A la fin des années 50, dans une ville de Lausanne commençant à vibrionner de plus en plus sur son flanc culturel, le franco-suédois Nils Andersson né à Lausanne va lancer l'aventure de La Cité Editeur, une maison d'édition permettant l'accès pour les Romands à des livres politiques ou de littérature majeurs pour leur temps. L'homme et son entreprise connaîtront une ascension telle qu'ils vont finir par déranger les pouvoirs suisse et français. J'ai eu la chance de rencontrer Nils Andersson. Et très facilement, sa mémoire a replongé dans une période terriblement stimulante pour le monde des débats politiques en Suisse romande. Le Lausannois vit aujourd'hui à Paris, il a beaucoup œuvré pour la liberté d'expression, façon hussarde, travaillant le verbe des autres, les écrits révélateurs d'une époque, les vérités qui ne font pas plaisir à lire dans une France gangrenée par une guerre d'Algérie qu'elle a du mal à appeler ainsi. Sa maison d’édition indépendante, La Cité Éditeur va le faire connaître au delà des frontières. Cette entreprise de liberté, née en 1957 sur un coup de chance, dans un contexte européen chargé, doit beaucoup aux rencontres dues au hasard. On parle du hasard, "il faut savoir où on met le pied" complète Nils. Le livre « La Question » de Henri Alleg, après avoir été saisi, repassait en France, depuis la Suisse et sous le manteau. Cette vie suisse faite de rythme, de combats, de débats, c'est le rythme de la ville de Lausanne. On parle dans cet entretien des problèmes avec les autorités suisses, et pas seulement à cause des révélations que le livre d'Alleg comportait (sur la torture pratiquée par les militaires algériens), on parle aussi de son expulsion en 1967 de son pays de naissance, la Suisse. Puis de son arrivée en Belgique, de ses séjours en Albanie et en Suède. On terminera enfin sur la Ligue vaudoise et la posture étonnante d’un homme aux propos politiques diamétralement opposés à ses idées : Bertyl Galland. Ce dernier (d'origine suédoise aussi) prendra la défense de Nils Andersson. La fin de l’entretien évoque la situation négative dans laquelle l’humanité se trouve. On est en novembre 2018 au moment de l'interview. Plus de quatre ans après, cet entretien résonne particulièrement au moment où l'invasion de l'Ukraine par la Russie et la guerre qui s'en est suivie a fait plusieurs milliers de morts.

La photo d'illustration de cet entretien est celle de Nils aux côtés d’Isabelle Vichniac. Une journaliste qui a écrit sur les peuples meurtris, en guerre, sur les organisations internationales et leurs actions. Elle fut correspondante du Monde à Genève. Sur cette photo fournie par André Gazut, elle est entourée par Nils Anderson, Didar Rossano-Fawzi, l'abbé Robert Davezies, Béatrix Andrade. Malade, elle n'a pu se rendre à l'Ambassade d'Algérie pour y être décorée.

Isabelle Vichniac, dans les années 1950 était devenue correspondante à Genève du "Monde", du "Libération" d'Emmanuel d'Astier (sous le pseudonyme de Jean Ivy) et de "Combat". Avec le temps, seule sa collaboration au "Monde" survivra.

Elle suit attentivement les travaux de la Commission des droits de l'homme de l'ONU à une époque où le sujet mobilise peu. Anticolonialiste depuis toujours, elle dénonce la guerre d'Indochine, ensuite et surtout la guerre d'Algérie. Elle informe sur les disparitions, les tortures, elle héberge et fait héberger les réfugiés et les clandestins. Inlassablement, elle organise des rencontres entre Français et Algériens.

C'est elle qui introduisit les "Folles de la place de Mai" à l'ONU. Enfin, elle est l'auteur de l'unique ouvrage destiné au grand public sur la Croix-Rouge, Les Stratèges de la bonne conscience (Alain Moreau). Sa vie d'aventures et d'engagements avec son mari Jacques fit l'objet d'un livre de Cécile Romane, Les Téméraires (Flammarion). En 1992, elle sera nommée chevalier de la Légion d'honneur. Déjà malade, elle écrivit son dernier article pour Le Monde en 1999, à l'âge de 82 ans.