Un exemple de la causticité et de l'humour de Suzanne Delacoste

8 avril 1939
Suisse romande
Suzanne Delacoste
Laurent de Weck

Chronique fribourgeoise

Le prophète en son pays

M. Musy, retour d'Espagne, a bien voulu, lundi soir, donner à son peuple de Fribourg la primeur de ses impressions.

Il faut dire que les conférences de l'ancien conseiller fédéral sont en général « entrée libre ». Un oncle gâteau quelconque paie aimablement les frais inhérents à ce genre de manifestation. C'est bien agréable en ces temps de vie chère.

Il y eut donc une telle ruée vers la vérité que c'est tout juste si l'estrade de l'orateur demeura libre. Il nous annonça d'ailleurs d'emblée que, bien qu'impressionné par une pareille affluence, il ne nous dirait pas moins le fond de sa pensée, avec courage, comme d'habitude, et même sur « les points les plus délicats ».

L'exposé qui comptait trois parties : les causes de la guerre d'Espagne, l'attitude des belligérants, et l'Espagne nouvelle, fut écouté dans un silence et une chaleur (sens propre et figuré) remarquables. La salle se transforma rapidement en une harpe éolienne. Des phrases telles que : « en sauvant l'Espagne, Franco et ses troupes ont peut-être sauvé la civilisation occidentale » ou « les jeunes gens d'Espagne sont morts un peu pour nous » suscitèrent un enthousiasme délirant. Des bravos accueillirent aussi l'affirmation qu'on ne connaissait « pas de faiblesse » au généralissime.

La guerre d'Espagne fut évidemment une guerre de religion, une croisade. (En cela l'orateur est de l'avis de M. Mauriac qui, dans « Temps présent » qualifie Franco de « noble croisé ».)

Comme toute guerre de religion, elle fut riche en cruautés. A l'énoncé des supplices que les républicains firent subir à leurs ennemis, la salle faisait entendre un long murmure d'océan. Une jeune fille, parente de l'orateur, secouait l'or de sa chevelure, avec des frissons authentiques.

La question des bombardements aériens fut traitée brièvement. Nous fûmes soulagés d'apprendre que, contrairement à ce que prétendait le monde, l'aviation « rebelle » ne détruisit que quelques maisons parmi les 60.000 que compte Barcelone.

Le public ne se tenait plus d'enthousiasme. A tel point qu'il frappa dans ses mains quand M. Musy nous dit avoir connu en Espagne une jeune fille qui avait été « six ans aux Ursulines à Fribourg ».

Enfin, pour terminer, le conférencier nous dit sa certitude que « l'Espagne saura concilier le devoir de la reconnaissance avec les exigences impérieuses d'une autonomie politique totale » et qu'elle ne pourra « se résigner à devenir le satellite en second d'autres puissances ». Nous espérons que l'optimisme de l'orateur ne sera pas démenti à l'avenir.

Avec la question d'Espagne, M. Musy a trouvé le terrain d'entente, le chemin des cœurs fribourgeois. Nous sommes loin des sifflets qui accueillirent un jour certain passage de son film « la peste rouge ». On peut vraiment dire que la conférence de lundi soir fut un triomphe.

Suz. Delacoste

« Curieux, 8 avril 1939

Jean-Marie Musy est né en 1876. Originaire d'Albeuve. Il fut conseiller fédéral de 1920 à 1934, chef du département des finances et des douanes. Il est mort en 1952.

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  • Laurent de Weck

    Je travaille à réunir les chroniques de Suzanne Delacoste, dont la qualité du style et l'humour mériteraient qu'elles soient publiées!

Laurent de Weck
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18 octobre 2010
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