Sur les patinoires, par Anne Cendre

6 décembre 2021
David Glaser, reporter FONSART

Il fait froid. On patine. Ou du moins on essaie. Genève, Carouge et le Grand–Saconnex ont installé leurs patinoires saisonnières pour tout l’hiver. Il faisait beau dimanche, on en a profité.

Aux Bastions, au milieu des foules rassemblées pour la Course de l’Escalade, il y avait quand même de l’animation sur la glace, devant le kiosque hélas fermé. La musique parvenait presque à dominer le brouhaha ambiant.

Le dimanche, c’est le jour des familles. Les parents tentent d’aider leurs enfants à se maintenir debout. Vêtus chaudement, casque ou bonnet sur la tête, les gosses glissent sur leurs patins ou leur derrière. Ils s’accrochent à des déambulateurs comme les vieux dans un EMS.

Quelques pères, équipés de patins de hockey, montrent comment les bonnes postures du corps entraînent des mouvements sinueux et gracieux.

Personne, cependant, ne s’est enhardi à exhiber des figures artistiques.

Patinoire de Florissant

Les images de cette patinoire citadine m’ont rappelé celle de mon enfance, avant les patinoires artificielles. Jusque dans les années 1950, il y avait, si la température le permettait, une patinoire au chemin Krieg. On l’appelait patinoire de Florissant. Elle était gérée par la Club des patineurs de Genève, fondé en 1924.

David Glaser, reporter FONSART
Une patinoire genevoise
Une patinoire genevoise

Sur un terrain au sol spongieux, chaque hiver, si possible, on accumulait l’eau alimentée par le Nant Jargonnant qui avait sa source aux hauts de Florissant. En 1941, une dalle en béton améliora le site, qui se maintint jusqu’en 1956, année d'un froid extrêmement rigoureux. En février, la température était descendue au-dessous de -10.

Le site a été comblé et remplacé par plusieurs immeubles locatifs. Dans l’un d’eux résida le grand écrivain Albert Cohen.

Je me souviens que chaque année, au début de décembre, on se posait la question : vaut-il la peine d’acheter un abonnement ? Le froid sera-t-il assez vif pour garantir une glace patinable au-delà de quelques jours ? Il y eut des hivers favorables qui permettaient un mois entier de sport de glace. En sortant de l’école, les enfants se précipitaient au chemin Krieg. Ils fixaient des patins à leurs bottines et se lançaient.

Une partie de la patinoire était réservée aux personnes s’adonnant au patinage artistique. Les enfants regardaient ces figures avec amusement. Nous rigolions de voir ces vieux (à nos yeux) lever la jambe au son d’une musique que nous trouvions ringarde.

Des joueurs de hockey avaient le droit de s’approprier parfois les lieux.

Au 19e siècle

Au 19e siècle, durant les rudes hivers, on patinait déjà sur les étangs de Sionnet et de Jussy ainsi que sur la plaine de Plainpalais. A la fin du siècle, Florissant, la Palanterie et Rouelbeau offraient aussi des surfaces gelées.

Etang de Florissant, dessin vers 1888 (Centre d’iconographie genevoise)

Mais toutes ces joies étaient très aléatoires, tributaires de la météo. Enfin, la première patinoire artificielle fut aménagée par la Ville de Genève en 1954. Le Club des patineurs de Genève avait bien pensé à cette solution, mais des plans établis à la fin des années 1930 avaient été réduits à néant par la guerre de 1939-45.

En 1954 s’ouvrait donc la patinoire couverte au Palais des expositions, rebaptisé Palais des sports. Puis en 1958, ce fut la patinoire des Vernets, enfin un site digne d’une ville suisse et internationale.

Pour moi, le patinage s’est mal terminé. Adulte, je ne l’ai guère pratiqué. Un jour, cependant, me trouvant à Verbier à Pâques, j’ai la surprise de constater que la patinoire est encore ouverte quelques jours. L’occasion est trop belle, je me laisse tenter, malgré les objurgations de mon entourage. Il y avait vingt ans que je n’avais pas chaussé des patins. Mais, disais-je, le patin c’est comme la bicyclette, cela ne s’oublie pas.

Je loue des patins, j’arrive sur la glace, je glisse – forcément – et je tombe. Avec l’aide de la seule spectatrice présente, la grand-mère d’une fillette qui, elle, s’ébroue allègrement, je parviens à ôter mes chaussures, en dépit d’un poignet horriblement douloureux.

J’achevai mes vacances de Pâques le bras dans le plâtre.

Comme l’écrit ce vieux sage Edgar Morin dans ses Leçons d’un siècle de vie (Denoël, 2021), « le risque d’erreur et d’illusion est permanent dans toute vie humaine ».

Anne Cendre, le 6 décembre 2021 dans "Entre guillemets, le Monde, tel que je le vois"

Patinoire des Bastions, ouverte tous les jours sauf lundi. Accès gratuit, location de patins, 2 fr.

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11 janvier 2022
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