre 1926
Les maçonneries sont prêtes à recevoir la charpente.
10 octobre 1926
La cabane est sous toit. Les volets et la porte sont posés. La couverture en tôle galvanisée a été finie à l'arrivée de la 1er neige. La cabane ainsi fermée peut passer l'hiver.
5 juin 1927
Visite de la cabane. Elle a bien tenu. Les travaux peuvent recommencer dans huit jours.
16 - 17 juillet 1927
Le géomètre Carrupt qui fait de la triangulation pour le bureau fédéral nous donne la cote exacte du plancher de la cabane. Les travaux intérieurs ne sont pas encore repris.
30 - 31 juillet 1927
Fait le tracé pour inscription sur le bloc Javelle. Les menuisiers font les boisages intérieurs et la pose des couchettes, escaliers, etc. Le maçon est en retard pour la pose des dalles pour sol de la cuisine et des W.C. Derniers arrangements.
Le peintre Kehrly et Ch. Brugger architecte font la décoration de la cabane. Le maçon ne finit ses travaux que maintenant.
Le menuisier donne la main pour la pose des lustres, des crochets, des tableaux. Tout est en déroute.
Depuis huit jours la neige a empêché de monter avec les mulets pour porter le matériel en cabane. C'est demain l'inauguration.**
Les cuisiniers arrivent et déballent les ustensiles. Tout est pêle mêle. Chacun court dans un sens et dans l'autre.
Cependant l'organisation a raison peu à peu du fouillis et la cabane prend une tournure digne du grand jour de l'inauguration.
En bas, à la Fouly, dans l'hôtel Rausis ils sont déjà en fête les 200 et quelques clubistes venus pour assister à l'inauguration.
4 septembre 1927
Par temps maussade, brouillard succédant à une nuit de pluie, une longue colonne s'élève par le bon chemin muletier et s'arrête une demi-heure devant le roc Javelle pour entendre quelques mots bien sentis du Président, Monsieur Bornand et des vers de Monsieur Campiche.
Le brouillard se lève en même temps que les drapeaux qui couvrent l'inscription commémorative : à E. Javelle, la Section des Diablerets du C.A.S.
Puis, le long serpent se meut à nouveau et parvient au rocher de la cabane où une corde placée le long de la paroi donne de l'aplomb aux moins courageux.
Le temps reste boudeur. La vue sur le Dolent et le Tour Noir n'est que partielle.
Les cuisiniers offrent le thé chaud.
Derrière la cabane toute l'assistance se réunit pour la cérémonie officielle ouverte par le Président de la section; Monsieur le Curé d'Orsières bénit la cabane; le président de la section remet la cabane au président du comité central Monsieur Faes, lequel répond en termes élevés; le Préfet de la Vallée fait un très impressionnant discours en rapprochant le Club Alpin et la Section des Diablerets du beau canton du Valais.
Les présidents des sections apportent leurs vœux et leurs cadeaux.
Et tandis que l'assistance entonne tête nue "Sur nos monts quand le soleil", les nues s'ouvrent et le soleil vient éclairer cette scène et sécher les nombreuses larmes d'émotion qui sont venues perler aux yeux de beaucoup de clubistes.
Le Tour Noir, les aiguilles rouges et le Dolent se montrent alors dans toute leur beauté. La cérémonie est finie. La soupe est servie.
Depuis 14 heures les groupes descendent pour rejoindre à la Fouly les autocars qui les conduiront à Orsières.
Ainsi finit cette journée du 4 septembre 1927 qui restera pour tous un inoubliable souvenir.
Ch. Tivelli
Tous les entrepreneurs
Architectes : Jules Centurier et Ch. Trivelli
Maçon : Chabod d'Orsières
Charpentier menuisier : Henri Thétaz
de Praz de Fort
Couvreur : Oscar Balleys d'Orsières
Tailleur de pierres : J. Antonioli à Orsières
Transports : J. Lattion à Orsières
© Daniel Rapin, Section des Diablerets
***
* Orthographe incertaine ** *Confusion de date.
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Un immense merci à Christine Rapin pour ce magnifique dossier. NB: Je cherche une photographie de Monsieur Edouard Dufour pour l'insérer dans son historique !
Un Merci à Sylvie Bazzanella pour la photographie d'Edouard Dufour !