Carl Maria von WEBER... Dans l'épisode «1935» de la série d'émission «Les annales radiophoniques de l'OSR» de Jean-Pierre AMANN - que l'on pouvait écouter sur «Espace 2» le 2 mai 2018 dans «Poussière d'étoile» - furent rediffusés plusieurs splendides documents avec l'OSR sous la direction d'Ernest Ansermet, dont un enregistrement de la Pièce de concert pour piano et orchestre en fa mineur, op. 79, J 282, de Carl-Maria von WEBER.

Carl Maria von Weber commença de composer cette oeuvre en 1815 (mentionnée pour la première fois dans une lettre adressée au critique Rochlitz, datée du 14 mars 1815), ne la termina toutefois qu'en 1821: dés le début, il avait en tête l'ébauche d'un concerto à programme, car comme il l'expliqua luimême, "[...]«les concertos écrits dans la tonalité mineure, sans idées évocatrices ou définies, ne sont pas souvent populaires auprès du public» (il fait référence à la séparation, aux lamentations, à la misère profonde, la consolation, la réunion et la jubilation)[...]" cité d'un texte de Ateş Orga, traduction de Isabelle Dubois, publié en 1995 dans la brochure du CD Hyperion CDA66729**. Le 18 juin 1821, jour de la première à Berlin de son Freischütz, il joua l'oeuvre à son épouse, Caroline, et à Julius Benedict, en leur expliquant son programme, ce qui fut noté par Benedict (voir un peu plus bas). La première audition publique fut donnée le 25 juin suivant, toujours à Berlin.**

Le «Konzertstück» est en un seul mouvement, avec 4 sections jouées sans interruption - une introduction lente, un Allegro passionato brillant (un Adagio qui fait oeuvre de lien), une marche aux sons aigus des bois, (une transition rapide), et comme Finale, un Presto giojoso. "[...] La marche est célèbre pour une de ses entrées jouées seules au piano - un glissando flamboyant d'une octave conduit à un fortissimo tutti, intercalé à la perfection dans un contexte autrement inconséquent. Les glissandi animés du Finale étincellent tout autant. [...]" cité du texte de Ateş Orga, traduction de Isabelle Dubois, référencié ci-dessus**.**

La trace la plus ancienne d'une interprétation de cette Pièce de concert avec l'OSR sous la direction d'Ernest ANSERMET que j'ai pu trouver, date du 11 octobre 1924, un concert donné au Victoria-Hall de Genève, le premier de l'abonnement de la saison 1924-1925, avec Joseph PEMBAUR en soliste.

Voici comment l'oeuvre était présentée dans la brochure-programme de ce concert:

"[...] Dans ses «Illusions musicales», le critique Johannes Weber explique comme suit le titre «Le Retour du croisé» par lequel on a toujours désigné cette oeuvre en France.

«C'est le matin du jour où devait avoir lieu la première représentation du Freischütz, que Weber acheva le Concertstück; puis il en apporta les feuillets encore humides à sa femme, près de laquelle se trouvait Bénédict, son élève favori. Il se mit gaiement au piano et joua le morceau d'un bout à l'autre en traçant lui-même le programme, que Bénédict nota ensuite de souvenir, mais que Weber ne voulut jamais laisser imprimer en tête de l'oeuvre. Voici ce programme; j'y ajouterai seulement les titres nécessaires pour le rendre intelligible à tout le monde.

«Larghetto» - La châtelaine est à son balcon; elle interroge tristement l'horizon; son chevalier est parti depuis bien des années pour la Palestine. Le reverra-t-elle jamais ? Des combats sanglants ont eu lieu, et aucun message de lui! En vain elle prie Dieu.

«Allegro appassionato» - Soudain un affreux tableau se présente à son esprit halluciné; il est étendu sur le champ de bataille, abandonné des siens; le sang coule à flots de sa blessure. Ah! que n'est elle pas à ses côtés!... pour mourir avec lui!

«Adagio e tempo di marcia» - Mais écoutez! quel bruit se fait entendre au loin? Des armures brillent aus soleil, là-bas, sur la lisière de la forêt! les arrivants s'approchent de plus en plus: ce sont des chevaliers et des valets portant la croix; on voit flotter les bannières; on entend les cris du peuple, et là-bas c'est lui!

«Piu mosso e presto assai» - Elle vole au devant de son bien aimé; il se précipite dans ses bras. Quels élans d'amour! Quel bonheur indescriptible! Comme tout frissonne dans les bois et dans les blés, proclamant par mille voix le triomphe de l'amour fidèle. [...]"

Carl-Maria von Weber n'a toutefois jamais écrit ni préfacé sa partition en ces mots: ceux-ci ont été notés par Julius Benedict, lors de l'audition privée du 18 juin 1821 mentionnée plus haut. Mais ils reflètent certains événements musicaux de l'oeuvre, tel qu'il en ressort de la lettre adressée au critique Rochlitz en 1815 (mentionnée plus haut). Il ne faut donc pas prendre le programme au pied de la lettre, mais le sens général est incontestablement exact.

L'enregistrement présenté ici fait revivre le 9e concert de l'abonnement de la saison 1967-1968, donné le 21 février 1968 au Victoria-Hall de Genève avec Robert CASADESUS et l'Orchestre de la Suisse Romande sous la direction d' Ernest ANSERMET, à l'époque retransmis en direct à la radio - dans le cadre du traditionnel concert du mercredi soir.

À noter que les mêmes interprètes avaient déjà joué cette oeuvre en concert une douzaine d'années auparavant, le 5 octobre 1955. Le lendemain, Franz WALTER écrivait dans le Journal de Genève, en page 10: "[...] Les deux oeuvres pianistiques furent interprétées, cela va sans dire, de manière magistrale par Robert Casadesus. Quel admirable artiste, vraiment! en qui les élans du coeur trouvent à s'équilibrer de manière si parfaite, avec l'intelligence et la lucidité. Ainsi, Robert Casadesus nous donna du «Konzertstück» une interprétation non seulement d'une pénétrante tendresse, mais enflammée à souhait, et pourtant épurée de tous les débordements auxquels peut inciter cette musique au romantisme exalté, mais qui sous certaines apparences naïves, porte la marque du génie authentique - celui précisément qui trouve à transfigurer le trait le plus banal [...] Franz Walter".

Robert CASADESUS, portrait cité d'une photo du site PARISENIMAGES, © Boris Lipnitzki / Roger-Viollet, No d'image: 71994-60, No d'inventaire: LIP-2061-174.

Un écho de ce concert écrit par Franz WALTER et publié dans le Journal de Genève du du 22 février 1968, page 11:

"[...] II peut paraître banal de souligner une fois de plus la magie d'une interprétation debussyste par Ernest Ansermet. Mais peut-être est-ce par l'effet du retour après une absence prolongée, qui nous a fait mieux mesurer ce que le fondateur de l'OSR a donné de spécifique à son orchestre et apporté à notre vie musicale, peut-être est-ce par l'effet de ce retour que ces trois Nocturnes ne nous ont jamais paru aussi parfaits, et surtout chargés d'une telle «présence». Présence partagée par ses musiciens qui, là, se surpassent. Mais il faut dire aussi l'heureux concours de l'ensemble féminin du Choeur de la Radio romande (Dir. André Charlet) dont les voix étoffées et souples ont permis d'apporter cette chaude conclusion à ce triptyque, telle qu'on a rarement l'occasion de l'entendre.

Il m'a semblé d'ailleurs que le concert gagnait en vie et couleur au fur et à mesure de son déroulement. La couleur, la lumière, les éclairages, formaient, à vrai dire, des éléments essentiels de ce programme. À commencer par la symphonie «Deliciae Basiliensis» d'Honegger, laquelle comporte une large part d'impressionnisme. Un impressionnisme qui contraste avec l'expressionnisme parfois violent de la «Liturgique» qui la précède chronologiquement de peu, ou de celle des «Tre re » qui la suit (un peu comme la quatrième ou la huitième de Beethoven entre celles qui l'encadrent). Cette simplicité de ton, mais qui sous son raffinement sonore cache une étonnante science d'écriture (seul le finale apparaît un peu plus «fabriqué») si elle ne représente pas du «grand» Honegger, n'en reflète pas moins un de ses aspects très attachants.

Robert Casadesus, dont la personnalité est, elle aussi, liée de longue date à notre orchestre car il en est un des solistes les plus fidèles et les plus appréciés, interprétait d'abord le plaisant «Konzertstück» de Weber. Il lui restitua, sans l'alourdir jamais, son envolée romantique très directe, tout en conférant à son brio un peu extérieur - que le génie webernien sauve pourtant de la banalité - une ardeur juvénile dont ce pianiste garde vraiment le secret. Et dans le concerto pour la main gauche de Ravel, il sut lui conférer à la fois ce chatoiement, cette élégance et ce dynamisme rythmique mordant qui en font tout le prix. Interprétation qui valait en outre par la communion entre interprètes sur le plan de l'accent, du tempo viril et de la vie. Et un véritable triomphe souligna cette réussite. Franz Walter [...]"

Les extraits du Journal de Genève et de la Gazette de Lausanne cités ci-dessus sont rendus accessibles grâce à la splendide banque de données de letempsarchives.ch, qui est en accès libre sur la toile, une générosité à souligner!

Carl Maria von Weber, Pièce de concert pour piano et orchestre en fa mineur, op. 79, J 282, Robert Casadesus, Orchestre de la Suisse Romande, Ernest Ansermet, 21 février 1968, Victoria-Hall, Genève, enregistrement RSR

Présentation par Jean-Pierre AMANN 00:57 (46:06->47:03)

(1) Larghetto affettuoso - (2) Allegro appassionato

(3) Adagio - Tempo di marcia - (4) Più mosso - Presto assai

15:53 (47:03->62:56)

Cet enregistrement fut diffusé dans l'épisode «1935» de la série d'émission «Les annales radiophoniques de l'OSR» de Jean-Pierre AMANN - que l'on pouvait écouter sur «Espace 2» le 2 mai 2018 dans «Poussière d'étoile».

Pour écouter l'enregistrement ou une de ses parties, aller sur la page de l'épisode «1935», saisir le curseur de la "barre-temps" avec la souris et le positioner au minutage désiré - les minutages sont donnés ci-dessus entre ().

Au programme de cet épisode «1935» de la série d'émission «Les annales radiophoniques de l'OSR» de Jean-Pierre AMANN - diffusée sur «Espace 2» le 2 mai 2018, dans «Poussière d'étoile»

• Igor Strawinsky, Concerto en ré majeur pour violon et orchestre, Christian Ferras, Ernest Ansermet, 5 octobre 1966
• Alban Berg, 3 Fragments de «Wozzeck», pour soprano et orchestre, Suzanne Danco, Ernest Ansermet, 25 février 1953
• Carl Maria von Weber, Konzertstück (Pièce de concert), pour piano et orchestre en fa mineur, Robert Casadesus, Ernest Ansermet, 21 février 1968
• Johann Sebastian Bach, Extrait de L'Art de la fugue, transcription pour orchestre de Roger Vuataz, Hermann Scherchen, 1er février 1950

Enregistrements de concerts de l'OSR effectués par la Radio Suisse Romande (RSR).