Séances Générales 1924 de Belles-Lettres Neuchâtel

Séances Générales 1924 de Belles-Lettres Neuchâtel

7 mars 1924
Inconnu / Belles-Lettres Neuchâtel
Stéphane Thurnherr

Carte postale, non voyagée, éditée à l’occasion des Séances Générales de la Société académique de Belles-Lettres, section de Neuchâtel, en mars 1924.

Dans son numéro du 12 mars 1924, la FAN L’Express y consacre un long article :

« Séances générales de Belles-Lettres

Devenons-nous tous féministes ? Belles-Lettrès, gardienne sacrée de tant de traditions aimables, a-t-elle évolué ? S'il était une règle certaine, et confirmée par une seule exception, c'était que tous les rôles devaient être dans leurs pièces grandes et petites, tenus par des étudiants. Le travesti féminin réjouissait nos yeux; les voix disparates amusaient nos oreilles. Il fut parfois de charmants travestis, et d'imberbes minois d'étudiants furent pour quelques soirs d'attrayantes demoiselles. S'ils s'empêtraient dans leurs traînes, s'ils marchaient d'un pas lourd, si leur voix d'amoureuses frisaient les barytons ou les basses, si leurs corsages mal agencés prêtaient au sourire, c'était un charme de plus; rares furent ceux qui purent sincèrement dire ou penser : L'illusion féconde habite dans mon sein.

Et voilà que Belles-Lettres adopta pour ses deux pièces de 1924 d’authentiques demoiselles, Belles-Lettriennes inconnues jusqu'ici, qui furent charmantes et décrochèrent toutes les tymbales admiratives. N'est pas mégère qui veut et si hier soir nous fûmes tous féministes, Shakespeare le fut aussi.

Le succès de la représentation du 7 mars fut inouï à La Chaux-de-Fonds; le président de Belles-Lettres exploita cette veine exceptionnelle en invitant les demoiselles < amies de Belles-Lettres > à venir après minuit danser avec eux; le nombre d'amies que Belles-Lettres se fit adjoindre ce soir-là, on ne put le dénombrer; le soleil matinal lui-même fut me dit-on, le dernier invité. Phœbus et Terpsychore amis de Belles-Lettres, gage de succès ! Mais gardons Shakespeare pour la bonne bouche et disons deux mots du prologue mythologique en vers ailés, tellement ailés et rapides que pas mal d'alexandrins restaient accrochés à la rampe. Il y a dans le prologue de M. Marcel Béguin des strophes jolies, où le vers harmonieux, dans le duo entre Obéron et Malibrun, semble le reflet du temps de Lamartine :

As-tu parmi les thyms et la souple bruyère

Suivi les pas zélés de la sylphe étrangère,

Dormi sous le couvert de sa grotte et rêvé

D'un mystère ou d'un voile à demi soulevé

Parle ! Que t'a conté la fée aux doigts de rose,

Car ton silence enfin doit cacher quelque chose !

Seigneur, il n'y a rien que la plainte des eaux_.

Le vertige du vent, le babil des oiseaux

Dans la fuite du temps…

La vision des jeunes Belles-Lettriens disparaît avec le jour, les fées jolies disparaissent :

Et le jour va surgir, roûge de jeune sève,

Le jour qui fait crouler le pur marbre du rêve

En ruisselets d'argent que boira le soleil

Le jour ! présent des dieux pour vous et vos pareils.

Les vers sont une musique, langue éternelle des amants de l'idéal; l'homme ne vivra pas seulement de prose, tant qu'il aura soif de beauté et d'un langage pour en dire la suprême harmonie.

Le président de Belles-Lettres, M. Bonhôte, l'a senti et s'est fait applaudir lorsqu'il a, de ses doigts agiles, fait parler son piano en accords doux comme le tambourin.

< Vingt-neuf degrés à l'ombre ! », un acte de Labiche, dont la gaîté française fait jaillir le rire sain, rire facile sans effort cérébral, rire délassant Cet acte joyeux fut le premier triomphe de l'acteur hors ligne qui fut la joie de la soirée, M. Beley, interprète parfait secondé par ses excellents partenaires, où nous eûmes le plaisir de voir la première demoiselle amie de Belles-Lettres, Mlle S. Weil.

Le programme scandait les deux pièces par un grand point interrogatif, point dangereux et charmant source de rires moqueurs, parfois de gaffes énormes.

La « monture », je pense, n'est pas dans le dictionnaire de l'Académie; c'est un terme suisse romand; il est indispensable à l'esprit suisse romand. Ce n'est pas tout à fait la Revue française, c'est plus familial, plus énorme, plus intime; il faut être du pays et peut-être de la famille, du clan, de nos sociétés romandes d'étudiants pour comprendre la beauté du cru de la monture neuchâteloise. Peut-être Racine, dans les «Plaideurs», a-t-il prophétisé et soupçonné la « monture » romande quand il dit : Qui veut voyager loin ménage sa monture.Parfois nos étudiants, ménageant peu leurs montures, culbutent avant le port, et dans le genre risqué des allusions locales chavirent brusquement. Mais c'est un genre désiré qu'il faut admettre même dans la cocasserie extrême, l'abus des personnalités. Hier ils s'en sont donné à pleine joie, et la salle y prit un plaisir d'autant plus grand que plusieurs des égratignés assistaient aux évolutions caricaturales de leurs sosies aux gestes justes mais exagérés, farce énorme, imitation chansonnée, insistante, qui eût été cruelle si elle n'eût pas été en famille.

La monture met en sellette les notabilités; et n'est pas notabilité qui veut. La jeunesse aime à se venger; elle déteste la grammaire, ce sont les grammairiens qui sont houspillés et de quelle façon ! Un de nos plus sympathiques professeurs, un grammairien qui illustre sa branche, inattrayante il est vrai, mais sans laquelle toute langue ne serait que chaos fut chansonné, dansé si j'ose dire, doublé d'un sosie, grimé parfaitement. C'était drôle immensément mais, amis jeunes Belles-Lettriens, quel bolchevisme lingual aurions-nous sans la grammaire ! Plus tard, vous bénirez Kaegi et vos maîtres de grammaire ! Pour le moment, riez; je fus sur la sellette des casquettes blanches. Il vaut mieux, surtout pour un médecin, faire rire que faire pleurer ! Ce fut le sort du rédacteur de la « Suisse libérale » où M. Beley dessina le Dr Arthur C. de façon incroyablement réaliste et caricaturale. C'était peut-être un « rendu « , et ce confrère à l'aiguillon quotidien trouvera le premier qu'il serait le dernier à avoir des raisons de protester. Dans la monture, on voit défiler des touristes allemands qui semblent des caricatures vivantes de Hansi. boches inélégants tant au moral qu'au physique, chantant dans leurs couplets :

« Suisses I Donnez la soupe, braves gens, aux Allemands ! C'est un honneur pour vous »

Arrive le poisson électrique de l'Université , dont la mort remplit de douleur nos savants. Un professeur de l'Université, emmailloté en bébé, est promené en poussette, un autre descend du ciel dans un panier; voici des citoyens électeurs déguisés en poires; des partisans du moindre effort chantent la gloire de la paresse socialiste; enfin le pharaon Tut-an-Khamon, superbement imité, vocifère des couplets antianglais; l'Union commerciale apparaît sur des échasses pour se mettre à la hauteur des sociétés d'étudiants. Tout ce méli-mélo cocasse , aux couplets si bien lancés que le pardon arrive avec le rire, donna pleine satisfaction aux jeunes, et comme le journal de M. Bolle — qui pourtant fut griffé l'an passé dans la monture belle-lettrienne — le dit : « Nous n'avons plus lieu de nous plaindre que les étudiants aient perdu leur griffe; l'accueil du public dit assez qu'il entend trouver dans une monture quelques propos vifs, quelques traits aigus, sinon la Revue n'est plus une revue. »

Long entr'acte scandé par les cris et couplets de la seconde galerie, où Etudiens et Zofingiens se répondent à qui mieux-mieux.

Mais quelle est cette altercation derrière le rideau, bruit de casse et de scandale ? C'est la « Mégère apprivoisée », le chef-d'œuvre comique de Shakespeare, qui fut parfois lé Molière anglais, pièce que nous entendîmes il y a quelque dix ans, interprétée par les acteurs parfaits Kretzschmar et Paul de Perregaux, aux travestis suggestifs. Aujourd'hui, trois demoiselles charmantes ont fait oublier les travestis de jadis. Catharina et Bianca, sous les traits de Mlles Voutat et Y. Clottu, ont ravi nos yeux, jouant de façon impeccable et comme le disait un critique, dans les scènes difficiles, Mlle Voutat aux superbes cheveux noirs, eut cet art suprême de jouer très bien la femme en colère sans rien perdre de sa grâce. C'est assez dire ses qualités de comédienne. Bianca (Mlle Clottu) a été aussi exquise que son nom, rien que charme et sourire.

M. Beley a interprété le rôle de Petruchio avec un art qui fut applaudi inlassablement Et quel joli tableau quand, aux rappels, il réapparaissait avec ses jolies partenaires ! La mégère en colère, devenue chatte du foyer, faisait une vision délicieuse. Le succès d'hier restera dans les annales bellelettriennes. Quelle belle prestance de M. Beley ! Tantôt brutal, braillard, grognon à souhait, il tint ce côté de son personnage avec l'allure d'un grand seigneur. On admire en lui — je cite un critique — une aisance naturelle, une fougue toujours renouvelée et ce don si fin de rendre son personnage sympathique en dépit de sa brutalité feinte. Si tout n'évolupit pas en ce monde, je croirais à la mort des travestis. Mais les Bellettriens trouveront-ils toujours des jeunes filles au tact parfait, des voix si modulées, chaudes, impérieuses ou caressantes ? Le féminisme aura-t-il des revers ? Je ne sais ! Mais, ce que je sais bien, c'est que sous la forme la plus charmante, Belles-Lettres renaîtra chaque année toujours renouvelée, cueillent les applaudissements comme les premières fleurs du printemps.

P.-S. — A la choucroute qui suivit M. Mauler, avocat parsema ses grands éloges de quelques vérités, de ces vérités qu'il est bon de dire « inter pocula » ; à Belles-Lettres ce sont parfois les aimés et les plus dignes que les jeunes prennent plaisir à pirater. Jadis, ils chantaient plus souvent : « Soyez parfaits comme vos honoraires ! » Tout évolue. »

Vous devez être connecté/-e pour ajouter un commentaire
Pas de commentaire pour l'instant!