Henriette Grindat, le soleil pour postérité
Henriette Grindat immense photographe lausannoise était une amie de mes parents.
Lors de l'exposition Henriette Grindat, photographe au musée Historique à Lausanne, j'avais gardé cet intéressant article que je vous propose avec l'aimable autorisation du Journal "Le Temps"Article Journal « Le Temps » mars 2010
Photographie jeudi25 mars 2010
Henriette Grindat, le soleil pour postérité
Par Luc Debraine
Adepte d'une photo lyrique, la Lausannoise (1923-1986) a séjourné en Méditerranée sous l'influence d'Albert Camus, en compagnie duquel elle a signé un beau livre. Une exposition fait resurgir ses images oubliées
Les photographies, elles aussi, prennent de l'âge. Le constat est flagrant dans la rétrospective des images méditerranéennes de la Lausannoise Henriette Grindat (1923-1986). Il est d'autant plus apparent que la photographe, telle une philosophe présocratique, a longtemps cherché à rendre ce que la mer, le soleil et la pierre ont de plus intemporel. Mais voilà: ce style élégiaque en noir et blanc, amateur de reflets, de surfaces et de textures, a vieilli depuis les années de l'après-guerre, où toute une génération reprenait goût à la vie.
Ce préambule en demi-teinte n'est pas une raison de bouder l'exposition du Musée historique de Lausanne. Le visiteur y fait de belles découvertes, comme d'admirables photos prises en Algérie dans les années 1950. Et il fait connaissance avec une forte personnalité de la scène artistique de Suisse romande dans ces années-là.
Henriette Grindat revendiquait son statut d'artiste à la suite de la photographie subjective allemande ou du Collège des photographes suisses (Werner Bischof, Gotthard Schuh et Jakob Tuggener). Les professionnels s'émancipaient alors de la fonction documentaire du médium pour embrasser la condition d'auteur à part entière. Henriette Grindat a été l'une des premières femmes photographes en Suisse à développer un langage personnel, subjectif, chargé de littérature comme un fleuve est chargé de limon fertile.
Adolescente à Lausanne, Henriette Grindat contracte une poliomyélite qui la tient longtemps alitée, à l'hôpital. Loin de se laisser abattre, la jeune fille développe son monde intérieur, forgeant un caractère aussi contemplatif que combatif. Guérie, la Vaudoise suit une formation photographique dans les écoles de Gertrude Fehr, à Lausanne puis à Vevey. Fehr transmet à son élève un intérêt pour les techniques expérimentées vingt ans plus tôt par les surréalistes: les montages, solarisations ou expositions multiples. Henriette Grindat, qui ne tarde pas à rallier Paris, trouve dans ces techniques sa première manière onirique. Elle fait la connaissance d'André Breton, Michel Butor, et Alain Resnais, rend visite à Ubac, Brassaï et Bellmer dans leurs ateliers. Grâce à Maurice Nadeau, un critique proche des surréalistes, Henriette Grindat expose ses photographies en 1949 à la librairie-galerie la Hune de Saint-Germain-des-Prés.
Rentrée en Suisse, la photographe se rapproche du graveur Albert Yersin, qui deviendra son mari, et fréquente l'atelier lausannois de la peintre Lélo Fiaux. Celle-ci encourage la jeune photographe à découvrir la Méditerranée. Au début des années 50, Henriette Grindat largue les amarres. Elle s'arrête en Provence, dans la région de l'Isle-sur-la-Sorgue qu'elle découvre en compagnie de René Char. Le poète montre à son ami Albert Camus les photos que la Lausannoise prend des îles et de l'eau dans cette ancienne terre marécageuse. Char et Camus décident d'en faire un livre. Camus écrit des courts textes en 1952. Mais l'ouvrage, La Postérité du Soleil, ne sera publié qu'en 1965 chez l'éditeur genevois Edwin Engelberts.
Henriette Grindat voyage ensuite pendant des années dans les pays méditerranéens. En particulier en Algérie, où, selon Camus, «la lumière est si éclatante qu'elle en devient noire et blanche». Elle découvre aussi l'Egypte, remonte le Nil jusqu'en Somalie, sillonne l'Espagne et l'Italie, s'arrête longuement à Venise. Son style antijournalistique s'attarde peu sur l'histoire, les monuments ou les particularismes des Méditerranéens.
Sa manière file plutôt la métaphore sensuelle de l'eau-miroir, ou de ce «liseré de mer, au-dessus duquel le ciel, comme une voile en panne, repose de toute sa tendresse», pour reprendre les mots de Camus.
A Lausanne, les éditions La Guilde du Livre font paraître Lausanne (1952), Algérie (1956), Méditerranée (1957) ou Le Nil (1960). Magnifiées par le procédé de l'héliogravure, les images en noir et blanc d'Henriette Grindat tiennent solidement ces livres. La photographe collabore avec des écrivains et poètes comme Henri Noverraz, Philippe Jaccottet et Pierre Chappuis. Dans les années 60 et 70, sa collaboration avec la presse ira s'intensifiant. La démarche sera alors plus documentaire, plus proche des réalités sociales de l'époque. Elle signera des reportages en Autriche et Tchécoslovaquie pour les éditions Rencontres dirigées par Charles-Henri Favrod.
Dans l'exposition, une ancienne interview télévisée permet de mieux saisir l'éthique de cette photographe intrépide, toujours à l'affût d'histoires «à écrire en photos».
«Henriette Grindat, Méditerranées», Musée historique de Lausanne, jusqu'au 13 juin 2010
Amie de Victor Desarzens voir :http://www.notrehistoire.ch/photo/view/37469/
et : http://www.notrehistoire.ch/group/victor-desarzens/photo/33788/
et aussi :http://www.notrehistoire.ch/photo/view/36533/
http://www.notrehistoire.ch/group/destins-de-femmes-au-xix-e-et-xx-siecle/photo/38316/
également :http://www.notrehistoire.ch/group/destins-de-femmes-au-xix-e-et-xx-siecle/photo/38075/
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