Ce que racontent les décorations de Noël

12 décembre 2022
La Chaux-de-Fonds, Suisse
Claire Bärtschi-Flohr

Claire mettait de l’ordre dans le salon. Le dernier invité venait de partir. Une soirée de Noël de plus venait de s’écouler. Tout à coup, les lumières s’éteignirent. Claire sursauta. Encore une panne d’électricité ! En cet hiver 2022, il s’en produisait à tout moment.

Claire était seule. Après avoir éprouvé un léger sentiment de malaise, elle se ressaisit. Rien ne l’obligeait à tout ranger ce soir, cela pouvait attendre demain.

Elle se laissa tomber dans un fauteuil. L’obscurité n’était pas complète. Un certain nombre de bougies éclairaient encore faiblement la pièce. Sur le sapin, les décorations de Noël luisaient dans la pénombre. Et soudain, celle qui les lui avait données surgit dans sa mémoire. Une vieille femme rondelette, qui habitait au troisième étage de sa maison. Elle lui avait un jour remis une boîte dans laquelle se trouvaient des boules multicolores, des clochettes délicates, des oiseaux de verre, objets d’un autre temps qui avaient décoré le sapin de la vieille dame au fil des années. « Prenez-les. Je n’en ai plus l’usage.» lui avait-elle dit. Claire appréciait cette voisine. Elle se souvenait des rencontres, des bavardages dans l’escalier… Elle se rappelait que cette femme, pour se chauffer, devait alimenter son poêle. Fréquemment, son fils venait lui monter un seau rempli du bois qui se trouvait à la cave. Elle ne pouvait plus se charger elle-même de cette tâche. Un jour, elle tomba malade. Naïvement, elle déclara à Claire venue lui rendre visite : « Si c’est pas malheureux de tomber malade à 86 ans ! »

L’oeil de Claire glissa du sapin à la porte de la chambre. Là était suspendue une botte de feutre rouge, avec un revers de laine de mouton -une des bottes du père Noël !- qu’elle avait remplie de friandises et la vue de cette botte fit émerger du passé une autre silhouette, celle d’une autre locataire. Au deuxième étage habitait autrefois une femme toute menue, sans âge, de celles qu’on appelle marginales. Son poêle était toujours éteint. Jamais elle ne recevait ou montait du combustible. Elle partait dans la matinée, tirant un petit chariot et se rendait à la bibliothèque de la ville où elle passait ses journées au chaud. Cette femme très discrète s’était prise d’amitié pour les deux plus jeunes filles de Claire. Et c’est elle qui avait fabriqué cette botte de feutre rouge dont chaque côté portait l’initiale de leurs prénoms, découpée dans du feutre bleu. Le jour où Claire se rendit dans le logement de cette femme, elle fut très surprise de découvrir des murs formés d’immenses cartons posés les uns au-dessus des autres, dessinant un labyrinthe dans chaque pièce. Il n’y avait pas le moindre meuble. Ces cartons étaient remplis de coupons de tissu. Cette femme aux doigts de fée créait des sacs, des bijoux avec du matériel textile récupéré. Elle avait certainement rêvé, autrefois, de se faire une place dans la société comme créatrice d’artisanat. Pourtant, elle dépendait des services sociaux pour des raisons que Claire ignorait. Elle n’avait jamais essayé d’obtenir des confidences de cette femme si discrète.

C’était il y a si longtemps. Cette nuit, Claire ressent de l’émotion en considérant ces objets qui rappellent tant de souvenirs...

Son regard est maintenant attiré par la brillance de trois étoiles de couleur vive. Elles scintillent parmi les branches du sapin. Elles ont été fabriquées au jardin d’enfants par ses trois filles. Chaque année, ces étoiles retrouvent leur place sur l’arbre. Disposés à son pied, trois pères Noël, eux aussi sortis des petites mains enfantines, forment une ronde. Le premier a un corps fait d’une petite bouteille que l’on a enveloppée de papier crépon rouge. Une balle de ping pong lui tient lieu de tête. Sa barbe blanche est un peu de travers. Le second, rondouillard, se pavane sur ses skis de carton, le troisième, coiffé d’un étrange chapeau pointu, sautille sur son unique pied de bois.

Claire rêve. Elle évoque la soirée qui vient de s’écouler : le repas, les rires, les conversations, les chansons, les poèmes, les petits intermèdes musicaux au violon, au piano, à la contrebasse.

Les bougies se sont éteintes. La maison est bien vide. Et si sombre... Pourtant, malgré sa solitude, Claire éprouve un profond sentiment de reconnaissance et de plénitude.

(photo 2011_12_323)

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  • Ilya Gaeng

    Bonjour, En ce lendemain de Noël, je lis l’histoire et remarque derrière le sapin une jolie tapisserie. Il me semble reconnaître une œuvre de Monique Montandon. Est-ce juste?

  • Claire Bärtschi-Flohr

    Bonjour, cette tapisserie a été réalisée par mon beau-père dans les années 1980. Je n'ai jamais su qui avait créé le carton et je n'arrive pas à trouver des renseignements sur Monique Montandon, que je ne connais pas. Je ne peux donc pas vous en dire plus. Si vous avez d'autres informations, merci de me les transmettre. Je vous souhaite une belle entrée dans la nouvelle année.

    • Ilya Gaeng

      Bonjour, A mon tour, je dois faire de l'ordre de mes papiers pour retrouver plus de renseignements. Un peu de patience. Entre-temps je vous souhaite un merveilleux 2023.

    • Ilya Gaeng

      Bonjour, Au fait, Monique Montandon, aujourd'hui âgée de 84 ans, est la fille de Jenny de Beausacq, haute lisière et que vous trouverez sur internet. Monique a aussi fait quelques tapisseries dont une semblable avec des instruments de musique. Il en existe diverses dans le genre, d'où mon erreur; désolée. En tout cas celle de votre beau-père est très belle.

    • Ilya Gaeng

      Bonjour, Voilà la tapisserie réalisée par Monique Montandon. Le carton est aussi d'elle. Ceci est une reproduction sur papier du photographe François Martin. /Users/cerisiers/Desktop/MM tapisserie488.jpg

Claire Bärtschi-Flohr
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