Brasserie Müller, Neuchâtel

Brasserie Müller, Neuchâtel

mai, 1930
Photographe amateur inconnu
Yannik Plomb

Ancienne photographie anonyme. Pavillon de plaisance, maison de campagne, brasserie et centre culturel, le site de l’Evole a connu d’innombrables transformations et vocations durant ses 450 ans d’histoire.

Hélène Pasquier nous offre l’histoire d’une brasserie familiale neuchâteloise depuis le milieu du XIXe siècle jusqu’aux lendemains de la Deuxième Guerre mondiale. Que le parti pris analytique ne trompe pas : habilement interrogées, les archives de la petite entreprise ne renseignent pas seulement sur la stratégie commerciale de la Brasserie Müller, mais aussi sur le fonctionnement du marché helvétique de la bière. En effet, la cartellisation instaurée sous les auspices de la Société suisse des brasseurs en 1907 garantit à ses adhérents, dont Müller, le monopole des débits fournis. La bière, dont la consommation moyenne par habitant oscille autour de 60 litres entre 1900 et 1960 (le phylloxera lui ayant permis de profiter de la crise viticole et de former des buveurs de vin au goût de la bière), est une boisson de convivialité masculine dans des lieux publics. Le maintien, voire l’augmentation des parts de marché – la chasse à l’hectolitre – passe ainsi par l’acquisition du réseau de distribution d’un concurrent et la fidélisation des tenanciers. L’introduction de la glace artificielle et la maîtrise de la chimie des opérations de brassage permettent d’accroître la production des brasseries qui se trouvent dès lors confrontées à des difficultés d’écoulement. Le progrès technique, qui augmente la productivité et assure la fabrication d’un produit de qualité constante, a donc sa rançon. Les contraintes de rentabilité d’une brasserie (capital fixe investi en machines) obligent ses propriétaires à vendre des quantités de plus en plus grandes. Müller, dont le nombre d’employés passe de moins de dix à la fin du XIXe siècle à deux douzaines dans les années 1920 et à une cinquantaine en 1972, produit 2677 hl de bière en 1890 (0,2% de la consommation totale suisse) et 21423 hl en 1953-1954 (soit 0,9%). Ces quantités après tout modestes sont distribuées dans la région, échelle qui autorise l’instauration et le maintien de relations étroites entre le patron brasseur et les tenanciers. Dans de nombreux cas, la tournée payée par le directeur de la brasserie lors de visites dans « ses » débits se double de crédits ou de garanties financières accordés afin de protéger son réseau de livraison, en s’obligeant cafetiers, aubergistes et autres pintiers. Les concurrents qui ne parviennent pas à développer leurs clientèles font les frais d’une compétition très réglementée. La brasserie Müller, qui diversifie sa production dans les années 1950 en ajoutant des boissons gazeuses non alcooliques à son offre, absorbe ainsi un petit nombre de rivaux afin d’augmenter ses ventes. Jusqu’à subir elle-même, en 1972, la loi de ce marché singulier mais non unique (contingentement et concurrence jugulée sont en fait la règle dans l’agriculture hélvétique). Ce mouvement explique en grande partie la diminution du nombre de brasseries en Suisse : de 550 établissements en 1885, il tombe à 260 en 1900,59 en 1929 pour se retrouver à 58 au début des années 1950.

Mis en ligne sur Cairn.info le 01/10/2005

doi.org/10.3917/rhmc.513.0210

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Yannik Plomb
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20 avril 2024
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