Drame de la route

26 juin 1944
Paul-André Florey

Anniviers, été 1944

Accident mortel sur la route Vissoie – Sierre

La deuxième guerre mondiale semait partout l’horreur et la misère. La Suisse, épargnée par le conflit, devait être prête à défendre ses frontières. Un détachement de soldats du val d’Anniviers assurait la couverture de frontière au fond de la vallée. Il était cantonné à Zinal.

En ce temps-là, âgé de 8 ans, j’avais fait ma première communion au mois de mai de la même année et dès lors j’allais tous les jours le matin de bonne heure servir la ou les messes à l’église paroissiale de Vissoie.

Ce matin-là, cela devait être le lundi 26 juin 1944, il était peut-être 6 h du matin, je me rendais à l’église et venant de notre chalet situé sur la route de St Luc, au quartier de la « Machigeaz », j’arrivais un peu avant la place du village et là je vois déboucher de la route d’Ayer, vers le magasin de Massy (bâtiment qui n’existe plus actuellement), un cycliste qui continua sa route direction Sierre. Sur le moment je n’ai pas prêté attention qu’il s’agissait d’Erasme Melly de Mission, marié et père de famille. Après avoir servi une ou plusieurs messes, je suis retourné à la maison pour prendre le petit déjeuner. C’est alors que j’ai appris de mon papa (Edouard Florey 1901-1985) qu’Erasme Melly avait eu un accident mortel sur la route d’Anniviers au lieu-dit « Les Croisettes » à environ un kilomètre et demi du village de Vissoie.

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Les Croisettes, photo Albert Emonet, 1947

Par la suite j’ai appris les circonstances de l’accident. Erasme Melly, mobilisé à Zinal, avait obtenu un congé militaire pour aller travailler sa campagne à Sierre. Il avait dormi chez lui à Mission et de bonne heure, ce lundi matin, il prit son vélo pour se rendre à Sierre. En ce temps-là la route d’Anniviers était très étroite et elle n’était pas asphaltée. Arrivé aux « Croisettes », apparemment, il fut surpris de voir surgir d’un virage un car postal conduit par M. Sommer, il perdit le contrôle de sa bicyclette et vint heurter à gauche le mur bordant la route. Le choc fut si brutal qu’il fut projeté à 150 mètres au bas des rochers dans un pierrier. Il fut tué sur le coup.

A midi j’ai reçu la mission de mon papa d’aller devant l’Hôtel d’Anniviers faire une commission de téléphone à son cousin Arthur Zwissig, propriétaire de l’ambulance de Sierre. Arrivé sur place j’ai vu un char à ridelles attelé au mulet de François Savioz (1896-1977) de Vissoie. Sur le char un matelas sur lequel il y avait une tache de sang. Le corps d’Erasme Melly avait déjà été transféré dans l’ambulance pour être transporté à son domicile à Mission. Je me souviens encore d’avoir vu sur place Rémy Epiney (*1927) de Cuimey le neveu du défunt. Cette scène a douloureusement marqué le petit garçon que j’étais.

J’en conclus que l’on avait été lever le corps au bas du rocher et on l’avait chargé sur un char à ridelles pour le ramener, par la route forestière et la route de Sierre, à l’entrée du village de Vissoie, devant l’Hôtel d’Anniviers.

Erasme Melly a eu droit à un émouvant enterrement militaire à Vissoie, car Mission fait partie de cette paroisse. Parmi ses camarades de service il y avait Jean Daetwyler, le réputé musicien et compositeur. Il avait spontanément composé une marche funèbre pour fifres et tambours, car parmi les soldats il y en avait plusieurs qui jouaient de ces instruments. Moi, j’ai eu le grand honneur de pouvoir service la messe d’enterrement, souvenir inoubliable. Le cortège funèbre était conduit par un groupe de fifres et tambours jouant la marche composée pour la circonstance par Jean Daetwyler. Cette mélodie a été reprise par la suite par le compositeur dans différentes œuvres dont « Suite anniviarde », « Le Grand Barrage », « Messe valaisanne » … Dans l’assistance on pouvait noter la présence des camarades de service d’Erasme Melly mais aussi un grand nombre d’officiers de tout grade. Au cimetière un moment très poignant fut certainement le tir des salves d’honneur. M. Sommer, le conducteur du car indirectement impliqué dans cet accident, en uniforme de la poste, prenait part aux obsèques. Il avait le visage grave, très marqué par la peine et le chagrin malgré qu’il n’eût commis aucune faute.

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Photo, collection Grégoire Favre

Aujourd’hui j’ai 85 ans mais je n’ai jamais oublié ce douloureux souvenir et chaque fois que j’entends la mélodie de la marche funèbre pour fifres et tambours du maestro Jean Daetwyler ce douloureux épisode refait surface. Alors je me dis : mis à part M. Sommer, le conducteur du bus, je suis certainement le dernier à avoir vu vivant Erasme Melly. Il laissa une veuve et deux orphelins ! …

Consulter aussi le « Nouvelliste » du 28 juin 1944 : Un homme fait une chute de 150 mètres et se tue sur la route d’Anniviers.

Paul-André Florey, Vissoie et Dübendorf, Novembre 2021

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8 novembre 2021
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