On raconte qu'un habitant d'Ayer avait assisté à Grimentz aux comptes de la montagne, le jour de la Saint-Antoine (1). Le soir, pris de vin, il voulut rentrer chez lui et s'égara aux abords de la chapelle de Trontsàkijè (2). Ne voyant pas les pentes de neige, il s'engagea sur l'une d'elles, perdit pied et glissa jusqu'à la Navizence. Pendant plusieurs jours, personne ne s'inquiéta du pauvre homme. À peine se demandait-on ce qu'il était devenu. Toutefois, une jeune fille qui, chaque matin, de très bonne heure, allait gouverner (3) à Morasè, entendait couper du bois de l'autre coté du torrent. Elle s'en réjouissait parce qu'elle ne se sentait pas seule, mais s'en étonnait bien davantage: « Quand même ! qui peut couper du bois à ces heures par ici ? » Dès qu'elle avait traversé la Navizence, le bruit cessait. L'homme d'Ayer, n'étant pas rentré chez lui, des personnes de son village se mirent à sa recherche; elles découvrirent près de Trontsàkijè la trace de sa chute et, de l'autre coté du ruisseau, la marque de ses pas. Son cadavre gisait derrière l'écurie où la jeune fille allait chaque matin gouverner. L'homme, blessé en tombant, avait pu se trainer jusque là. On supposa dans le pays que le mort réclamait une sépulture et des prières en faisant sonner dans le bois, des coups de hache.

Photo collection © Famille Luc Saugy

(1) À la Saint-Antoine le 13 juin, à Grimentz, les paysans qui ont envoyé leurs bêtes, l'été précédent, à la montagne et se sont partagés le « fruit » (fromage et beurre), se réunissent pour la répartition et le payement des frais d'alpage.

(2) Sur le sentier qui de Grimentz conduit par les « Morasè » (Morasses) à Ayer, à quelque cent mètres avant le pont de la Navizence.

(3) Gouverner signifie ici, soigner, nourrir et traire le bétail.

Contes de Grimentz, par Robert Loup, professeur. Archives du Nouvelliste valaisan du 1 septembre 1928. Extraits des cahiers valaisans de folklore de l'abbé Luyet.