Histoire(s) de la Cinémathèque (5e partie: Langlois et Buache, même combat) Repérage

27 mars 2019
Lausanne
David Glaser
notreHistoire.ch

Cinquième partie de notre entretien croisé entre Freddy Buache - mort le 28 mai dernier à l'âge de 94 ans - et Frédéric Maire, les deux figures de la Cinémathèque suisse (le fondateur et le directeur actuel). Il est question dans ce volet du mentor de Freddy Buache, un certain Henri Langlois. Un homme inspirant, fondateur de la Cinémathèque française, ennemi déclaré de plusieurs grands noms du cinéma mondial (il rompt avec la Fédération internationale des archives du film après le congrès de Stockholm de 1959) et du monde parisien de la culture. Il s'était notamment mis à dos son collègue de la Cinémathèque de Toulouse Raymond Borde et le ministre de la culture du Général de Gaulle pour avoir négligé l'aspect administratif et financier de la Cinémathèque française, tout en étant incapable de maîtriser le droit de propriété de la cinémathèque et d'empêcher de se détériorer dans les blockhaus des milliers de films. Bon nombre de cinéastes influents vont prendre la défense de Langlois notant son talent artistique et philosophique. Daniel Cohen-Bendit, jeune étudiant et François Mitterrand le soutiendront aussi. En Suisse, Jean-Luc Godard comme Freddy Buache prendront la défense de celui qui a toujours soutenu le travail des Helvètes. Buache veut protéger celui qui lui a mis le pied à l'étrier. Il admettait que Langlois ne "connaissait pas l'angle droit" mais que cela n'enlevait aucunement le talent qu'il montrait pour défendre l'archivage et la mise en valeur du 7e art.

Freddy Buache et Frédéric Maire au domicile du premier le 9 janvier 2019.

Freddy Buache: "Le responsable de la cinémathèque de Toulouse Raymond Borde a travaillé avec Henri Langlois. Il est allé chez lui. Il envoyait des copies de films depuis Toulouse. Langlois ne les renvoyait pas à Toulouse, d'où les mauvaises histoires qui ont suivi. Quand ils ont chassé Henri Langlois brutalement et bêtement de la Cinémathèque française, Raymond Borde est allé avec le nouveau directeur de la cinémathèque (ndlr: Pierre Barbin) dans les blockhaus, ils ont démontré que les bobines de films n'étaient pas en bon état. Il a donc fait paraître une lettre dans Le Monde. Après cette prise de position, je lui ai dit: "dorénavant je ne te parle plus". Bon, après on s'est réconcilié. On allait à Munich, à Luxembourg, à Bruxelles, on montrait ces films à des amis qui restaient pendant dix jours là avec nous. C'était toute l'histoire du cinéma. Mais à l'époque, les films, il fallait les voir, il fallait aller à la Cinémathèque qui voulait bien les montrer. Des trucs invisibles à cause des ayants-droits, des producteurs... Pour tout le monde, on vivait loin de l'économie, on ramassait les copies et après on les gardait pour nous. On n'avait pas de rapport avec les gens qui n'avaient plus de droits sur les films. Il y avait une usine à Avenches où des paquets de films disparaissaient tout le temps. On a lutté contre ça."

Freddy Buache: "J'étais un enfant de Henri Langlois. J'ai toujours été du côté de Langlois. Il y a toujours eu des gens qui étaient là pour l'un ou pour l'autre. Il y a donc eu des bagarres. A la FIAF (fédération internationale des archives du film). Il y a eu une bagarre avec Jacques Ledoux (cinémathèque royale de Belgique). Il était polonais et avait survécu à sa déportation à Auschwitz. Avec Jacques Ledoux , il y a eu un congrès au Pays-Bas. Il y a eu des discussions qui ont mené à notre départ de la FIAF. Je suis donc sorti avec quelques autres personnes... On voulait faire une nouvelle FIAF. Mais Henri Langlois ne connaissait pas l'angle droit... (rires), mais c'était surtout un type inspiré."

"Ma rencontre avec lui a eu lieu à Lausanne. On est allé boire un verre. Il m'a dit quand je l'ai rencontré qu'il y avait deux personnes que je devais contacter: Claude Emery et René Favre. Il avait leurs numéros de téléphone. "Tu devrais appeler ces deux personnes" insiste-t-il. Un soir, il y avait un film de Jean Grémillon qui était joué. Moi, je tombais des nues car je montais la compagnie des «Faux-Nés» avec Charles Apothéloz. Plus tard, j'étais à Paris, chez Henri Langlois. Quelqu'un me dit "j'habite à Saint-Germain, venez chez moi, ma mère a une chambre qui peut vous accueillir", c'était Franju (le réalisateur cofondateur de la cinémathèque)."

Freddy Buache: "Beaucoup plus tard, on a essayé de faire des choses à la FIAF, notamment une bibliothèque internationale du cinéma. Les Allemands étaient venus avec un camion rempli de livres. Mais nous, on est parti de la FIAF."

"Après notre premier départ de la FIAF, j'avais des relations avec la Cinémathèque de Moscou. C'était un communiste incroyable qui était à la tête de la FIAF. Je suis donc de retour dans les réunions de l'institution sans me préoccuper de Henri Langlois en 1973 lors de la FIAF de Moscou."

Rendez-vous demain mercredi pour la 6e partie de notre série sur la Cinémathèque suisse.

Par David Glaser

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