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14 mai 1960, une date inoubliable

14 mai 1960
Strasbourg, Bas-Rhin, Alsace
Claire Bärtschi-Flohr

14 mai 1960, une date inoubliable

Mon concours d’entrée à l’Ecole nationale supérieure d’Art dramatique de Strasbourg.

Il y a 60 ans, jour pour jour, le 13 mai 1960, je partais pour Strasbourg, avec Françoise, une camarade du Conservatoire de Genève et Jean-Claude, mon fiancé d’alors, qui faisait ses études à l’EPUL (maintenant EPFL) comme ingénieur physicien. (Certains locaux se trouvaient rue César Roux à Lausanne). Il faisait beau temps alors. Aujourd’hui, il pleut.

Vers 17 heures, nous avons quitté Lausanne et nous avons pris la direction de Basel dans la VW de Jean-Claude. Je me souviens que nous avons longé le lac de Neuchâtel, le lac de Bienne. A Basel, nous avons pris la route de Strasbourg. A 3 heures du matin, nous sommes arrivés près de la gare de Strasbourg, rue du Faubourg-de-Pierre, où nous avons passé quelques heures à dormir dans un hôtel très simple. Le lendemain matin, nous nous sommes rendus sur les bords du Rhin, le temps était ensoleillé. Et là, dans les herbages près du fleuve, nous avons répété une ultime fois les deux scènes que nous allions jouer l’après-midi à la rue du Général Gouraud, à l’Ecole du Centre Dramatique de l’Est (aujourd’hui Théâtre national de Strasbourg). Traditionnellement, il était demandé aux élèves de présenter une scène classique et une scène d’un auteur moderne.

A 14 heures le 14 mai, nous nous sommes rendues à l’Ecole pour y passer un examen d’entrée. Jacques Ebner, un élève de première année, m’a donné la réplique dans une scène de « Bérénice » de Racine --« Pour jamais, ah, seigneur, songez-vous en vous-même combien ce mot cruel est affreux quand on aime ?» oui, je le sais encore par coeur. Pas besoin d’aller chercher la citation dans un livre »-- Puis nous avons joué, Françoise et moi, une scène du « Malentendu » de Camus. Elle faisait la fille criminelle et moi la femme du frère, venu dans l’auberge sans se faire reconnaître et qui est assassiné par sa mère et sa sœur. Une distribution un peu à contre-emploi. Nous aurions plutôt dû faire l’inverse. Mais je ne me souviens pas du pourquoi de nos choix. Avaient-ils été influencés par notre professeur, Jean Bard, du Conservatoire de Genève ? Probablement. Ou par nos propres goûts ? J’étais assez romantique à l’époque.

Camus était fort à la mode parmi nos contemporains et cette même année, le 4 janvier, Camus était mort dans un accident de voiture. Il avait 44 ans. Cela nous avait fortement marquées, Françoise et moi.

Après notre passage sur la « petite Scène », petit théâtre à l’intérieur de l’école, nous avons appris par Pierre Lefèvre, le directeur, que nous étions toutes deux reçues à cet examen. Quelle joie !!!!!

Trois ans d’école à temps plein ont suivi, dès octobre. Formation intense sur tous les plans, aussi celui de la vie tout court. Souvenirs inoubliables…

Nous y faisions du chant, de la danse, de la gymnastique, de l’escrime, de l’improvisation. Nous montions deux spectacles par trimestre. La discipline était très stricte.

Nous n’avions pas de vie privée, pas de vie familiale. Nous ne vivions que pour ça. Les soirées, quand nous ne répétions pas, se passaient au bistrot. Les chambres de bonnes que nous louions étant fort peu accueillantes. Que d’aventures… Les dimanches en Alsace étaient sinistres… Tout était fermé. Nous n’avions pas de contact avec la population.

Nous étions coupés de nos proches, de nos familles : à cette époque, il n’y avait pas de téléphone portable. Le téléphone coûtait très cher. Hors de prix pour nos bourses et celles de nos parents. Les seuls échanges se faisait par lettre. Et lors des retours, aux vacances. Vacances précédées d’examens de trimestre où nous risquions toujours de nous entendre dire que nous étions renvoyés.

Souvent, j’éprouvais un grand sentiment de solitude...

Pour l’anecdote, nous étions allées pendant l’hiver précédent l’examen, voir un spectacle de la Comédie de l’Est lors d’une représentation à la Comédie de Genève. Je crois que que la troupe jouait : « Le canard sauvage », d’Erik Ibsen, mis en scène de Pierre Lefèvre. Nous étions conscientes qu’il fallait, pour exercer ce métier, se faire remarquer. Aussi sommes-nous allées dans les loges après la représentation nous présenter à Hubert Gignoux, le directeur, et lui avons dit que nous allions bientôt passer un examen à l’Ecole. Il a parfaitement compris notre intention et nous a gentiment répondu, mais sur le ton goguenard dont il était coutumier, que nous avions toutes les chances de notre côté !!!

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Claire Bärtschi-Flohr
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14 mai 2020
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