Igor STRAWINSKI, Suite de L'Oiseau de feu (1919), OSR, Ernest ANSERMET, 1950
Igor STRAWINSKI, Suite de L'Oiseau de feu (1919), OSR, Ernest ANSERMET, 1950
La superbe série d'émissions de François HUDRY «Ernest Ansermet et l'OSR - l'histoire d'une folle aventure», réalisée par Gérald Hiestand, diffusée du 13 au 24 avril 2018, est consacrée à divers enregistrements d'Ernest Ansermet faits pour le disque. Les 2e et 3e épisodes sont entièrement consacrés à des oeuvres d'Igor Strawinski, l'un des compositeurs les plus importants pour Ernest Ansermet.
Après «Le Chant du Rossignol», au début du 2e épisode diffusé le mardi 14 avril 2018, François Hudry avait choisi la «Suite de l'Oiseau de Feu (1919)».
La musique de «L'Oiseau de feu», ballet en deux tableaux d'après un conte national russe, fut écrite par Igor Stravinsky en 1909-1910: c'était la première commande qu'il recevait de Serge de Diaghilev, elle sera suivie de nombreuses autres. Le ballet fut donné en première représentation à l'Opéra de Paris le 25 juin 1910, par les Ballets russes sur une chorégraphie de Michel Fokine, l'orchestre étant dirigé par Gabriel Pierné.
Cette musique de ballet fut ensuite l'objet d'arrangements pour piano et ensemble de chambre, ainsi que de trois suites pour orchestre datées de 1911, 1919 et 1945.
Celle qui nous intéresse ici plus particulièrement est la suite de 1919, c'est aussi la plus fréquemment jouée. À cette époque Igor Strawinski habitait Morges. Il arrangea cette suite spécialement pour l'Orchestre de la Suisse Romande: «À l'Orchestre Romand, à son chef et à son comité» est écrit en tête de la partition.
La première suite de 1911 est formée de cinq pièces, gardant l'orchestration des pièces du ballet original, donc faite pour un orchestre symphonique de grande dimension. La suite de 1919 comporte également cinq pièces, toutefois différentes. En plus, son orchestration est réduite à celle d'un orchestre de concert standard.
Elle fut donnée en première audition le 4 décembre 1915, en deuxième partie du concert, bien entendu par l'Orchestre de la Suisse Romande sous la direction de son chef-fondateur Ernest Ansermet:
Une courte introduction, citée du programme publié pour ce concert (dont est également citée la page reproduite ci-dessus): j'ai combiné ci-dessous le texte publié dans ce programme du concert du 4 décembre 1915 avec celui d'un concert donné le 21 décembre 1920, contenant quelques détails de plus:
"[...] Le livret chorégraphique est fait d'après une série d'anciens contes nationaux russes sur «Kastcheï l'Innocent», «l'Oiseau de Feu» et «Ivan Tzarévitch». Kastcheï y symbolise l'esprit du Mal, le Tzarévitch, sa victime, que sauve l'Oiseau de feu.
Au cours d'une chasse, Ivan s'est mis à poursuivre l'Oiseau de feu, plus exactement l'«Oiseau au plumage ardent». Sa poursuite l'amène, sans qu'il s'en aperçoive, dans les jardins enchantés de Kastcheï: Incapable d'atteindre l'Oiseau avec une flèche, Ivan se cache dans un arbre et finit par attraper l'Oiseau par la queue. L'Oiseau se soumet, mais supplie Ivan de lui rendre la liberté et lui promet, en récompense, une de ses plumes ardentes qu'il n'aura qu'à agiter trois fois pour voir s'accomplir ses voeux. Ivan relâche l'Oiseau et cache sa plume sur sa poitrine. La lune apparaît, treize princesses, captives de Kastcheï, descendent dans l'endroit défendu du jardin pour y jouer avec les pommes d'or. Au cours de leurs jeux elles aperçoivent Ivan qui salue respectueusement. Elles songent un moment à le chasser, puis s'en approchent et font autour de lui une ronde. Bientôt, les trompettes claires du Chevalier du Matin se font entendre; les princesses s'enfuyent et ferment à Ivan le chemin du château. Ivan brise le portail. Mais, aussitôt, un carillon féerique se déclanche, les gardiens du château s'animent et défilent; Kastcheï apparait sous une forme monstrueuse.
Ivan est pris par des gardiens et placé dans une grille pour y être pétrifié. Mais il se souvient de sa plume magique; il fait le triple geste; l'Oiseau apparaît et fait des tourbillons qui entraînent tous les sujets de Kastcheï dans une danse infernale. À la fin, tous tombent par terre sans force. L'Oiseau les endort. Ivan veut alors reprendre sa fiancée que Kastcheï lui avait jadis enlevée; mais l'Oiseau lui souffle à l'oreille de prendre un oeuf qu'il lui montre et qui contient la Vie et la Mort de Kastcheï. Ivan saisit l'oeuf et, sans souci des supplications de Kastcheï, le brise par terre. À ce moment, tout disparaît dans les ténèbres. Quand la lumière reparaît, tous les êtres que Kastcheï avait pétrifiés dans son jardin sont ranimés. Ivan a retrouvé sa fiancée et l'Oiseau de feu passe une dernière fois en faisant son adieu au conte.
Une première suite d'orchestre a été publiée, faite de fragments purement et simplement détachés de l'oeuvre originale. La suite inscrite à ce programme a été spécialement conçue pour le concert et faite de fragments retravaillés dans ce but et entièrement réorchestrés en vue d'un effectif moyen; elle est dédiée «à l'Orchestre de la Suisse romande, à son chef et à son Comité».
On situera aisément les épisodes de la suite dans le récit qui vient d'être fait.
L'introduction évoque les jardins enchantés de Kastcheï, suivi d'une danse que fait l'Oiseau en arrivant dans ces jardins. On remarquera dès le début, aux trombones l'enchaînement des deux «tierces» (majeure-mineure) de Kastcheï, sur lesquelles tout l'organisme musical de l'oeuvre est fondé. La «Ronde des Princesses» se termine au moment où l'aurore va poindre. La «Berceuse» est reliée au «Final» par les harmonies des ténèbres qui suivent l'écroulement de Kastcheï: alors un nouveau jour se lève et la lumière monte avec l'hymne d'allégresse du peuple délivré [...]"
L'auteur du texte n'est pas explicitement nommé, mais il est évident que ce ne peut être qu'Ernest Ansermet lui-même.
La Suite de l'Oiseau de feu fut très bien accueillie:
"[...] On a fêté M. Strawinsky présent à l'exécution de sa suite d'orchestre de l'Oiseau de feu. Le public a été séduit par la vie intense et la couleur étrange de cette musique si bizarre, mais si précise malgré tout, si personnelle, si rythmique. [...]" Journal de Genève du 5 décembre 1915, en page 8.
Le Journal de Genève du 11 décembre 1915, en page 2, donnait ensuite un compte-rendu détaillé, signé Gustave DORET:
"[...] M. Ansermet, si dévoué, si vaillant, dont les audaces m'enchantent. Ses efforts constants sont plus louables que ne peut se l'imaginer le public. S'attaquer aujourd'hui à l'Oiseau de Feu, après Pétrouchka l'année dernière, est la preuve d'une volonté persévérante, et d'une belle conviction. Les difficultés techniques de cette partition sont grandes, par le fait de cette langue orchestrale très nouvelle que parle M. Strawinsky.
Lorsqu'apparut Debussy, il y a vingt ans et plus, à Paris avec son premier morceau instrumental, L'Après-Midi d'un faune, ce fut de la stupeur parmi les musiciens de l'orchestre. Le chef d'orchestre [*] , préalablement instruit par l'auteur de ses moindres intentions, possédait la clef du mystère. Peu à peu, dans une lente et calme répétition la lumière se fit, le charme opéra. Quelques jours plus tard, Paris acclamait l'oeuvre si délicate et si nouvelle qui classait définitivement un grand artiste français.
C'est ce souvenir qui me revenait en assistant aux études difficiles de l'Oiseau de Feu, dont M. Ansermet possède la clef et qu'il vient de révéler à Genève. Mais, malgré les acclamations du public, il faut bien dire que si l'esprit de l'oeuvre s'est dégagé avec les couleurs vives d'une instrumentation étourdissante, les subtilités rythmiques et les nuances n'ont pas pu être rendues, sans parler de quelques lourdes fautes d'exécution. L'exécution d'une oeuvre pareille exige un orchestre d'un accord parfait, assez sûr de lui, par des répétitions suffisantes, pour que le chef ne soit pas forcé par de grand gestes d'indiquer trop largement les changements de mesures; l'oeuvre doit se dérouler avec la plus grande souplesse et l'aisance la plus parfaite; nul dans l'auditoire ne devrait avoir l'idée de se dire: quelles difficultés vaincues! L'effort en art ne compte pas; seul le résultat importe.
Certes, ce fut le moment culminant de la soirée. M. Strawinsky est un musicien étrangement personnel, qui applique des théories discutables; comme toutes théories; il est un artiste avec lequel on peut diverger d'opinions, mais avec lequel on se comprendra toujours parce qu'il fait toujours preuve d'une haute et fine intelligence dans son art et d'une joie intense de vivre.
La fluidité de son orchestration est déroutante pour qui en cherche les moyens et les causes; la concision de ses tableaux musicaux est merveilleuse: ni trop ni trop peu! Admirable formule. Et si je dis «tableaux» j'insiste, car la musique de Strawinsky, non seulement on l'entend, mais on la voit. Strawinsky se défend de vouloir exprimer aucun sentiment en musique. Il dit faire de la musique pour la musique elle-même; c'est une opinion sur le rôle de la musique; d'autre part il pousse à l'extrême ses procédés descriptifs, mais je suis ravi - même dans ce ballet l'Oiseau de Feu - de trouver le compositeur en défaut: j'y ai découvert, par moments, des sentiments d'une tendresse infinie. Le coeur du compositeur, malgré sa volonté de se taire, parle. Et quand il parle, on le comprend.
Jusqu'ici, la carrière de Strawinsky a été consacrée aux Ballets de sa race, expression la plus parfaite de la fantaisie et du rêve réalisés au théâtre. Mais j'ai la conviction que, dégagé de l'esclavage de la rampe, des décors, des mimes et des danseurs, son coeur joyeux pourra parler plus haut, sans contrainte. Car Strawinsky est la joie même et quand même il voudrait lutter contre lui-même, cette joie, il nous la doit dans une expression élargie de sa musique où éclaté le génie des races slaves et asiatiques. [...]"
[*] Ce chef d'orchestre était Gustave Doret lui-même, qui dirigea la première audition de l'Après-Midi d'un Faune, à Paris, salle d'Harcourt, 40 rue Rochechouart, le 22 décembre 1894 avec l'Orchestre de la Société nationale de musique (flûte-solo Georges Barrère).
C'est en octobre 1950 - donc en monophonie - qu'Ernest Ansermet enregistra cette suite pour Decca - en même temps que «Le Sacre du Printemps» -, bien entendu dans le Victoria-Hall de Genève. La «Suite de l'Oiseau de feu» paraît sur 78 tours Decca K28437-39, en mai 1951, et sur Decca AX524-26, en octobre 1951, ainsi qu'en mars resp. mai 1951 sur les disques 33 tours 10" Decca LONDON LLP 303 resp. Decca LX 3045. (ref. pour ces diverses données discographiques: l'excellent travail de Philip Stuart, voir par exemple cette page, plus particulièrement «le fichier Switzerland»).
À noter qu'il enregistra le ballet complet cinq ans plus tard, en mai 1955, en mono en en stéréo. La flamboyante pochette de la première édition mono, que je ne peux m'empêcher de mettre ici, bien qu'elle ne corresponde pas à l'enregistrement présenté ici:
La superbe série d'èmissions de François HUDRY «Ernest Ansermet et l'OSR - l'histoire d'une folle aventure», réalisée par Gérald Hiestand, est consacrée à divers enregistrements d'Ernest Ansermet pour le disque (l'indicatif du début de chaque volet de la série est un court extrait de la «Danse» des «Quatre études» d'Igor Strawinski, celui de la fin de chaque épisode est un court extrait du «Galop» de la «Suite no 2» d'Igor Strawinski).
Les 2e et 3e épisodes de cette série sont entièrement consacrés à des oeuvres d'Igor Strawinski. Dans le 2e épisode vient après le « Le Chant du Rossignol» la «Suite de l'Oiseau de Feu, version 1919».
Igor STRAWINSKI, Suite de L'Oiseau de feu (1919), Orchestre de la Suisse Romande, Ernest ANSERMET, octobre 1950, Decca
Pour écouter ce document, aller sur la page
des archives de la RTS et positionner le curseur de la barre temps sur 27 minutes 3 secondes, qui est le début de la présentation de cette enregistrement par François Hudry.
Les minutages sur le début de chaque partie son donnés ci-dessous, en minutes:secondes:millisecondes, ils permettent de mieux se situer dans l'oeuvre pendant l'écoute:
27:41(:250) 1a. Introduction, jardin enchanté de Katcheï (03:14:020)
30:35(:270) 1b. Danse de l'Oiseau de Feu (00:17:940)
30:53(:210) 1c. Variations de L'Oiseau de Feu (01:18:390)
32:11(:600) 2 Jeu des Princesses avec les pommes d'or -
Ronde des Princesses (03:59:620)
36:11(:220) 3 Danse infernale de Katcheï (04:18:620)
40:29(:880) 4 Berceuse (03:17:780)
43:47(:660) 5 Finale (03:04:730)
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Le sommaire de ce second épisode de la série d' émissions de François Hudry, avec les minutages sur les débuts de chaque séquence:
un court extrait du «Capriccio pour piano et orchestre» est d'abord présenté, avec Igor Strawinski au piano, l'Orchestre des Concerts Straram étant dirigé par Ernest Ansermet (Lys)
04:06 Igor Strawinski, «Le Chant du Rossignol», Orchestre de la Suisse Romande, Ernest Ansermet, mai 1956, Decca
27:03 Igor Strawinski, «Suite de L'Oiseau de feu (1919)», Orchestre de la Suisse Romande, Ernest Ansermet, octobre 1950, Decca
47:17 Igor Strawinski, «Pulcinella», Marylin Tyler, Carlo Franzini, Boris Carmeli, Orchestre de la Suisse Romande, Ernest Ansermet, 2 au 4 novembre 1965, Victoria-Hall, Decca
"Dis voir", l'appli
Les Romands batoillent, mais de Sierre à Saignelégier leur accent varie. Le chercheur Mathieu Avanzi lance une application mobile pour étudier la diversité du parler romand. Le projet « Dis voir » invite les utilisateurs à enregistrer leur voix sur leur smartphone, à deviner des mots typiquement romands, et à tester leurs connaissances des accents régionaux.