Urgences
2013
En 1983, une émission de la TSR proposait un regard croisé sur les hôpitaux de Genève et de Ouagadougou. Je garde un souvenir précis d’une image réalisée par un journaliste aux Hôpitaux de Genève. Une grosse machine, probablement un scanner, et en surimpression le prix de l’engin exprimé en monnaie africaine. Les chiffres occupaient tout l’écran sur plusieurs lignes. Pour accentuer l’effet, le journaliste africain ajoute en voix off « mais attention ! Cette machine ne guérit pas la maladie». En 2013 j’ai l’occasion de tenter l’expérience à ma hauteur. Entre-temps ma fille cadette est née et a même beaucoup grandi. Elle est en mission pour la FAO en Afrique dans la province de Kindia en Guinée. Par courrier électronique elle me raconte ses expériences. Je décompose nos messages en récits croisés de visites à l’Hôpital. Collision de deux réalités qui n’ont rien de virtuelles.
Province de Kindia
Sous le soleil tapant, un attroupement se forme autour d’une femme clopinant difficilement. Comme la règle Onusienne le prescrit pour des raisons de sécurité (enlèvements), nous nous apprêtons à passer notre chemin lorsque les gens se mettent à hurler. En tant que gentille humanitaire ou humaniste béotienne, j’ordonne que l’on s’arrête. La foule villageoise entoure une femme mordue par un cobra et personne ne dispose d’un véhicule pour l’amener à l’hôpital situé à quelques 4h de route. Nous embarquons la femme et sa famille et partons à « toute allure » vers la ville en espérant trouver quelqu’un pour la soigner.
District de Morges
Au petit matin je suis réveillé par une forte douleur au rein gauche. La douleur est tellement violente que je me mets à vomir. Heureusement, dans la cour de mon immeuble il y a une voiture en état de marche, et j’ai une gentille épouse qui est d’accord de m’amener dans un hôpital situé à quelques quatre kilomètres de la maison. Nous pensons que nous trouverons un médecin qui saura faire quelque chose pour atténuer la douleur.
Province de Kindia
La route est longue, cabossée, traversée par d’innombrables ruisseaux et rochers. Le 4x4 saute en tous sens et la femme vomit au rythme des bonds qui nous désarticulent. Pour l’aider à combattre le venin, une pierre noire a été attachée sur sa morsure, selon une croyance populaire . Le chauffeur expérimenté connaît chaque recoin de la route et se glisse entre ruisseaux et caillasses pour atteindre la ville en moins d’heures que les doigts de la main.
District de Morges
Le voyage se passe bien, car les quatre kilomètres de piste sont goudronnés et qu’il n’y a aucun nid de poule qui me ferait sursauter et augmenterait la douleur. Pour aider à combattre la douleur, j’ai pris un Dafalgan, selon une pratique populaire. Un éclairage sur une bonne partie du parcours, ainsi que des indications claires et précises nous facilitent l’accès au service des urgences. En arrivant devant l’Hôpital, on trouve l’entrée facilement, car bien que nous soyons encore en pleine nuit (entre cinq et six heures du matin) la réception est généreusement éclairée par des lumières électriques. Visiblement l’hôpital est alimenté en continu 24 heures sur 24. Nous pénétrons dans le vaste hall d’entrée. Deux machines autotractées nettoient le sol qui pourtant paraît d’une propreté exemplaire. Cela sent bon le « Mr. Proper Citron ». Il est probable que les techniciens de surface ont estimé qu’il fallait débarrasser le sol du produit de nettoyage précédent, puisqu’il n’y avait rien d’autre à nettoyer. Ils le font la nuit, pour profiter du peu de passage nocturne.
Province de Kindia
En arrivant à l’hôpital, on assiste impuissants à une bagarre de militaires qui prend l’attention de tout le monde, médecins y compris. J’essaie de me frayer un passage pour trouver quelqu’un qui pourra venir s’occuper de notre mourante. La nuit est tombée, aucun éclairage n’alimente l’hôpital. J’aperçois une veste blanche au milieu du nuage de poussière créé par les agitations, et présume qu’il s’agit là d’un médecin, malgré son visage de poupon. Je lui explique rapidement la situation, ce à quoi il me répond que, pour une morsure de serpent, il vaut mieux aller chez le vétérinaire. Incrédule, je lui fais comprendre qu’il s’agit là bien d’une femme agonisante dans le véhicule et qu’il serait sage d’aller la voir. Toujours d’un visage impassible, il m’indique la route pour me rendre chez le vétérinaire.
District de Morges
J’appuie sur la sonnette des urgences. Un écriteau s’illumine : « veuillez patienter, nous allons vous répondre ». Effectivement, quelques secondes plus tard, la porte s’ouvre et une infirmière me reçoit. Elle me pose des questions, d’abord purement administratives, du genre, mon âge, mon sexe. Je n’ai pas la force d’ouvrir mon porte-monnaie pour lui donner ma carte d’identité, alors elle me fait confiance. Mon épouse achemine les données administratives au « desk » qui publie des étiquettes de toutes les tailles qui contiennent des renseignements sous forme de textes et de barres-codes, sur mon âge, mon sexe, mon assurance-maladie, mon état civil, le tout en un temps record.
Province de Kindia
Dans la nuit profonde, nous remontons dans le véhicule où notre mourante et sa famille se demandent pourquoi nous repartons, pas le temps de leur expliquer que l’on nous envoie chez le vétérinaire. Nous arrivons vers des maisons décrépies et tentons de demander si le vétérinaire se trouve bien ici. Le chauffeur part à sa recherche, mais il est déjà vingt heures et ce dernier est rentré, pas d’urgence pour les animaux. Nous passons quelques appels pour savoir ce que nous devons faire avec une mourante après avoir été chassés de l’hôpital. On apprend qu’il existe un centre spécialisé dans les morsures de serpent, plus loin, dans la brousse. Nous repartons, heureusement avec un chauffeur qui connaît tous les recoins de Kindia et nous y amène en trente minutes à peine. Je tremble à l’idée qu’il n’existe peut-être pas d’urgence là-bas non plus, et que nous risquons de nous trouver au milieu de la brousse, avec un cadavre dans la voiture.
District de Morges
Je suis conduit dans un box aménagé avec un lit à multiples fonctions, un petit meuble qui contient du linge de soins, sur un tiroir supérieur, il est écrit « abaisse langue », juste à côté, « lampe de poche ». On me donne une chemise de nuit pliée à quatre épingles (même peut-être à huit), un drap fraîchement repassé. L’infirmière me laisse, après avoir tiré le rideau du box. Quelques minutes plus tard, on m’injecte du «Voltarène» dans le bras. Le liquide s’écoule goutte à goutte, et la douleur commence à reculer. C’est carrément de la magie. En quelques minutes, je me sens parfaitement bien. J’entends, à travers le rideau, les bruits du personnel du service des urgences qui s’affairent, probablement préparent du matériel, mettent de l’ordre ou je ne sais quoi. Puis, tout à coup, deux ombres chinoises s’immobilisent devant le rideau de mon box. Je comprends alors que Yolande vient d’arriver, qu’elle a passé un merveilleux week-end à Château-d’Oex. Il faisait un temps merveilleux et il y avait un meeting international de ballons à air chaud. Les Alpes, recouvertes d’une neige poudreuse, un soleil radieux, et toutes les couleurs de ces ballons sur un ciel bleu profond, c’était tout simplement pas racontable. La pauvre Catherine a raté cela. De mon côté, le ciel se dégage, car la douleur a abandonné la partie. Je me sens enfin apaisé. Quel dommage ! J’ai aussi raté le meeting de ballons à air chaud.
Province de Kindia
Nous arrivons devant cet immense centre de recherche de l’époque coloniale, dont on imagine qu’il ne reste plus grand-chose malgré l’obscurité dans lequel il est baigné. Nous trouvons un gardien endormi qui s’empresse, une fois la situation analysée, d’aller chercher le spécialiste du venin de serpent. Il arrive fièrement dans la nuit noire, muni de sa petite lampe de poche. A la vue d’une blanche, le voilà qu’il se met à raconter l’apogée de ce centre et ses fonctions. Je lui fais comprendre que, malgré mon intérêt pour ce centre qui sauvera peut-être cette villageoise, il vaudrait peut-être mieux s’activer. Après quelques questions de routine pour analyser ses chances de survie, il lui injecte un premier sérum, éclairé par un faible faisceau lumineux entre les mains de sa nouvelle infirmière blanche occasionnelle. Il nous fait comprendre que l’espérance de vie, après une morsure de cobra, est de six heures et que nous en sommes, selon nos calculs, à 8 heures. Heureusement, nous pouvons compter sur l’approximation des renseignements donnés par des villageois ne disposant que du soleil pour leur indiquer l’heure de la morsure. Elle a l’air d’être toujours à l’agonie lorsque l’expert me sort un atlas de tous les serpents et des symptômes de leur morsure. Il me fait ensuite comprendre qu’il faudra certainement une deuxième injection mais, qu’au prix de celle-ci, les paysans ne pourront certainement pas se l’offrir. L’obscurité et le doute nous envahissent, la femme enceinte de huit mois passera-t-elle la nuit ? La souffrance sur son visage ne se distingue plus, la lampe de poche vient de rendre l’âme.
District de Morges
Pour poser un diagnostic, on m’introduit dans une grosse machine qui probablement coûte une brouette de billets de cent francs. Le résultat n’est pas clair. On hésite encore entre le calcul rénal et la tumeur maligne. Toutefois, mes chances de survie sont excellentes. Dans le cas d’une tumeur maligne, le médecin peut enlever le rein sans ouvrir, grâce à un robot, le DaVinci. Quand nous aurons la 5G, il pourra peut-être même le faire depuis son salon, avec son smartphone . De toute façon, pas de souci, quoiqu’il arrive, je pourrai me payer une prouesse technologique disponible grâce à mon assurance-maladie..
Province de Kindia
Après deux injections, finalement nous rentrons avec le chauffeur, sans savoir si elle passera la nuit avec son tout prochain nouveau-né. Bref, mais tout se finit bien, j’appelle le lendemain, elle a survécu, le bébé aussi. Si c’est une fille, elle veut lui donner mon nom, si c’est un garçon le nom de mon hypothétique mari. Cependant, les paysans ne peuvent bien sûr pas payer la somme astronomique qu’on leur demande (correspondant à 100$, mais deux vies pour le prix d’une). J’y suis donc retournée le soir pour payer leur dette et voir notre survivante.
Mars 2019
La FAO a abandonné le projet de sécurité alimentaire dans la province de Kindia, faute de financement. Ma petite cadette, têtue comme une mule, s’accroche. Elle lance un crowd-funding, squatte des travaux de diplôme de futurs ingénieurs, cherche des fonds d’aide au développement et, finalement, réussit à créer une coopérative agricole dans les montagnes au-dessus de Kindia et à leur fournir l’accès à une usine de transformation d’huile. Elle termine le projet Kibili, une tâche difficile, celle d’assurer la « soudure » entre la saison des pluies et la saison de la sécheresse dans cette région enclavée à « quatre heures du goudron ». Heureux et fiers de notre gamine, nous nous rendons en Guinée-Conakry. En traversant les villages qu’elle a réunis autour de ce projet, nous rencontrons un petit bonhomme de six ans et sa maman. Le garçon porte le nom de mon fils aîné, car ma cadette n’est toujours pas mariée.
Le projet Kibili a abouti!
Histoire des jeux vidéo en Suisse romande
Vous souvenez-vous de votre première partie de PONG, Mario ou Freecell? Ces souvenirs font partie d'une histoire proche que le GameLab de l'UNIL-EPFL cherche à documenter. Guillaume Guenat nous explique pourquoi les jeux électroniques sont aujourd'hui sous la loupe des chercheurs.