Armin Jordan, OCL, 2002 Repérage

6 septembre 2002
R.Gagnaux et sources citées dans le texte
R.Gagnaux et sources citées dans le texte

Le thème de la métamorphose a de tout temps occupé l’esprit de Richard Strauss, il se retrouve d'abord dans plusieurs de ses opéras. Cet intérêt constant pour le phénomène de la transformation déborda ensuite de son univers lyrique, son apothéose est l'une de ses ultimes compositions - une oeuvre testamentaire, douloureuse et poignante -, „Méta­mor­phoses“, sous-titrée „Étude pour vingt-trois cordes solistes“.

René Gagnaux
Strauss-Richard_99
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Richard STRAUSS, date et photographe inconnus: on trouve des reproductions de ce magnifique portrait à beaucoup d'endroits, mais il ne m'a pas été possible d'en trouver l'origine exacte

Au printemps 1944, année de son quatre-vingtième anniversaire, Richard Strauss entreprit d’écrire une oeuvre pour cordes. Fortuitement, quelques semaines plus tard, le chef d’orchestre Karl Böhm lui remit une requête: le musicien et mécène suisse Paul Sacher désirait une composition pour cordes pour son Collegium Musicum Zürich. Le 30 septembre 1944, Strauss écrivit à Böhm que, «depuis quelques temps déjà», il travaillait «à un Adagio pour environ onze cordes solo, qui finira probablement en Allegro» car, dit-il, «je ne m’attarde jamais bien longtemps dans la lenteur brucknérienne».

Occupé par la revision d'autres de ses compositions, peut-être aussi victime d'une sorte de blocage créatif, il délaissa toutefois son Adagio pour cordes jusqu'au début 1945.

"[...] Lorsqu’il [...] reprit [l'oeuvre], elle avait fondu, passant de onze cordes solo à sept (deux violons, deux altos, deux violoncelles, une contrebasse), et avait gagné un titre: «Metamorphosen» (*). Cette particelle fut achevée le 31 mars 1945 mais, dès le 13 mars, Strauss avait entrepris de l’étendre à vingt-trois cordes solo (dix violons, cinq altos, cinq violoncelles, trois contrebasses), une version qui fut terminée le 12 avril. Quelques semaines plus tard, il consigna dans son journal intime: «Le 1er mai s’est achevée la plus effroyable période de l’humanité: douze années durant lesquelles la bestialité, l’ignorance et l’analphabétisme régnèrent sous la houlette du plus grand criminel. Pendant ce temps, les fruits du développement culturel allemand, issus de deux mille ans d’évolution, ont été condamnés à disparaître; d’irremplaçables édifices et oeuvres d’art ont été détruits par une racaille soldatesque criminelle. Au diable la technique!» Voilà dans quel état d’esprit Strauss écrivit les pages conclusives de Metamorphosen.[...]" cité d'un texte de Michael Kennedy publié en 2007 chez Hypérion.

(*) On découvrit cette particelle - dont on ignore si elle fut jamais destinée à être jouée - en Suisse en 1990, elle fut interprétée pour la première fois à Garmisch, en 1994, dans une édition établie par Rudolf Leopold à partir et de la particelle et de la version finale - d’où la préservation de la modulation conclusive d'origine.

René Gagnaux
Strauss-R_TrV_190_Version_Leopold-Rudolf_EnsembleGringolts_10_11_2017_St-Gallen
10 novembre 2017
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Une interprétation de cette édition Rudolf Leopold par l'Ensemble Ilya Gringolts (Ilya Gringolts et Anahit Kurtikyan, violons, Silvia Simionescu et Lawrence Power, altos, Claudius Herrmann et Christian Poltéra, violoncelles, Božo Paradžik, contrebasse) - un concert donné à St. Gallen le 10 novembre 2017, photo ci-dessus -, peut être écoutée sur cette page de Youtube.

Au cours des derniers mois de la Deuxième Guerre mondiale, Richard Strauss avait vu tout son monde s’écrouler à la suite des bombardements des opéras de Dresden - où tant de ses oeuvres furent créées - et de München, symboles de ce qui fit jadis la grandeur de la culture germanique. De son domicile de Garmisch, Strauss écrivit à Josef Gregor, librettiste de Daphné et de Friedenstag: “Je suis envahi de désespoir. La maison de Goethe, le plus grand sanctuaire au monde, détruite. Ma belle ville de Dresde — Weimar — Munich, toutes disparues!”. Dans une autre de ses lettres „L’incendie du Théâtre national de Munich, qui avait accueilli les premières de Tristan et des Maîtres chanteurs, où j’ai entendu pour la première fois le Freischütz il y a 73 ans et où mon père a occupé le premier pupitre de cor pendant 49 ans… c’était la plus grande catastrophe de ma vie. Il n’y a pas de consolation possible et, à mon âge, aucun espoir

Ses „Métamorphoses“ s’articulent autour de quatre thèmes qui se métamorphosent constamment en nouveau matériau, de manière à donner l’impression que cette oeuvre "[...] ne constitue qu’un seul long mouvement. Strauss ne pensait pas seulement au poème de Goethe intitulé «Niemand wird sich selber kennen» au moment de la composition. Il s’est également inspiré des Métamorphoses d’Ovide, où les âmes opèrent une transformation radicale. Une façon pour Strauss de se moquer subtilement en renvoyant au recul de la civilisation vers un stade plus primitif. Par ailleurs, la musique elle-même rappelle d’autres chefs d’oeuvre de l’histoire musicale allemande: la marche funèbre issue de la symphonie héroïque de Beethoven et les citations de l’opéra Tristan et Yseult de Wagner résonnent comme un écho de l’ancienne culture germanique. [...]" cité d'un texte d'Aurélie Walschaert publié dans ce programme de concert.

Écrite pour dix violons, cinq altos, cinq violoncelles et trois contrebasses - les 23 instruments à cordes -, l'oeuvre fut terminée le 12 avril 1945 - 26 jours avant la capitulation allemande; elle fut donnée en première audition le 25 janvier 1946 à la Tonhalle de Zürich, par le Collegium Musicum de Zürich sous la direction de Paul Sacher.

Sur son titre, quelques précisions très intéressantes de Michael Kennedy: "[...] Pourquoi «Metamorphosen»? Ce terme n’est pas à prendre dans une acception musicale, puisque les thèmes ne sont ni métamorphosés ni soumis à des variations, mais développés symphoniquement. Pendant l’abattement qui l’avait assailli à l’été de 1944, Strauss avait relu Goethe qui, dans sa vieillesse, appliqua le mot «Metamorphosen» à son propre cheminement spirituel. Peut-être même ces «Metamorphosen» furent-elles d’abord envisagées comme la mise en musique d’un poème goethéen (**), une idée à laquelle Strauss aurait renoncé en recevant la commande de Sacher. Mais une chose est sûre: les oeuvres des années 1943-5 se veulent des mémoriaux à tout ce que Strauss chérissait le plus dans la culture allemande. Les deux Sonatines pour vents évoquent ainsi Mozart et Beethoven (lequel est ouvertement cité dans la Sonatine n° 2), cependant que plusieurs thèmes de «Metamorphosen» s’apparentent à des citations de Wagner, même si ce dernier n’est jamais repris directement. Une autre esquisse, peu utilisée, de cette période porte en en-tête: «en souvenir de Franz Schubert».[...]"

(**) peut-être inspiré par deux poèmes de la maturité de Goethe «Die Metamorphose der Pflanzen» (La Métamorphose des plantes) et «Die Metamorphose der Tiere» (La Métamorphose des animaux), dont le thème est l’unité secrète que dissimule la variété infinie et éternellement changeante de la nature.

À propos de la commande de Paul Sacher, Jean-Pierre Amann écrit: "[...] De toutes les commandes faites par Paul Sacher, celle qui engendra l'un des chefs d'oeuvre les plus connus s'adressa à un musicien qui ne faisait à priori pas partie des favoris du Bâlois. Il ressort du témoignage de Sacher que sa rencontre avec Richard Strauss, réfugié en Suisse à la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'a profondément touché. Le vieil homme affecté par le drame vécu par sa patrie offrait ainsi une oeuvre testament qu'il souhaita diriger en répétition, car il ne pouvait assister à sa création. On imagine aujourd'hui l'émotion qui envahit les musiciens ainsi que Paul Sacher lorsque le compositeur rendit la baguette à l'issue de l'oeuvre avec, pour uniques paroles, un simple remerciement. [...]"

Grâce à la générosité de la...

René Gagnaux
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... nous pouvons en écouter une interprétation diffusée dans l'un des volets de la série d'émissions «INÉDIT» d'Antonin Scherrer et Luc Terrapon, diffusé le 12 septembre 2019 sur «RTS ESPACE 2».

René Gagnaux
JORDAN, Armin
JORDAN, Armin

Armin JORDAN, une photo citée de cette vidéo du site de Notre Histoire

Le 6 septembre 2002, Salle Métropole, Lausanne, avait lieu un concert assez particulier de l'Orchestre de Chambre de Lausanne. Ce soir là, Armin JORDAN, qui en fut le directeur musical de 1973 à 1985, inaugurait une belle aventure: "[...] «Un vieux rêve, une utopie, confie Patrick Peikert, le secrétaire général de l’OCL, qui consiste à enregistrer au disque, avec les deux orchestres romands — l’Orchestre de la Suisse romande fait également partie du projet — une série d’oeuvres commandées par Paul Sacher».

Série et non pas intégrale, faut-il préciser. Car à raison d’un ou deux compacts par an, c’est qu’il en faudra du temps pour venir à bout des quelque deux cents partitions suscitées par le musicien et mécène bâlois tout au long de sa carrière... [...]" «D.Rz» dans le quotidien 24 Heures du 4 septembre 2002 en page 20.

Au programme du concert les «Études pour cordes» et la «Petite symphonie concertante pour harpe, clavecin et deux orchestres à cordes» de Frank Martin, et «Métamorphoses pour orchestre à cordes» de Richard Strauss.

René Gagnaux
CD-RSR-6172_BB
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Enregistré dans la foulée par la production musicale d’Espace 2 pour Cascavelle / RSR, le disque compact fut publié en 2005 sur le CD RSR 6172 (pochette reproduite ci-dessus), qui n'est malheureusement plus au catalogue - suite à la disparition du label Cascavelle - mais dont quelques exemplaires peuvent encore être achetés à la Boutique RSR (vérifié: février 2020). Il peut être écouté et/ou acheté en téléchargement digital sur diverses plateformes, par exemple Qobuz, réédité sous le label «RTS Radio Télévision Suisse - Evasion Music».

René Gagnaux
Strauss-R_Jordan-Armin__fond-noir
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CLIQUER ICI pour ouvrir la page correspondante des archives de la RTSR et pousser le cursor temps sur 41 minutes et 30 secondes pour écouter les Métamorphoses.

Le sommaire de ce volet diffusé le 14 février 2020 dans la série d'émissions «INÉDIT» d'Antonin Scherrer et Luc Terrapon (minutages donnés en heure:minutes:secondes):

➣ 0:01:10 Charles Gounod, Symphonie no 1 en ré majeur, Orchestre de la Suisse Romande, Michel Plasson, 20 Janvier 2001, Victoria-Hall, Genève

➣ 0:24:17 Henry Purcell, Trois Fantaisies pour consort de violes, Fantasia 12 a 4 - Fantasia 1 a 3 - Fantasia 8 a 4, Lucile Boulanger, Andréas Linos, Aude-Marie Piloz, Myriam Rignol, Sarah van Oudenhove, L'Achéron, François Joubert-Caillet, 12 janvier 2019, Église de Villamont

➣ 0:35:53 Anonyme, Jordi Savall, La Paix céleste et les Prophéties de l'Apocalypse, pour voix d'homme, choeur et ensemble instrumental: Al.là men eiréne, Lior Elmaleh, Capella Reial de Catalunya, Hespèrion XXI, Jordi Savall

➣ 0:41:30 Richard Strauss, Metamorphosen, Étude pour 23 instruments à cordes, Op. 142, TrV 290, Orchestre de Chambre de Lausanne, Armin Jordan, 6 septembre 2002, Salle Métropole, Lausanne Adagio ma non troppo - Agitato - Più allegro - Adagio (Tempo I)

➣ 1:08:50 Johannes Brahms, Sonate pour violon et piano no 3 en ré mineur, Kerson Leong, Gordon Back, 10 janvier 2016, Studio Ansermet de la radio à Genève

➣ 1:30:04 Giuseppe Sammartini, Concerto pour flûte à bec, cordes et basse continue en fa majeur, Giardino Armonico, Giovanni Antonini, 8 juillet 2016, Église du Collège St-Michel, Fribourg

➣ 1:43:07 Frédéric Chopin, Barcarolle pour piano en fa dièse majeur, Op. 80, Sergeï Babayan, 28 juillet 2014, Verbier

➣ 1:53:00 Joseph Ruiz Samaniego, De esplendor se doran los aires, Villancico a la Virgen del Pilar, pour ensemble vocal et instrumental, Olalla Alemán, Agnieszka Grzywacs, José Pizarro, Iñigo Casalí, Gabriel Días, Jordi Giménez, Francesc Xavier Banegas, Silvia Jiménez, Alfonso Sebastián, Pablo Prieto, Eduardo Fenoll, Pedro Reula, Jesús García Aréjula, Alfonso Sebastián, Montserrat Bertral, Joaquím Guerra, Marta Infante, Lluís Coll, Edwin Garcia, Musicos de su Alteza, Luis Antonio González, 7 juillet 2012, Église du Collège St-Michel, Fribourg

➣ 2:00:39 Camille Saint-Saëns, Sonate pour violon et piano no 1 en ré mineur, Ryoko Yano, Sergei Koudriakov, 16 octobre 2005

À noter qu'Armin Jordan a aussi enregistré les Métamorphoses avec l'Ensemble Orchestral de Paris (l'actuel Orchestre de Chambre de Paris), également en 2002, paru sur CD chez Gallo, voir cette fiche de la Phonothèque Suisse pour plus de détails.

Avec l'Ensemble Orchestral de Paris, Armin Jordan l'avait déjà enregistré vers la fin des années 1980, publié chez TELDEC CLASSICS, CD 4509-97401-2, voir cette fiche de la Phonothèque Suisse pour plus de détails.

D'après cette fiche de la Phonothèque Suisse, il en existe un enregistrement encore plus ancien - datant de février 1980 -, fait avec l'Orchestre de Chambre de Lausanne dans la grande salle de Crissier et publié sur le disque vinyle ERATO STU 71333

Un enregistrement de concert - fait avec l'Orchestre Philharmonique de Radio France le 14 octobre 2005 à la Cité de la musique de Paris - peut être écouté sur la page «Armin Jordan, pour l'amour du beau son» du site de France-Musique, série «Le meilleur des concerts de Radio France» d'Aurélie Moreau, un volet diffusé le dimanche 8 avril 2018. Dans cette page de France-Musique, pousser le curseur temps (au bas de la page) sur 41 minutes 10 secondes pour écouter directement les Métamorphoses.

Le programme de cette émission «Armin Jordan, pour l'amour du beau son», avec des extraits d'entretien avec Armin Jordan entre les diverses pièces:

➣ (0:00:25) Franz Schmidt, 3e et 4e mouvements de la Symphonie n°4 en ut Majeur (III. Molto vivace, IV. Allegro molto moderato), Orchestre Philharmonique de Radio France, 3 juin 2005, Salle Olivier Messiaen de la Maison de Radio France

➣ (0:19:00) Dmitry Schostakowitsch, 3e et 43 mouvements du Concerto pour violon no 1 en la mineur, opus 77 (III. Passacaille / IV. Burlesque), Tedi Papavrami, violon, Orchestre Philharmonique de Radio France, 3 juin 2005, Salle Olivier Messiaen de la Maison de Radio France

➣ (0:41:15) Richard Strauss, Métamorphoses, étude pour vingt-trois cordes solistes, op. 142, TrV 290, Orchestre philharmonique de Radio France, 14 octobre 2005, Cité de la musique, Paris

➣ (1:10:30) Johann Strauss II, Ouverture de l’Opérette “Le Baron Tzigane”, Orchestre philharmonique de Radio France, 11 juillet 2004, Salle Berlioz du Corum de Montpellier

➣ (1:21:20) Ernest Chausson, Viviane, opus 5, Orchestre philharmonique de Radio France, 25 novembre 1994, Salle Pleyel, Paris

➣ (1:33:40) Alexander von Zemlinsky, extrait de la Symphonie lyrique en sept chants op. 18, Orchestre Philharmonique de Radio France, 13 décembre 1996, Salle Pleyel, Paris

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René Gagnaux
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24 février 2020
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