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Course UCJG/F au Crêt de la Neige_9

15 juin 1930
Crêt de la Neige
Claire Bärtschi-Flohr

Course UCJG Vernier au Crêt de la Neige le dimanche 15 juin 1930

Compte rendu par Renée Champendal (Flohr) (12 juillet 1913-20 janvier 1990)

La nuit est noire ; au lieu du rendez-vous, un petit nombre d'unionistes est déjà rassemblé. Il se grossit peu à peu et des petits chuchotements, des joyeuses exclamations se croisent, des poignées de mains s'échangent, troublant ainsi le calme de quatre heures du matin. Malgré l'enthousiasme du départ, quelques regards se tournent vers le ciel pour chercher une étoile parmi la masse sombre des nuages.

Mais qu'importe le temps couvert. Pleine d'espérance, notre troupe de vingt-quatre jeunes gens et jeunes filles se met en marche. Un instant, les souliers ferrés bousculent les pierres du chemin. Mais bientôt, la grande route atteinte, le bruit irrégulier des pas s'amortit sur le tapis que forme la route goudronnée. Ici, quelques jeunes gens s'essayent à faire des glissades, mais cela est quelque peu difficile car les « ailes de mouches et tricounis » sur du goudron ne peuvent remplacer des patins sur la glace.

Tout en discutant, nous marchons d'un bon pas. Le jour s'est levé lentement, une brume s'étend encore sur la campagne. A l'est, les nuages sont teintés de rouge et de rose par les premiers rayons du soleil. Tandis qu'à l'opposé, le Jura reste couvert.

La douane suisse est passée sans inconvénient. A la douane française, les douaniers ne sont pas très décidés à nous laisser passer, car nous ne possédons pas tous des passeports. Mais Monsieur le Président leur tourne un joli compliment, et, nous passons, accompagnés d'un sourire.

Nous traversons ensuite le village de Saint-Geny, encore plongé dans le silence. Là, nous quittons la grande route. Nous nous engageons dans un chemin à travers la campagne. D'un côté, une haie le borde, de l'autre, les champs s'étendent jusqu'au pied du Jura.

A mi-chemin, entre Saint Geny et Cergy-Dessous, une première halte est permise. L'endroit est délicieux : un pont est au travers de la route, bordé de deux garde-fous, un ruisseau passe sous ce pont, sautant et gargouillant entre deux berges de verdure. On remarque surtout de beaux acacias chargés de grappes blanches, que quelques-uns d'entre nous trouvent délicieuses. Aussi nous nous juchons sur les barrières du pont et respirons à pleins poumons le bon air du matin. Mais nos regards se tournent, attirés vers le Jura, car c'est là-haut que nous allons ! Monsieur Henri Gurtler nous montre un chalet à l'orée des bois et nous dit « nous dînerons vers ce chalet, près d'une fontaine ». Avant de repartir, pleins de joie et d'entrain, une main complaisante nous offre un pruneau sec. Une recommandation en passant : « quand vous allez à la montagne, prenez des pruneaux secs, ils passent très bien la soif !

Vestes et maillots superflus sont enlevés et, sacs au dos, nous marchons vers le but. Ainsi, tout en causant, en chantant, les petits villages tranquilles de Cergy-Dessous et Cergy-Dessus sont déjà derrière nous.

Tout à coup, un sifflement se fait entendre en tête de la troupe. Instinctivement, les mains se portent aux oreilles, afin d'adoucir l'éclat de cette musique soudaine. C'est, tout simplement, Messieurs Henri Gurtler et Fernand Rapin qui soufflent de toutes leurs forces, chacun dans un sifflet. C'est le signal d'une halte ! vite, les sacs sont à terre. Un petit mur au-dessus d'une vigne, nous invite à s'asseoir ; quelques-uns s'y installent, d'autres s'étendent directement sur les cailloux du chemin. A nos pieds, de charmantes orties nous laissent quelquefois l'empreinte de leurs caresses.

Un casse-croûte est autorisé ; les sacs sont ouverts, et un petit déjeuner ranime les estomacs qui, pour beaucoup, sont vides depuis la veille.

Au milieu de notre frugal repas, arrivent deux frères, Messieurs Charles et Albert Flohr, venus à bicyclette. Ils sont accueillis avec joie, et après les bonjours échangés, les mains serrées, ils redescendent à une ferme un peu plus bas pour y poser leur bicyclette. Les voilà revenus ; le signal du départ est donné.

Alors, sacs au dos, nous nous préparons pour la montée. Car, depuis là, nous quittons sans regret la route plate pour nous engager dans un sentier rocailleux.

Monsieur Léo Reymond nous fait remarquer que le long du chemin, nous trouvons des signaux indiquant la route à suivre ; quelques jeunes gens unionistes, partis au Crêt, un dimanche, avaient eu la bonne idée d'élever ces mâts indicateurs.

En voici un, nous dit M. le Président. Nous regardons, mais nous ne voyons qu'un amas de pierres, sans trace de mât. « Ce doit être la foudre qui l'a détruit » nous explique M. Reymond. Alors, pour remplacer le premier mât, emporté dans la nuit des temps, M. Albert Flohr réussit, après quelques tentatives infructueuses, par un prestige d'équilibre et de volonté, à faire tenir une longue baguette dans un tout petit trou de roc. Combien de temps restera-t-il, ce frêle indice du passage d'un humain dans la grande nature de la montagne ?

La montée s'accroît insensiblement, mais nous ne nous en apercevons guère. Le sentier est semblable au lit d'un ruisseau asséché ; les futaies qui le bordent, pleines de vie, avec leurs feuilles tendres, se rejoignent sur nos têtes, formant ainsi un dôme de verdure et de fraîcheur. Oui, d'exquise fraîcheur, car il a plu la nuit précédente, et les branches sont chargées de fines gouttelettes. Bien souvent, une main taquine nous déverse une petite douche sur la tête, ornant nos cheveux de perles limpides qui disparaissent bientôt.

La montée se poursuit, agrémentée de petites haltes, où les gourdes se vident et les conversations se raniment ; où l'on jouit du repos, assis sur une pierre moussue, sur une racine d'arbre, ou sur un vieux tronc coupé.

A une de ces haltes, quelques jeunes gens s'élancent sur des sapins, se hissent, évoluent dans les branches, comme de gros oiseaux jacasseurs. Un des grimpeurs, juché sur une branche sèche, se balance de tout son cœur. Tout à coup, un craquement sinistre, et voilà ! Dans un éclat de bois, de branches cassées, le jeune imprudent se retrouve sur cette terre d'un seul coup, heureusement sain et sauf.

Bientôt, quelques trouées se font dans la verdure. Mais une nuée blanche : est-ce du brouillard, des nuages, de la brume, je ne sais, nous enveloppe d'une fraîcheur humide, couvrant ainsi la montagne de son voile épais. A travers quelques éclaircies, nous apercevons la plaine qui s'étend au-dessous de nous. Nous passons au milieu de bosquets. Des sapins s'élèvent ici et là, nos pieds foulent une herbe rase. Un son de clochette arrive jusqu'à nous, d'abord indistinctement, puis de plus en plus net.

Nous quittons alors le sentier pour monter dans un pâturage. Levons la tête : plus haut un troupeau de vaches broutent paisiblement, disséminées dans le pâturage, puis, au milieu, le chalet.

Un chalet de montagne en pierre grise, bas, avec un grand toit couvert de plaques de zinc. A droite, un grand sapin se dresse fièrement ; puis, une fontaine, une de ces fontaines creusées dans un tronc d'arbre, qui augmentent de beaucoup le charme de la montagne. Un petit bout de tuyau y amène l'eau de la source toute proche.

En quelques enjambées, nous y sommes ; vite les sacs sont à terre, un gobelet sorti, et nous nous régalons de cette bonne eau froide qui nous ranime et entre deux gorgées d'eau nous fait pousser un « ah ! » de satisfaction.

Après quelques ablutions qui troublent la belle eau limpide, nous nous préparons à déjeuner, car après trois heures de bonne montée, nos estomacs insatiables de jeunes nous réclament quelques attentions. Nous nous empressons de les satisfaire.

Tandis que nous mangeons, une fumée bleue nous enveloppe, nous prenant peut-être un peu à la gorge. C'est Monsieur Reymond qui allume son traditionnel feu entre deux pierres. Aussitôt, quelques-uns se récrient : « Oh ! Léo, tu nous enfumes, tu veux nous conserver ! » Eh bien oui, Monsieur Reymond, faites beaucoup de fumée et conservez longtemps « notre Union » ferme et vaillante. C'est là mon vœu quand je vois votre fumée nous entourer tous, puis s'élever vers le ciel.

La brume blanche qui passe sur nous, poussée par un air frais, nous oblige à remettre vestes et maillots. Une fois nos estomacs rassasiés, reposés par cette petite halte, nous décidons de monter jusqu'au sommet. Mr Gurtler voulant prendre une photo, casse son verre dépoli, quelle malchance !

Les sacs sont réunis au pied du sapin auprès de la fontaine, car nous revenons dîner ici. Et en route ! Nous traversons de grands pâturages, parsemés de rochers, de sapins. Nous suivons un petit sentier capricieux, qui monte vers un roc escarpé, ou serpente dans un petit vallon, puis ensuite remonte plus abrupt. Nous passons vers une citerne creusée directement dans le rocher. Tantôt le soleil trouant la brume vient nous éclairer de ses chauds rayons, ce qui nous fait un peu transpirer. Puis un instant après la brume remonte, nous rafraîchissant à son passage.

Un moment de soleil nous permet de prendre la photo que vous voyez ci-dessous.

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La montagne est tranquille, seulement un lointain tintement de clochettes. L'herbe courte d'un vert tendre repose la vue, et dans ce vert chatoyant, des gentianes ouvrent leurs corolles, d'un bleu si profond, aux rayons du soleil ; les pensées de la montagne, que l'on appelle violas, se balancent sur leur fine tige ; les myosotis au bleu tendre nous laissent un sentiment que cette pensée d'un poète exprime si bien ; (s'adressant au myosotis) : « Nul ne peut t'entrevoir sans porter sa pensée vers l'Eternel, auteur de ton vêtement bleu » ; puis toutes ces fleurs aux différentes couleurs, qui rafraîchissent les yeux et rassérènent l'âme.

Quelques plaques de neige vers le sommet nous appellent. Encore de la neige, quelles délices ! Aussi nous y sommes bientôt arrivés et, vite, les mains se plongent dans cette blancheur. Quelle joie peut procurer la neige. Monsieur Henri Gurtler voulant prendre une photo, nous nous groupons.

A ce moment, le soleil darde ses rayons sur la neige et la fait étinceler. Presque dans l'impossibilité d'ouvrir les yeux, nous faisons de belles grimaces. Puis une bataille s'engage ; une belle ardeur s'empare des combattants, et les boules de neige de s'échanger, de se croiser, s'écrasant contre une main, un dos, un bras ou, manquant leur but, retombent dans l'étendue de neige et s'y confondent. Mais, halte ! Une malencontreuse boule, traçant l'espace sans avertissement, vient violemment heurter un jeune homme au visage. Aveuglé par la neige, il porte la main à ses yeux, ces derniers ne sont heureusement pas atteints. La neige fortement reçue cuit la peau, la rougit, donnant une sorte de fièvre peu agréable, aussi notre blessé doit se sentir peu à son aise.

Nous quittons le lieu de bataille et suivons l'arête du Jura. Nous arrivons ainsi tout à fait au sommet, auparavant marqué d'une perche, mais cette dernière a disparu, sans doute détruite par la foudre. Notre marche continue tranquillement. Nous avons une très jolie vue du côté Français. Les sept chaînes du Jura s'échelonnent jusqu'à l'horizon. Les premières, toutes vertes sous l'étendue de leurs bois, renferment ça et là dans les replis de terrain, quelques petits villages reposant comme en un berceau. Les autres chaînes, moins distinctes, plus effacées, plus lointaines se confondent bientôt avec le ciel.

Le côté Suisse est dans la brume. En enfilade, à travers un petit vallon, nous pouvons voir le Reculet avec sa croix dressée vers le ciel. Un instant, nous chantons ; et des chants de montagne s'élèvent, tout d'une voix. Nous traversons des étendues de rhododendrons, mai ils sont encore bien en boutons. Aussi, craignant qu'ils ne fleurissent pas dans l'eau, nous les laissons à leur montagne.

Voici encore une belle plaque de neige qui doit très bien aller pour faire des glissades. Déjà un jeune homme est descendu ; quelques jeunes filles, après quelques hésitations en font de même. Ah ! Quelle descente vertigineuse ; assis sur la neige, nous nous laissons glisser, puis la pente nous entraîne, la glissade devient rapide, faisant jaillir la neige de tous côtés ; et nous arrivons en bas, un peu mouillés peut-être, mais heureux. La remontée ne fut pas si facile, mais avec l'aide d'un ou deux bons grimpeurs, nous arrivons au haut de cette belle pente blanche.

Là, deux d'entre nous savourent un peu de cette belle froide neige, mets peu ordinaire, mais délicieux, je vous assure.

Pendant ce temps, le reste de la troupe nous a laissé à nos glissades. Aussi nous ne savons pas trop dans quelle direction ils sont partis. Là encore, trois jeunes gens retournent sur leur pas pour chercher un portefeuille perdu. Nous ne restons qu'une petite dizaine, que faut-il faire ? Nous décidons de redescendre au chalet ; les autres y sont sûrement allés.

Nous nous mettons en route : sautant de pierre en pierre, bondissant dans les rochers, cueillant une fleur. Tantôt, nous nous étendons sur l'herbe courte et douce, parsemée de fleurs ; et, si nous ne parlons pas, nous jouissons du calme reposant de la montagne.

Le brouillard vient souvent troubler notre vue et, sans le sens d'orientation très inné chez M. Fernand Rapin, nous aurions peut-être passé à côté du chalet sans le voir ! L'heure étant déjà un peu avancée, nous faisons les préparatifs nécessaires pour le dîner. Entre temps, le reste de la troupe arrive ; ils étaient allés voir une grotte, que nous voyons sur la photographie ci-dessous. Affamés, ils s'installent aussi pour le repas.

Bientôt les œufs au plat se mangent avec satisfaction, apprêtés par d'excellents cuisiniers. Puis toutes ces choses que l'on mange à la montagne sont offertes gentiment, je n'oublierai pas les excellentes et traditionnelles boîtes de fruit de certains jeunes gens. Ainsi, les sacs se déchargent contentant un organe souvent affamé chez les jeunes, et surtout à la montagne.

Pendant que nous dînons arrive, tout tranquillement, Mr Robert Détraz, les bras chargés de rhododendrons. C'est presque l'heure de venir dîner ! Le repas terminé, les uns s'étendent dans l'herbe, d'autres se sont juchés sur le toit du chalet, un dessinateur croque un coin du paysage.

Un jeune homme aimerait boire un verre de lait. Aussi, avec force précaution, et une poignée de sel, il tente de tranquilliser une membre de la gent laitière ; mais cette dernière, devinant le sort qui lui est réservé, ne veut rien entendre. Le jeune homme alors s'adresse au berger, qui lui explique que les vaches sont plus haut, que l'on ne peut pas avoir du lait maintenant. Et, à la question du jeune citadin montrant le troupeau autour du chalet : « Et celles-là ? » Il lui fut répondu « « C'est pas de vaches, c'est des génisses ! ». Alors, il s'en revient, tout contrit, et le gobelet vide.

Un instant, un conteur nous charme par le récit d'un film passé à Genève.

Devant nous, la brume se lève doucement. Dans la plaine nous pouvons voir le lac aux diverses teintes bleues, Genève avec son jet d'eau qui retombe en pluie d'argent ; puis les champs, les bois, les villages de la campagne genevoise. Nous suivons des yeux les méandres du Rhône, le cours de L'Allondon aux berges abruptes. Ici et là, un toit de verre étincelle sous l'éclat des rayons solaires. Nous remarquons aussi le champ d'aviation de Cointrin, avec ses longs hangars ; et, aujourd'hui, grande journée d'aviation, nous regardons avec plaisir les avions miroiter dans le soleil.

Après un bon moment de tranquillité, de repos ; après avoir rempli nos yeux de tout ce paysage ; après avoir pris à la montagne un peu d'elle-même pour l'emporter chez nous, là bas dans la plaine, nous nous préparons pour le départ.

Mais à l'appel manquent trois membres partis à la recherche d'un manteau de pluie oublié sur un sapin. Enfin les voici de retour, avec le manteau. Ils bouclent leur sac, mais un des trois s'aperçoit avec terreur qu'il a oublié son pullover en cherchant le manteau. Il reste d'abord indécis, puis il remonte chercher son bien avec un ou deux camarades. Nous décidons de partir tout de même. Les autres nous rattraperaient à la descente.

Alors, sacs au dos, nous dévalons par les sentiers rocailleux, sautant comme des chamois ! La descente fut rapide ; nous descendons sans nous arrêter. Mais, à un certain endroit, le chemin devient si boueux que nos pieds partent d'un seul coup en avant, et il nous faut faire passablement de gymnastique pour ne pas nous trouver tout d'un coup sur le dos.

A l'endroit le plus boueux, un jeune homme en espadrilles qui glisse assez grâce à sa chaussure fait une belle glissade et se trouve mollement assis dans une épaisse couche de boue, où il reste enfoncé. Après quelques efforts, il réussit à se relever, mais avec une couche de boue à son pantalon, les pieds boueux jusqu'à la cheville et les mains « immaculées ». Il se nettoie sommairement et continue sa route.

D'autres, à une bifurcation, se trompent de chemin, arrivent dans une ferme où un chien les reçoit. Mais ils regagnent bientôt le bon sentier.

Nous nous retrouvons à l'endroit où le matin nous avions déjeuné. Un instant de repos pendant lequel M. Gurtler prend cette jolie photo. Puis la descente continue et nous arrivons à l'entrée de Cergy-Dessus.

Là, une source fraîche nous arrête, nous y trempons nos mains et nos bras, puis un gobelet est sorti et nous nous régalons de cette bonne eau fraîche. Les retardataires retournés chercher le pullover oublié nous rejoignent heureusement avec l'objet de leurs recherches. Les deux cyclistes du matin reprennent leur machine. Nous allons jusqu'à Cergy-Dessous où l'Union chrétienne des jeunes gens nous offre des limonades. Nous nous plaisons à faire sauter les bouchons des bouteilles et c'est à celui qui le fait le plus fort.

M. Détraz veut faire boire une goutte à son camarade, M. Charles Flohr. Ayant pris soin auparavant de bien secouer la bouteille, il lâche le bouchon. La limonade, tumultueuse, s'échappe de sa prison et vient inonder le visage et les épaules de M. Charles Flohr. Je ne crois pas que par ce moyen il ait pu boire beaucoup. En tout cas, sa chemise en a bu plus que lui ; ce qui n'empêche pas qu'il riait aussi fort que nous.

Au signal du départ, nous nous embarquons en rang de trois, de quatre, de cinq. Aussitôt, nous chantons ; cela va tellement mieux pour marcher ; même si l'on ne chante pas soi-même, la voix des compagnons nous entraîne. M. Gurtler, en tête, indique les titres de chants, qui sont transmis par Mr Reymond. Ainsi les chants entraînants s'élèvent et se perdent dans la campagne.

Arrivés à Saint-Geny, « Jonas dans sa baleine » est entonné et chanté d'une voix forte, et résonne dans la rue du village. Une fois terminé, il est recommencé, toujours avec plus d'entrain. Comme un général, M. Charles Flohr, monté sur sa bicyclette, encourage les chanteurs du geste et de la voix. Quelques jeunes gens, armés de gros bâtons, marquent la mesure, en les brandissant de bas en haut et de haut en bas. Un des frères Jeannet fait voltiger avec énergie son bâton au-dessus des têtes de ses voisins. Aussi sa chemise, un peu ébranlée par ces gestes violents, se craquèle sur les deux épaules et les déchirures, à chaque mouvement, s'élargissent et s'étendent. Mais cela importe peu à M. Jeannet, qui continue à chanter à pleins poumons.

M. Reymond, trouvant que chanter « Jonas » une ou deux fois était suffisant, siffle tant et si bien dans son sifflet qu'il en devient tout rouge, croyant par ce moyen faire entendre raison aux chanteurs. Mais les coups de sifflet retentissent en vain, les chanteurs, nullement impressionnés, ne changent rien à leur refrain. Alors faisant contre mauvais succès bon cœur, M. Reymond recommence avec les autres : « Jonas, dans sa baleine….. »

La douane française se passe sans inconvénient. A la douane suisse, les douaniers soupèsent quelques sacs, procurant un moment d'émoi pour quelques-uns d'entre nous, car nous passons en contrebande quelques plantes de fougère, un petit sapin, et une grosse pierre du Jura, creusée et usée par les ravages du temps et destinée à augmenter une rocaille. Un jeune homme avait tenu, malgré les instances de n'en rien faire d'une jeune fille, à la transporter dans son sac, depuis le Jura. Si le douanier soupèse ce sac, il serait très étonné de sa lourdeur. Mais il n'en fut rien, et nous passons sans incident.

Le village de Meyrin est traversé en chantant, attirant quelquefois l'attention des habitants, qui nous regardent passer avec un sourire. Mais, déjà, le Signal est atteint ; c'est le lieu de la séparation ; séparation joyeuse car nous sommes heureux de rentrer dans nos familles après une bonne journée passée ensemble.

Aussi tous les yeux brillent, un sourire aux lèvres, et avant de nous séparer nous échangeons de bonnes poignées de mains. Puis notre troupe se partage, chacun s'en va du côté de « la maison ». Ah ! Quelle belle course ; on s'en souviendra longtemps de cette bonne journée passée entre jeunes dans la paix de la montagne.

Comme ces courses font du bien ; elles nous rapprochent les uns les autres, créant des amitiés saines et pures, nous donnant ainsi plus de force pour vivre la vraie vie.

Et nous pouvons chanter de tout notre

mot final

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Claire Bärtschi-Flohr
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17 février 2013
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