L’Hospitalier et la Basoche - la vache ou la collation -

11 avril 1757
Saint-Maurice
JeanPaul Rouiller

L’idée de cette petite histoire est née en fin d’année 2022. Je farfouillais dans les archives de l’Abbaye, en quête de documents sur la « Basoche », ceux que l’on appelle aussi les « Enfants sans soucis », les « Sots » ou encore les « Garçons de la ville » .

Selon Larousse, la Basoche aurait regroupé les « clercs des cours de justice qui étaient constitués en associations » et « dont l'origine remonte à Philippe le Bel ». Une autre définition parle d’une « ancienne association hiérarchisée des clercs de procureurs du Parlement de Paris et de certaines villes de province, ayant de nombreux privilèges, dont une juridiction particulière ».
J’étais tombé sur ce nom lors d’une recherche sur le théâtre en Agaune. Regroupant fils de nobles et de bourgeois, cultivant les arts oratoires une bonne dose de mauvaise foi et un goût prononcé pour les mauvais coups, « ces messieurs les badausseurs » participaient aux activités théâtrales du bourg. Ils étaient aussi, et c’est là tout le propos de mon petit récit, chargés de nettoyer la grand rue de Saint-Maurice à la fin de l’hiver ramassant, collectant, lisiers, détritus et bois perdus avant les processions de pâques.
En Agaune donc, le « badaudage » prenait aussi la forme d’un sérieux et très attendu nettoyage de printemps de la grand rue. Une fois les lisiers dégagés et le bois ramassé, les badausseurs apportaient le tout à l’hôpital Saint-Jacques. Le bois servait aux cuisines, les lisiers étaient épandus sur les jardins et champs de l’institution, garantissant ainsi la vitalité des sols cultivés, labourés et semés.
En remerciement, la tradition exigeait que le chanoine en charge de l’institution offrit, le lundi de pâques, une collation aux jeunes badausseurs, afin de les remercier de leurs efforts.
Telle était la tradition lorsque tout se déroulait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Il n’en fut pas tout à fait ainsi en la fatidique période de pâques 1757. Recteur de Saint-Jacques, le chanoine Georges Schiner connaissait dite tradition. Il savait aussi que cette dernière avait, depuis fort longtemps, pris un tour un peu particulier. Il y avait en effet belle lurette que les ordures collectées à la fin de l’hiver n’étaient plus « offertes » à Saint-Jacques. Non.
Bois et lisiers étaient désormais revendus aux plus offrants. Les deniers ainsi collectés tombaient directement dans les poches de nos jeunes badausseurs.
Le 17 avril 1757, lundi de pâques, les représentants de la Basoche agaunoise se présentèrent à l’huis de Saint-Jacques. Surpris mais courtois, l’hospitalier les reçut et leur servit force vin.
La rencontre dura.
Tant et si bien que le chanoine se résolut à exiger des forts joyeux jeunes gens qu’ils quittassent les lieux.
Ce que les badausseurs refusèrent, réclamant la collation promise par la tradition.
À son tour, le père Schiner se rebiffa, arguant du fait qu’il n’avait reçu ni lisier, ni bois.
Le ton monta, les présents s’échauffèrent.
Et si les badausseurs finirent par quitter l’hospice, ils ne partirent pas seuls : une vache, propriété de Saint-Jacques fut emmenée par les jeunes gens. Très vite la plaisanterie devint affaire publique. L’Abbaye menaça d’excommunication, soutenus par les édiles du bourg, les baudausseurs campèrent sur leur position. En peu de mots comme en beaucoup, l’affaire devint celle de « L’hospitalier et de la Basoche ». Elle pouvait se résumer en une équation des plus simples : pas de collation, pas de restitution et donc, moultes excommunications !
La guerre des mots dura presqu’un mois. L’affaire se fraya un chemin jusqu’à Sion. Elle fit, à n’en pas douter, les délices de l’évêque et de l’un ou l’autre homme fort de la république des Sept Dizains. Pour picaresque qu’il soit, cet épisode de notre histoire eut même un effet certain (d’aucuns interjetteraient « inespéré ») : il clarifia une bonne fois pour toute les droits et devoirs de chacun, Basoche, hospitalier de Saint-Jacques et Abbaye, quant à la traditionnelle collation du lundi de pâques.
Mais, me direz-vous, qu’advint-il de la vache ?
À son sujet aussi, archives consultées, documents compulsés se refusent à toute confidence et demeurent désespérément mutiques. La belle à cornes ne fut jamais restituée aux écuries de Saint-Jacques.
Ce que les documents ne disent pas non plus, c’est la façon dont les badausseurs et l’hospitalier Schiner reprirent leurs petites affaires après cette mémorable passe d’armes.

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