Ordre du jour pour le 20 août 1945

20 août 1945
Général Guisan
Albin Salamin

Le Commandant en chef de l'armée

Officiers, Sous-officiers, Soldats,

C'est aujourd'hui que prend fin l'état de service actif. Instauré à l'ouverture des hostilités avec l'appel des troupes frontière et la mobilisation générale, il cesse, après le licenciement du gros de nos forces, à l'heure où le Commandement de l'Armée achève la partie principale de sa tâche.

Au terme de "mobilisation", je préfère quant à moi, celui de "service actif". Parce que "servir", ce fut, pour nous, plus et mieux que "mobiliser". Servir, c'est donner le meilleur de soi, le donner à son pays. Je voudrais que par ce don, chacun de vous, après avoir servi de 1939 à 1945, se sentît plus fort et plus humain. A notre époque de revendications et de luttes, vous saurez mieux ainsi le prix de ce qu'un homme peut donner - son temps et sa santé - et du sacrifice qu'en prêtant serment, vous avez accepté d'avance: celui de votre vie. Si tous les hommes qui parlent et qui agissent dans ce monde et ce temps savaient cela, nous attendrions avec plus de confiance le retour de la paix.

Avant de vous quitter, j'aurais voulu vous rassembler ou, du moins, vous revoir. Ce n'est pas possible. Mais je ne vous oublierai pas. J'évoquerai souvent vos visages de chefs et de soldats, tels qu'ils m'apparurent, durant ces six ans, dans les paysages de la frontière et du réduit. Je retrouverai votre regard et le timbre de votre voix, lorsque, chacun dans votre langue maternelle, vous répondiez à votre Général.

Je ne vous oublierai jamais, d'autant moins que j'éprouve une grande peine à me séparer de vous.

Mais ma retraite ne signifie que le départ d'un chef, d'un homme. L'Armée demeure, et c'est cela qui compte. Je crois, en effet, que notre Pays aura besoin d'elle, plus que jamais, pour demeurer libre d'abord, et aussi parce qu'il trouvera en elle une école d'honneur et de fidélité, une expérience d'entre'aide dont le bienfait devrait s'étendre à toute notre vie sociale.

Que l'Armée demeure donc, par la vertu de ses traditions. Mais les traditions, à elles seules, ne suffisent pas. L'Armée doit évoluer, se perfectionner et, sans cesse, acquérir une force nouvelle. Sinon, elle ne représenterait qu'un poids mort, une charge trop lourde à nos épaules. Ce sera le premier devoir de ceux qui viendront après moi de maintenir et de préparer, sans relâche, une armée qui soit toujours à la hauteur des circonstances.

Officiers, Sous-officiers, Soldats,
Au dernier jour de service actif, je prends congé de vous, fier d'avoir été votre chef, confiant en vous. Je rentre dans le rang; et je reste, fraternellement,

votre Général

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Albin Salamin
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2 janvier 2010
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