Mémoire du clocher de Morges de 1578

Philippe Chappuis

Quelle surprise !! En parcourant les archives familiales des Chappuis de Bremblens et de leurs ancêtres Roux, nous tombons sur un papier manuscrit intitulé Mémoire concernant le clocher de Morges de 1578, daté de 1728 et écrit de la main d'un certain Larguille et dont voici la 1ère page

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et les premières lignes :

"Copie d’une partie des mémoires qui se sont trouvées au pommeau du clocher de Morges, ayant été obligé de faire raccommoder la croix et son soutien qui fut cassé par le tourbillon qui se fit en juillet 1728."

Le clocher en question est celui de l'ancienne église de Morges, dont l'origine remonte à la «chapelle» de Morges, sans doute contemporaine de la fondation de la ville. Elle est attestée dès 1306, apparaissant, vers la fin du Moyen Age, sous la dénomination de «Notre-Dame»vers 1490. Elle sera en partie désaffectée sous le régime bernois. En 1769, elle sera démolie et remplacée par le temple que nous connaissons.

En voici une image datant du milieu du XVIIIe s. avant sa destruction,

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et une reconstitution de la main de Ric Berger en collaboration avec l'historien Emile Küpfer

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En 1578, sous régime bernois, le clocher nécessitait des réparations qui ont été confiées à Claude Cloue, appelé notre Chapuis (charpentiers) de la ville et à son frère Humbert. Les travaux terminés le notaire et membre du Petit Conseil, Pierre Curtet s'exprime ainsi:

"pour future mémoire, j’ai voulu ici en substance décrire une partie des choses qui se sont passées cette année pour future mémoire"

Les travaux terminés, ce mémoire, écrit sur un parchemin, sera placé dans le pommeau du clocher. En 1673, une nouvelle dégradation du clocher nécessite de nouvelles réparations. La croix , le poulet et le pommeau sont descendus au sol et l'on découvre le mémoire de 1578, mais dans un état de pourriture rendant sa lecture diffficile. Néanmoins, le justicier Jacques Dubosson parvient à en faire une copie qui sera réintroduite dans le pommeau du clocher et c'est en 1728 qu'il est découvert, lors d'une nouvelle réparation du clocher endommagé par un "tourbillon".

Le nommé Larguille fit une copie d'une partie des mémoires trouvés en 1728 et , pour une raison qui restera mystérieuse, disparaît des archives de la ville de Morges et se retrouve dans les archives de la famille Roux !

En voici le contenu:

Mémoire concernant le clocher de Morges de l’an 1578
Copie d’une partie des mémoires qui se sont trouvées au pommeau du clocher de Morges, ayant été obligé de faire raccommoder la croix et son soutien qui fut cassé par le tourbillon qui se fit le….juillet 1728.

Au nom de Dieu, Amen: A tous soit présent, soit avenir, soit chose notoire que l’an de grâce après la nativité de notre Sauveur courant 1578, étant venu à notice à mes très honorés Seigneurs du Conseil de cette ville de Morges , que au-dessus de la dague soit anglette de ce clocher et en dedans il y avait du marin gâté et pourri par la pluie qui y coulait depuis longtemps, désirant subvenir et y remédier, par ordonnance et commandement faits par mes dits honorés Seigneurs du Conseil étroit à honorable Pierre Vidor Syndic et gouverneur de cette ville , par Claude Cloue notre Chapuis de Ville et Humbert Cloue son frère, ayant fait huïts pour en la dite anglette, depuis la fenêtre dessus qui est au milieu de la dite anglette jusqu’à la croix, ont ôté le poulet, la croix et le pommeau et les ont descendus jusqu’à terre, aussi visité les lieux nécessaires en la dite dague ou anglette, d’y racoutrer, cela étant fait ont retournés les dits, pommeau, croix et poulet en leur première place, dont, pour future mémoire, j’ai voulu ici en substance décrire une partie des choses qui se sont passées cette année. Nous avons pour Seigneur Baillif très honorable et prudent Seigneur Hans Frisching, bourgeois de Berne bourgeois de Berne, pour pasteur, docte et savant Jean Mallot grand ministre et respectable Claude Magnac Diacre ; Jean Delacoudrée Régent des Ecoles de Morges.

Les Seigneurs du Conseil étroit de cette ville tels qu’ils sont en ordre en Conseil, Noble Jean Daubonne, chatelain de Morges, Seigneur de Goumoëns, Noble Pierre Dufolay Banderet, Egrège Nicolas Gaudin, Noble Pierre Pichot, Noble Jean Richer Juge du Consistoire, Egrège François Warnery Curial de la Justice ordinaire, Honorable Abraham Malherbe abbé de l’Abbaye de ce lieu , Egrège Pierre Cartat, Honorable Pierre Conod, Noble Jean Pappau, Honorable Pierre Curtet.

Les Seigneurs du Conseil appelé 24 sont Martin Pappau, Thiven Buchillon, Guillaume d’Aubonne, Pierre Nicod, Francois Clerdoux, Francois Bachÿe, Nicolas Blanchenay, Francois Conod, Claude Dunant, Laurent Fesse, Bernard Dufson, Louys Guibaud, Pierre Vidoz gouverneur, Guy Mandrot, Jean Vaudaux, Mennet Grausard hospitalier, Egrège Jaques Deletraz, Noble Jaques Dusolay, Jean Mayor, Pierre Andry, Jaques Conte officier de Ville.

Les Seigneurs de la Justice ordinaire sasseant Noble Jean D’Aubonne Châtelain, Noble Pierre Duvolay, Egrège Nicolas Gaudin, Noble Francois Delugrin, Egrège Etienne Cartat, Noble Benoit Pichot, Honorable Pierre Risset, Abraham Malherbe, Francois Clerdoux, Jean Vaudaux, Nicolas Blanchenay, Egrège Francois Warnery Curial.

Les officiers Pierre Blanc, Dominique Noël, Jean Ensermoz, Daniel Renaud.

Le prix des graines, la coupe de froment, mesure de Morges, a valu sept à huit florins, l’avoine environ 2 florins la coupe, le char de vin blanc de cent jusques à sept vingt et dix florins, le salognon de sel cinq sols six deniers, les Bleds ont été rares toutefois bien grenés, Dieu merci tant que la gerbe a fait plus d’un quarteron.

**Sur le jour de Pâques, présente année, la Cité de Genève a été grandement émue et aussi ce pays a été en crainte d’être surpris des Guisards tellement qu’on a fait d’élections pour ce pays et même en cette ville de Morges on a bien équipé et fourni au nombre de cent et cinquante soldats, le lundi après Pâques, prêts pour aller à Genève.****Cette année dernière passée, au mois d’octobre s’est apparu une grande comète du côté d’Occident, et c’est ce que j’ai voulu substantiellement mettre par écrit, pour être véritable par moi Pierre Curtet, notaire et posé par les sus dits Chapuis le lundi 2e août 1578.****Le paufert qui soutient la grande croix a pesé au poids de Morges 53 livres. Le pommeau de cuivre a été mesuré ayant contenu trois quarterons et demi d’avoine et a pesé onze livres, la croix de hauteur et largeur de tout carré à six pieds et a pesé soixante trois livres.**Maitre Humbert Cloue Chapuis étant au-dessus de la longuette se tenant à la croix a jeté en bas une ficelle tenant l’un des bouts depuis le haut du poulet et moi Curtet étant à la porte du clocher tenant l’autre bout et étant mesurée s’est trouvé que le clocher est haut de cent septante pieds, fait à Morges, le second jour du mois d’août, l’an 1578 ainsi l’atteste signé Pierre Curtet.

Cette remarque a été levée d’un vieux écrit signé par Egrège Pierre Curtet conseiller du dit Morges, par honorable Jaques Dubosson Conseiller et justicier à Morges ce jeudi 20 mars 1673 auquel temps le poulet, la pomme et la croix ci-dessus ont été apportés en bas pour raccomoder comme précédemment.

Signé Larguille

Nous avons contacté Paul Bissegger, historien de l'art, auteur du volume magnifique sur Morges (Monuments d'Art et d'Histoire) pour lui demander son avis. Voici sa réponse:

Cher Monsieur,

Quelle surprise ! Vous avez fait une découverte surprenante. L'histoire joue parfois de ces tours:un document que l'on croyait perdu à jamais, ou dont on ignorait même l'existence, réapparaît soudain de la manière la plus inattendue !
Ce texte est évidemment très intéressant et donne de nouvelles indications sur le détail du couronnement du clocher de l'ancienne église de Morges. /.../Le justicier Jacques Dubosson a pris la peine de déchiffrer et a eu l'intelligence de transcrire le texte. Très bon point pour lui ! Ce geste l'honore, encore trois siècles plus tard !
Si vous le permettez, je vais communiquer ces informations ma collègue Catherine Schmutz qui me succède à la rédaction des Monuments d'art et d'histoire. Elle va le glisser dans le dossier du temple de Morges , où les historiens du futur pourront les retrouver.
Le temps détruit tant de choses ! Heureusement que des pépites resurgissent parfois !
En vous remerciant très vivement de m'avoir tenu au courant de cette belle découverte, je nous salue, Cher Monsieur très amicalement, Paul Bissegger

Le document fera l'objet d'une donation aux Archives Communales de Morges

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  • Renata Roveretto

    Cher monsieur Philippe Chappuis, merci pour ce récit fort intéressant, racontant cette histoire extraordinaire et touchante à la fois. Histoire d'ailleurs toujours pas terminée..

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