Le Palais des Nations, victime du "tower bashing" genevois (1949/1950)
Le Palais des Nations, victime du "tower bashing" genevois (1949/1950)
par Jean-Claude Pallas.
Un peu plus de six mois après la fin de la Seconde guerre mondiale, Genève est choisie comme siège européen des Nations Unies le 12 février 1946. L’ancienne Société des Nations est dissoute le 18 avril et le 1er août de la même année ses propriétés (essentiellement le Palais des Nations et les villas La Pelouse, La Fenêtre, Le Chêne et Les Feuillantines) sont transférées aux Nations Unies. Le développement des Nations Unies sera très rapide et le Palais des Nations, mis en service en février 1936, deviendra vite trop petit pour accueillir de nouvelles organisations, ceci malgré ses imposantes dimensions et ses 577 bureaux.
Le 2 juillet 1948 Genève est également choisie comme siège de la nouvelle institution spécialisée, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), crée le 7 avril. En août 1948 l’OMS disposait déjà de 160 fonctionnaires logés dans les bureaux provisoires de « Lake Success » à New York (la première pierre du Siège des Nations Unies ne sera posée qu’un an plus tard, le 24.10.1949). Les estimations de l’OMS augmentèrent rapidement de 300 bureaux (4.200 m2) en août 1948 à 400 (5.600 m2, sur une base généreuse de 14 m2 par fonctionnaire) fin 1949 et progressèrent encore par la suite. L’Organisation de la Santé fut autorisée à occuper 106 bureaux au Palais, mais seulement pour une durée de trois ans. Il fallut donc envisager très rapidement un premier agrandissement du Palais qui sera réalisé en 1950-1952 (le second se fera entre 1968 et 1973 et un troisième est en voie d’achèvement).
Compte tenu de l’urgence et du mauvais souvenir du concours inter États Membres de 1927 (378 projets à examiner, des choix difficiles et discutés…) il fut décidé de ne pas lancer de concours d’architecture pour ce premier agrandissement. Un premier projet fut établi par le service des bâtiments des Nations Unies en septembre 1948, il prévoyait la fermeture de la cour du Secrétariat (côté Jura). En octobre 1948 Jean Erb (Suisse, 1904-1984) fit une étude, à la demande de l’OMS, et proposa une nouvelle aile côté Jura, sur le parking P2 (raccordement au niveau de l’escalier 1). Fin 1948 l’étude de la fermeture de la cour de Secrétariat fut reprise par l’architecte Lacôte.
Toutefois, dans le cadre de cet article, seul le projet de l’architecte Jacques Carlu (1890-1976) sera examiné plus en en détail car c’est celui qui fut retenu à la fois par l’ONU et par l’OMS. Carlu fut consulté début 1949 pour examiner les possibilités de loger l’OMS dans le Palais, soit en créant de nouveaux bureaux, soit en récupérant de l’espace partout où cela s’avérerait possible : halls, couloirs et autres locaux, soit en divisant certaines salles pour les transformer en bureaux. Après une étude sur place, l’architecte constata que ces possibilités étaient irréalisables et dès le 30 mars il proposait un projet de tour l’une de 100 m (25 étages, 500 bureaux), le second d’une tour réduite à 80 m (400 bureaux). Carlu précisait « en ce qui concerne l’esthétique, il m’apparaît qu’un bâtiment d’environ 100 m ne déparerait pas la silhouette du Palais. J’oserais même dire qu’il viendra en complément désirable. Je ne pense pas que la proximité relative du terrain d’aviation soit un obstacle et ce d’autant plus qu’une telle tour servirait, au contraire, de phare et de point de repère ». L’emplacement choisi était le plus judicieux, pour une construction en hauteur, à l’angle de l’aile de commission AC (liaison entre les bâtiments Assemblée et Conseil, la tour est désignée « bâtiment D », voir plan de situation) qui présentait de multiples avantages tels qu’une situation centrale et un voisinage immédiat avec les installations techniques : chaufferie, centrale électrique et central téléphonique, ce qui facilitait et réduisait considérablement le coût des raccordements. Carlu précisait encore « une étude très approfondie du problème m’a démontré qu’un bâtiment en hauteur composé en élément vertical doit, pour obéir à des considérations d’ordre esthétique très impératives et que l’on doit respecter sous peine de déparer fâcheusement la silhouette générale, s’élever à une certaine hauteur minimum au-dessus du point le plus haut (bâtiment de l’Assemblée). Cette hauteur minimum m’a conduit à fixer le nombre d’étages utiles à 18 avec un couronnement traité en motif décoratif et destiné à abriter des locaux de service (mécanismes d’ascenseurs, réservoirs, etc.) ».
Jacques Carlu (1890-1976) était déjà à cette époque un architecte de renommée internationale. Ancien élève des Beaux-Arts de Paris, premier grand prix de Rome en 1919, il s’installa aux États-Unis en 1924 où il sera professeur de dessin au prestigieux MIT de Boston jusqu’en 1933 puis il crée une agence à New York. En 1937 il fut nommé architecte en chef pour la construction du Palais de Chaillot (son projet élaboré avec L.H. Boileau et L. Azéma, avait été retenu), édifice majeur de « l’Exposition internationale des arts et techniques appliquées » de 1937 (dite également « Exposition universelle de Paris »). Il assumera ensuite les fonctions d’Architecte en Chef Conservateur du Palais de Chaillot. En 1950 il deviendra le conseiller artistique du premier Secrétaire général de l’ONU, le Norvégien Trygve Lie, pour l’architecture intérieure et la décoration du siège des Nations Unies, en cours de construction à New York. Son frère Jean (1900-1997) fut un très célèbre dessinateur d’affiches dans le style Art déco. Son épouse Anne (née Pecker) était une artiste de grand renom dans le domaine des peintures murales et deux de ses œuvres, grandes compositions allégoriques de 4 m x 7 m, ornent les murs de la Galerie des Pas-Perdus du Palais des Nations « La Guerre » et « La Paix » (don de J. Carlu à l’ONU en 1971).
Le 6 avril 1949 Adrian Pelt, Secrétaire général adjoint de l’ONU New York, transmit ce projet à W. Moderow, le premier DG de l’ONU Genève avec un avis favorable « ma première impression est que ce plan mérite une étude plus poussée et qu’il offre certains avantages. Dans quelle mesure le ‟gratte-ciel” pourrait s’accorder à l’environnement, il est en fin de compte difficile de répondre. Pourtant il semble offrir un audacieux contraste entre la structure horizontale du Palais et pourrait devenir un complément désirable, comme le soutient M. Carlu ».
Une semaine plus tard les plans furent adressés au Directeur de l’OMS et aux autorités suisses, le conseiller Philippe Zutter du DPF et au conseiller d’État Louis Casaï, du DTP. Ph. Zutter fit remarquer : « La construction de la tour concerne plus particulièrement les Genevois et je suis sûr que le projet que vous avez également envoyé à M. Casaï fera sensation au sein du Conseil d’État de Genève ». L’OMS donna son accord pour la tour mais souhaitait 30 bureaux par étage au lieu de 20.
Ce projet de tour était nouveau pour Genève mais ce n’était pas une nouveauté incongrue. Il suffit de rappeler le concours d’architecture de 1926-1927. Sur les 27 projets primés, 6 comportaient des tours, dont 2 dépassaient les 100 m. Il s’agissait des projets titulaires de « deuxièmes mentions » :
– n° 308, des architectes néerlandais Julius Maria Luthmann et Hendrik Wouda
– n° 411 de l’architecte danois Anton Rosen (1859-1928).
Dans le projet de Vago (n° 431, l’un des « neuf prix ex aequo ») figurait également une tour conséquente, Vago fut l’un des cinq architectes retenus pour élaborer le projet final du Palais (avec Broggi, Flegenheimer, Lefèvre et Nénot).
D’autre part, en 1936 – soit treize ans avant le projet de Carlu –, le célèbre architecte suisse Maurice Braillard (1879-1965) déclarait « qu’il y avait trop d’horizontales à Genève et qu’il fallait créer des verticales imposantes ». Il prévoyait, à cette époque, une tour de 12 étages dressée sur le boulevard Helvétique.
Nous verrons par la suite que ce projet qui satisfaisait à la fois les Nations Unies (New York et Genève) et l’OMS fit non seulement « sensation au sein du Conseil d’État de Genève » mais suscita également énormément d’émotion dans tout le Landerneau genevois, et au-delà, ce qui conduisit à son abandon, après de nombreuses discussions, mais avec toutefois une petite réserve pour l’avenir… car des projets de surélévation du bâtiment D (la tour « arasée ») seront envisagés en 1963-64 et 1982 !
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